[Droit comparé France-Québec] Audience de règlement amiable : les enseignements de la CRA.

Le 5 janvier 2023, dans le cadre de son “plan justice”, le ministre de la Justice français a annoncé la création d’un mécanisme d’“audience de règlement amiable”, présenté comme un outil de justice participative destiné à réduire les délais de la justice civile et inspiré de la procédure de “conférence de règlement à l’amiable” (CRA) existant au Québec.
L’article qui suit revient sur la pratique de la justice participative en France et apporte un éclairage sur la pratique de la CRA au Québec.

1. Le 5 janvier 2023, dans le cadre de son “plan justice”, le Ministre de la justice, Monsieur Éric Dupond Moretti, a présenté une série de mesures pour restaurer la confiance du justiciable dans l’institution judiciaire. Parmi celles-ci, le ministre a annoncé la création d’un mécanisme d’“audience de règlement amiable”.

2. L’audience de règlement amiable est présentée comme un outil de justice participative destiné à réduire les délais de la justice civile, plus longs en France que dans de nombreux pays européens, et qui n’ont fait que s’allonger en première instance entre 2019 et 2023 [1] (octobre 2021-avril 2022) publié le 8 juillet 2022 sur le site Vie publique. Ces délais sont estimés comme étant trois fois plus importants qu’en Allemagne [2]. Selon le ministre, les délais d’accès à la justice se situeraient “entre deux et trois ans en moyenne s’il y a un appel”.

3. Ce mécanisme s’inspirerait de la procédure de “conférence de règlement à l’amiable” existant au Québec, vue comme une procédure mieux adaptée et davantage personnalisée visant à favoriser un règlement moins onéreux et plus rapide qu’un procès classique et dont le taux de réussite serait estimé à 72% [3] tenues pour l’année 2017-2018 pour l’ensemble du Québec. Le contexte des demandes est aussi à prendre en compte. Le sentiment d’équité du processus et de son résultat peut varier. Le caractère réparateur du résultat peut également renvoyer à un taux de satisfaction moindre, notamment en matière commerciale. Ainsi, Monsieur Éric Dupond Moretti voit en ce processus un outil de réforme susceptible de réduire par deux la durée d’un procès.

4. Le ministre, qui veut conférer au juge un rôle de conciliateur avant tout procès, a fait état d’une pratique de la médiation qui demeure peu connue de la culture française et à laquelle les magistrats ne sont pas associés [4].

5. Cette perception nous invite à nous interroger sur la pratique de la justice participative en France et celle existant outre-Atlantique dans la Province de droit civil du Québec.

6. Dans ce contexte, il apparaît pertinent d’évoquer les différences se rapportant à la médiation judiciaire telle qu’exercée en France et celle qui s’applique dans la province de Québec.

En France.

7. Rappelons tout d’abord qu’à l’exclusion des matières pour lesquelles les parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits, à savoir les droits indisponibles ou extrapatrimoniaux [5], la médiation et la procédure participative peuvent être envisagées pour la plupart des litiges, en matière contractuelle ou prud’homale, y compris en matière de divorce ou de séparation de corps, dès lors que le litige n’a pas encore donné lieu à la saisine de la justice. Ce processus appartient aux parties et à leurs avocats [6].

8. Ensuite, il importe de relever que les processus de médiation conventionnelle et judiciaire existent déjà en droit français.

9. En effet, le Décret n°2019 -1333 du 11 décembre 2019, consacré par l’article 750-1 du Code de procédure civile, obligeait le demandeur à une action en justice à justifier, avant toute demande en justice et sous peine d’irrecevabilité, d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative lorsque le litige portait sur le paiement d’une somme inférieure à 5 000 euros.

10. Ce décret a été présenté comme une nouveauté. Or, une obligation en ce sens existait déjà depuis le Décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends, qui imposait au requérant de préciser dans son assignation, sa requête ou sa déclaration au greffe, les tentatives menées afin de trouver un accord amiable avec la partie adverse avant toute action en justice. Il est vrai toutefois que le manquement ne donnait pas lieu à sanction.

11. Le Décret du 11 décembre 2019 est néanmoins apparu comme une généralisation et un renforcement de l’obligation préalable d’avoir recours à la conciliation et la médiation.

12. Cependant, l’article 750-1 du Code de procédure civile a été annulé par le Conseil d’État en date du 22 septembre 2022 [7], dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir formé, principalement, par le Conseil National des Barreaux, la Conférence des Bâtonniers et l’Ordre des avocats de Paris.

13. Le Conseil d’État a analysé cette disposition en une violation de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen relatif au droit d’exercer un recours effectif devant toute juridiction.

14. Cette décision confirme que si le juge doit pouvoir proposer une mesure de conciliation ou de médiation aux parties, il ne peut leur imposer celle-ci, et ce, quel que soit le montant du litige.

15. Par ailleurs, s’agissant des affaires dont le montant est supérieur à 5.000 euros, l’article 127 du Code de procédure civile (tel que modifié par l’article 1 du Décret n°2020 1452 du 27 novembre 2020, en vigueur depuis le 1er janvier 2021), dispose que “hors les cas prévus à l’article 750-1, le juge peut proposer aux parties qui ne justifieraient pas de diligences entreprises pour parvenir à une résolution amiable du litige une mesure de conciliation ou de médiation”.

16. Le juge a déjà recours à cet article pour envoyer les parties vers la médiation, avec un médiateur (parfois avocat).

17. On s’étonnera toutefois de ce que l’article 127-1 du Code permette au juge d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur en cas d’absence d’accord entre elles. Une telle injonction, même si elle n’est assortie d’aucune sanction, va à l’encontre même du principe de la médiation, laquelle ne peut être imposée, comme l’a souligné le Conseil d’État dans sa décision du 22 septembre 2022.

18. La conciliation est gratuite. Elle peut aboutir à un constat d’accord entre les parties. Elle doit, en principe, être menée et achevée dans un délai de 3 mois par le conciliateur [8].

19. Néanmoins, un accord n’est constaté que dans 50% des demandes environ.

20. La médiation conventionnelle, qui constitue une procédure souple et flexible se déroulant suivant des modalités convenues par les parties avec le médiateur, se distingue tout de même de celle sollicitée par le juge.

21. Dans le cadre d’une médiation conventionnelle, les négociations entre les parties sont facilitées par l’intervention du médiateur, dont la mission n’est pas de trancher un litige. Les parties restent clairement maîtresses de la solution à donner à leur différend. Le médiateur n’est là que pour restaurer le dialogue entre elles et les aider à trouver, ensemble, un accord durable et équitable.

22. Dans le cadre d’une médiation judiciaire (sollicitée par un juge), même si le médiateur reste un tiers neutre, indépendant et spécifiquement formé, les parties qui s’opposent peuvent avoir le sentiment d’avoir moins de latitude pour parvenir à une solution amiable en conformité avec leurs intérêts respectifs.

23. En effet, à défaut d’entériner un accord, dans l’hypothèse où la médiation achoppe, le même juge qui a renvoyé l’affaire à la médiation peut être amené à faire revenir l’affaire au rôle et à en connaître de nouveau. De telles conditions peuvent soulever une difficulté quant à la confidentialité du processus. Le risque réside dans ce que le juge peut ainsi être informé par le médiateur de ce qu’une des deux parties en particulier, entre le demandeur et le défendeur, n’a pas voulu donner suite à la médiation. Or, aucune des deux parties ne devrait avoir à craindre les conséquences de son refus de se soumettre à la médiation.

24. En matière de médiation judiciaire, telle que nous la connaissons, le juge n’intervient pas réellement comme un conciliateur. C’est un technicien du droit, désigné par ses soins, qui en a la charge et qui lui en rend compte. Or, cet aspect peut avoir une incidence défavorable pour la partie qui a rejeté l’accord. Même si tel n’est pas le cas, une crainte de partialité serait dans ce contexte légitime.

Au Québec.

25. Au Québec, la procédure de conférence amiable est bien ancrée. L’institutionnalisation de la médiation judiciaire dans la Belle Province remonte à 1997 et y a été étendue à tous les tribunaux judiciaires et administratifs du Québec.

26. Dès à compter de son institutionnalisation, la médiation présidée par un juge a été voulue comme consensuelle et confidentielle.

27. C’est la demande conjointe des parties qui en amorce le processus. Elle demeure une option purement facultative, la procédure appartenant aux parties. Le juge peut la recommander, mais ne peut pas l’imposer [9]. L’une ou l’autre des parties peut, à toute étape du processus, revenir à la procédure décisionnelle. Le processus de médiation judiciaire intègre tous les domaines du droit, incluant le droit civil, familial, administratif, et même le droit pénal avec la conférence de facilitation en matière criminelle et pénale, mise en place en 2004 au Canada [10].

28. Par ailleurs, c’est dès 2002 que le législateur a codifié les règles relatives à ce qui est désigné au Québec comme la “conférence de règlement amiable” (“CRA”).

29. Selon l’article 161 du Code de procédure civile du Québec [11], dispose que

le juge en chef peut, à tout moment de l’instance mais avant la date fixée pour l’instruction, désigner un juge pour présider une conférence de règlement à l’amiable si les parties le lui demandent et lui exposent sommairement les questions à examiner ou si lui-même recommande la tenue d’une telle conférence et que les parties agréent sa recommandation. Il le peut également, même après la date fixée pour l’instruction, si des circonstances exceptionnelles le justifient”.

30. Il convient d’insister sur le fait que la conférence de règlement à l’amiable est confidentielle et que les règles qui la gouvernent sont fixées par le juge et les parties.

31. Aussi, si la CRA connaît un succès au Québec, c’est que le juge ayant présidé la conférence ne participe à aucune audition relative à l’affaire.

32. De surcroît, la transaction qui clôt une affaire est transmise, par le greffier, à une autre formation de la Cour afin d’être homologuée et rendue exécutoire.

33. La charge du juge conciliateur, dans le cadre d’une conférence de règlement à l’amiable, est donc une mission de conciliation et non de jugement.

34. Le juge qui préside une conférence de règlement à l’amiable n’exerce pas de fonctions juridictionnelles comme dans le cadre d’un tribunal.

35. Tout est fait au Québec afin d’éviter toute confusion entre les fonctions du juge facilitant le règlement à l’amiable et celles du juge exerçant les prérogatives juridictionnelles du tribunal.

36. Par ailleurs, une affaire [12] permet de souligner que la demande en homologation d’une transaction intervenue à la suite d’une conférence de règlement à l’amiable autorise une partie à contester la validité de la transaction au motif qu’il y aurait eu dol de l’autre partie, qui aurait communiqué une fausse information ou dissimulé une information importante.

37. Dans un tel contexte, le recours contre la transaction homologuée dans le cadre d’une conférence de règlement à l’amiable ne relève pas d’un appel, mais d’un recours en annulation de contrat.

Conclusion.

38. Pour que la procédure d’audience de règlement amiable bénéfice du même accueil qu’au Québec, les parties ne doivent pas se voir imposer cette procédure et le juge ne doit pas intervenir en tant que juge exerçant des prérogatives juridictionnelles, mais comme juge conciliateur dont l’intervention est limitée à la recherche de conciliation des parties.

39. Toute suite consacrée à l’affaire, que ce soit en cas d’échec de l’audience amiable ou pour les fins de l’homologation de la transaction, doit être instruite par une autre formation, en vue de préserver la confidentialité du processus, d’accroître la confiance des parties en l’institution et de favoriser le succès de la conciliation amiable.

40. Le système judiciaire doit garantir que les deux processus demeurent parallèles et le plus étanches possible, de manière à empêcher qu’un juge qui préside l’audience de règlement amiable ne soit pas le même que celui qui homologue la transaction ou s’acquitte du règlement juridictionnel du litige.

41. Il en va en réalité de la réussite de cette réforme, qui répond à un réel besoin.

Sandra Karen Morin
Avocat - Membre des barreaux de Paris et du Québec (Montréal)
Associée gérante
SK.M Cross Borders - Avocats
smorin chez skm-crossborders.com
www.skm-crossborders.com

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[1Rendre justice aux citoyens - Rapport du Comité des États généraux de la justice https://www.vie-publique.fr/rapport/285620-rapport-du-comite-des-etats-generaux-de-la-justice-oct-2021-avril-2022

[3Comme nous le verrons ci-après, ces taux de réussite parfois portés à 80% sont à relativiser si l’on se fie au Tableau récapitulatif des conférences de règlement à l’amiable (CRA) https://courduquebec.ca/fileadmin/cour-du-quebec/centre-de-documentation/statistiques/CompilCRAcivil_2017_2018.pdf

[4Les Petites Affiches Article du 14.01.2023 https://www.petitesaffiches.fr/actualites,069/droit,044/eric-dupond-moretti-au-tribunal,26776.html - Éric Dupond-Moretti au Tribunal judiciaire de Grasse, “pilote en matière de médiation”.

[5C’est notamment le cas en matière de filiation, de délégation de l’autorité parentale.

[6Articles 2062 à 2068 du Code civil et articles 1528 à 1571 du Code de procédure civile (Livre V : La résolution amiable des Différends), en ceux compris les articles 1542 à 1564-7 sur la procédure participative.

[7CE, 6e et 5e ch. réunies, 22 septembre 2022, n°436939, Conseil national des barreaux et autres et Syndicats des avocats de France et autre, Lebon T, Ariane Web : Conseil d’État 436939, lecture du 22 septembre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:436939.20220922 Décision n° 436939 https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2022-09-22/436939

[8Art. 131-3 du Code de procédure civile.

[9L’annulation du Décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, consacrant feu l’article 750-1 du Code de procédure civile, va dans le sens de ce qui existe au Québec. En effet, le processus de médiation judiciaire ne peut être imposé aux parties, même si l’on peut le leur recommander.

[10Voir notamment les Règles de la Cour d’appel du Québec en matière criminelle (TR/2018-96) https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/reglements/TR-2018-96/page-1.html?wbdisable=true.

[11En vigueur depuis 2014. Cet article modifie les art. 151.14 et 151.15 du Code de procédure civile ayant institué la CRA dans le texte de 2002.

[12Viconte Inc. c. Transcontinental Inc., 2020 QCCQ 1475 ; 2020EXP-1182 (C.Q.) ; EYB 2020-351760 (C.Q.).

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