À peine installé Place Vendôme, Gérald Darmanin, nommé la veille garde des Sceaux du nouveau gouvernement Bayrou, se rend le 25 décembre dans les Hauts-de-France où il visite le Palais de justice d’Amiens (Somme) et le Centre pénitentiaire de Liancourt (Oise, 588 détenus).
Lors d’un échange avec la presse, l’ancien ministre de l’Intérieur réaffirme son objectif de rendre la justice « plus ferme et plus rapide » en la dotant de plus de moyens humains et financiers. « Cette rapidité passe par plus d’effectifs, plus de greffiers et plus de magistrats », précise-t-il, cité sur franceinfo.
Augmenter le budget
Bien que la dette publique n’ait jamais été aussi préoccupante, Gérald Darmanin assure pourtant qu’il « compte bien obtenir des crédits supplémentaires » auprès d’Amélie de Montchalin, nouvelle ministre des Comptes publics, lors de leur premier entretien « officiel » du 30 décembre, consacré à ce « dossier extrêmement important ».
« Nous devons augmenter le budget du ministère de la Justice », insiste le garde des Sceaux, toutefois disposé à se montrer « raisonnable » compte tenu des économies drastiques qu’impose le déficit colossal du pays.
Fin octobre, Didier Migaud, son prédécesseur resté en poste pendant trois mois, avait pour sa part obtenu une rallonge de 250 millions d’euros (M€) dans le cadre du projet de budget 2025, diminuant de plus de la moitié le sérieux coup de rabot de 483 M€ initialement prévu par Bercy.
« Nettoyer les prisons »
Alors qu’il est l’invité du JT de 20 heures sur TF1, Gérald Darmanin annonce le 26 décembre une série de propositions en faveur d’une justice « plus ferme, plus intense ». Il veut, entre autres, « nettoyer les prisons » en les débarrassant des portables « des détenus qui, pour une partie d’entre eux, continuent leurs trafics, gèrent leurs points de deal ou commandent des assassinats » depuis leurs cellules.
« C’est inacceptable et aucun Français ne peut le comprendre », s’insurge le ministre, qui prône le déploiement d’« opérations "place nette" dans les prisons » et la généralisation des « solutions technologiques » permettant « le brouillage du réseau téléphonique dans tous les établissements pénitentiaires ».
En 2023, 53 000 téléphones mobiles et appareils associés avaient été saisis dans les établissements pénitentiaires, soit 30 000 de plus qu’en dix ans, d’après Joaquim Pueyo, l’ancien directeur de Fleury-Mérogis, Fresnes et Bois-d’Arcy interrogé en octobre dernier sur RTL.
Allonger certaines gardes à vue
Amené à s’exprimer sur l’affaire retentissante des viols de Mazan, le garde des Sceaux propose d’étendre de 48 à 72 heures la garde à vue des mis en cause « dans les cas de violences sexuelles aggravées et les féminicides ». « Ça permet , développe-t-il, de mettre en protection la femme qui a été menacée, violentée, agressée. Ça permet de faire les constatations de police technique et scientifique et ça permet d’interroger plus longuement la personne. »
Des structures adaptées aux courtes peines
Gérald Darmanin souhaite encore l’exécution immédiate des décisions des juges rendues « un, deux, voire trois ans après les faits » pour éviter que les peines ne soient effectuées qu’« un, deux, voire trois ans » après avoir été prononcées. « Le problème de la justice, c’est sa lenteur », estime d’ailleurs le ministre.
Pour une « exécution plus efficace des peines courtes », il préconise la création « un peu partout sur le territoire » de « plus petits centres de détention », « à taille plus humaine », spécialement adaptés « à des gens qui vont y passer quelques mois, quelques semaines ou quelques jours », volontairement éloignés des détenus lourdement condamnés « pour des crimes plus graves ».
L’initiative, qui répond au besoin de s’acquitter « très rapidement » d’une peine pour des raisons « pédagogiques », contribue également à la prévention de la récidive. Le garde des Sceaux prévoit en outre de faire appel aux élus locaux pour créer ces futures maisons d’arrêt.
Les « gros » narcotrafiquants voués à l’isolement
Deux jours plus tard, le ministre se déclare d’autre-part favorable à « un isolement renforcé en prison des 100 plus grands narcotrafiquants » dans un long entretien auprès du Parisien qui, le 28 décembre, détaille sa feuille de route « dans un contexte politique et budgétaire incertain ».
« J’ai demandé à l’administration pénitentiaire de me faire la liste des 100 plus grands narcotrafiquants écroués, ceux susceptibles d’avoir des contacts à l’extérieur pour poursuivre leurs activités criminelles », explique Gérald Darmanin, cité par le quotidien.
« Nous les mettrons à l’isolement comme on le fait pour les terroristes », promet-il, précisant que cette mise à l’écart ne sera pas « classique », mais calquée sur « le modèle appliqué aux plus terroristes les plus dangereux que nous avons arrêtés ».
Au fil des réactions...
Les avocats restent vigilants...
Selon Julie Couturier, Présidente du CNB : « Les 76 000 avocats attendent des actions concrètes pour garantir une justice accessible et efficace. La défense de l’État de droit, pilier de notre démocratie, doit être au cœur des priorités. » (le 23 décembre sur X)
Pour le Syndicat des avocat(e)s de France (SAF), « les craintes se confirment lorsqu’ à peine une demi-heure après sa nomination, le garde des Sceaux annonce que la fermeté, la rapidité et la proximité guideront son action pour défendre les victimes ».
L’organisation professionnelle déplore en outre que le ministre n’ait eu « aucun mot pour la justice qui n’est toujours pas réparée », ni « aucune parole pour tou.tes les justiciables en attente de justice ». (Extrait de « Garde des Sceaux : la nomination de la honte », un texte publié le 24 décembre sur le site lesaf.org)
La Fédération nationale des Unions de jeunes avocats (FNUJA) tient pour sa part à « rappeler au nouveau ministre de la Justice son engagement à défendre un exercice digne de la profession d’avocat, et du droit de manière générale ». Le syndicat national rappelle par ailleurs « avec fermeté » que « la Justice est la même pour tous » et qu’« elle ne prend parti pour aucun camp ».
« Son seul devoir est d’assurer le respect des droits de tous les justiciables », réaffirme la Fédération, qui veille scrupuleusement à ce que « l’indépendance des magistrats, le respect des droits de la défense et la protection des libertés publiques [ne soient pas] altérés par des injonctions – populistes – de sévérité ». (D’après un communiqué diffusé le 27 décembre sur Facebook)
… Les magistrats ne s’avouent guère convaincus
Ludovic Friat, Président de l’Union syndicale des magistrats (USM) : « Je n’ai pas envie de dire que c’était une bonne ou une mauvaise nouvelle... Ça a été une surprise, ça, c’est certain. C’est sûr que, dit comme ça, Monsieur Darmanin à la tête du ministère de la Justice, cela peut paraître antinomique. On peut espérer que les habits de garde des Sceaux feront que Monsieur Darmanin mettra ses compétences et ses capacités au service de l’institution judiciaire ».
« Le premier de ses travaux d’Hercule, poursuit-il, ça va être de faire aussi bien que Didier Migaud en matière de budget (...). Ça nous permettait notamment de pouvoir faire les recrutements importants qui sont attendus ». (le 23 décembre sur franceinfo)
Le Syndicat de la magistrature s’interroge, quant à lui, dès le lendemain de la nomination du ministre : « Après l’avoir si souvent entendu prendre le parti de la police contre la justice, comment croire à sa volonté affichée de défendre l’institution judiciaire et de protéger sa mission constitutionnelle ? Les magistrates et les magistrats ne peuvent qu’être extrêmement inquiets de le voir, encore tout imprégné de la place Beauvau, arriver place Vendôme. » (D’après « Ça sent le sapin », un communiqué de presse daté du 24 décembre)
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