Pourquoi les projets de réforme de la justice sont-ils mauvais ? Le point de vue d’un avocat, par Véronique Levrard

1529 lectures 1re Parution: Modifié: 3.5  /5

Explorer : # réforme judiciaire # protection des justiciables # gratuité de la justice # contractualisation forcée

-

L’objectif des projets de réforme de la Justice du gouvernement est de faire des économies budgétaires, en déplaçant le coût que représentent ces procédures, vers le justiciable (qui devrait payer le notaire pour divorcer, alors que le Juge est gratuit et de libre accès), et vers les Collectivités Locales (qui financent les Maisons de Justice et du Droit, qui deviendraient, elles, des lieux de Justice, sans être pour autant être gérées par des professionnels du droit).

Au-delà des impacts économiques, c’est le fond des réformes qui est mauvais, car elles visent à la suppression pure et simple du Juge, et à une contractualisation forcée de la société civile.

Au-delà du contentieux familial, c’est le système judiciaire en son entier qui est mis à mal, ainsi que les fondements de la société, dont la famille.

Si on peut estimer que des réformes sont nécessaires pour mieux réguler la demande de droit, simplifier les procédures, en réduire la durée, opérer des rapprochements entre les professionnels de Justice, le système judiciaire et le justiciable ne doivent pas être sacrifiés.

Après une réforme de la carte judiciaire effectuée au pas de charge, sans consultation et d’une grande brutalité à l’égard des élus et des professionnels du droit, la réforme de la Justice ne passe certainement pas par la suppression du Juge, comme elle est envisagée pour le droit du travail, le contentieux des délits routiers ou le droit de la famille…

Le Juge est le protecteur naturel de la famille, et plus généralement du plus faible. Parce qu’il est indépendant, qu’il intervient gratuitement dans l’intérêt des justiciables, le Juge est le seul professionnel du droit capable d’un jugement à la fois éclairé et impartial.

Il garantit l’humanité et la cohérence de la décision, que ne garantiraient ni l’application de barèmes, ni l’éclatement des compétences.

Le Juge doit prendre en compte l’ensemble des éléments d’une situation concrète (humains et patrimoniaux), pour aboutir à une décision équilibrée.

Le modèle qui sous tend les réformes annoncées est celui du « tout contractuel », dans tous les domaines ; la règle de droit et le Juge apparaissant comme une insupportable contrainte à la liberté des parties.

Mais l’égalité des acteurs est une fiction, et la protection du plus faible est une nécessité, un devoir de la Justice et de l’Etat.

Le plus faible risque de se retrouver « entre les mains » du plus fort, sans protection. Et quel sort fera-t-on aux droits de l’enfant ? Quel contrôle sera exercé sur les accords ?

Les plus fortunés seront certainement séduits par le système, quitte à payer plus cher ; ils en ont les moyens.

Mais les justiciables modestes seront nécessairement lésés !

***

Les questions posées aujourd’hui par la Chancellerie en matière de divorce ne sont pas nouvelles : les travaux préparatoires à la réforme en 2004 les avaient abordées pour finalement écarter les solutions purement contractuelles, après réflexion et concertation avec les professionnels.

Vouloir à nouveau réformer ce contentieux, sans avoir tiré le bilan des 3 années d’application de la Loi, n’a pas de sens, alors que les praticiens s’accordent à considérer que le bilan de cette Loi est globalement positif, et que l’on n’en a pas épuisé toutes les ressources.

Ces réformes, en affaiblissant le contrôle « a priori », risquent d’induire un accroissement des contentieux subséquents, post divorce, notamment. Elles ne seraient donc pas profitables pour l’Etat à long terme, et ne règleraient certainement pas le problème d’engorgement des Tribunaux.

C’est encore le principe de gratuité de la Justice qui est mis à mal, si on supprime le Juge et transfère ses compétences vers un professionnel payé, par les parties, ou seulement l’une d’entre elles (reviendrait on au système des Epices ?).

A moins que les Collectivités Locales, par le biais des Maison de Justice et du Droit, ou des Associations qui se verraient déléguer la mission de Justice, ne soient contraintes d’en assurer le financement, afin d’assumer un pouvoir régalien dont l’Etat entend se désengager.

Mais en ont-elles les moyens ? Et à défaut, qui l’assumera ? Quels seraient les garde-fous pour contrôler le respect de l’intérêt des justiciables, la bonne application du droit, ou le caractère impartial des décisions, qui ne seraient pas prises par des professionnels du droit ?

***

Alors que les projets prétendent vouloir rapprocher la Justice des Français, ils risquent au contraire de les en éloigner.

Alors qu’ils disent vouloir déjudiciariser des contentieux « sans difficultés juridiques particulières », ils oublient les difficultés sociales et humaines, que seul le Juge peut trancher.

Le droit de la famille participe à la paix sociale, et fait partie du contrat social ; il est d’ailleurs d’ordre public. Le sortir de la sphère judiciaire fait courir un risque à la société, au moment elle s’inquiète de la délinquance de ses enfants, et de la responsabilité de leurs parents.

Dans un contexte où l’exécutif a tendance à passer outre voire à affaiblir le pouvoir législatif et l’autorité judiciaire, les Avocats, en tant que professionnels du droit, et défenseurs des liberté publiques, doivent être vigilants.

Afin que la réforme de la Justice annoncée ne sacrifie pas les principes fondamentaux de notre droit sur l’autel d’une prétendue rentabilité.

Véronique LEVRARD

Avocate à ANGERS

Liens :

http://www.avocats.fr/space/veroniq...

http://www.avocats.fr/space/justice...

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27868 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs