Heures supplémentaires : gare à leur récurrence. Par Marie Bacq-Morelle, Avocate.

Heures supplémentaires : gare à leur récurrence.

Par Marie Bacq-Morelle, Avocate.

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Explorer : # heures supplémentaires # modification du contrat de travail # droit du travail # consentement du salarié

La gestion du temps de travail du salarié embauché selon un régime horaire constitue un enjeu majeur de la vie de l’entreprise, ce que rappelle une nouvelle fois la Cour de cassation dans un arrêt du 8 septembre 2021 (n°19-16.908).

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Dans cette affaire, un salarié avait été contractuellement embauché selon un horaire hebdomadaire de 35 heures.

Par note de service ultérieure, son employeur a reporté son heure de départ de 50 minutes par jour, ce qui conduisait le salarié à réaliser de façon systématique non plus 35 heures de travail hebdomadaire, mais 39 heures.

Dans ce contexte, se posait la question de savoir si cette récurrence constituait une modification du contrat de travail et, dans l’affirmative, si le salarié était en droit de la refuser.

A ces deux interrogations, la Cour de cassation répond par l’affirmative et confirme une décision ancienne et isolée [1].

Vigilance est donc de mise pour l’employeur qui demande à ses salariés d’effectuer de façon systématique des heures supplémentaires au-delà de la durée contractuellement convenue : plus qu’un simple changement des conditions de travail, cette récurrence est une modification contractuelle à laquelle le salarié doit consentir.

La récurrence des heures supplémentaires, plus qu’un simple changement des conditions de travail, une véritable modification du contrat.

Il est rappelé que, dans le cadre de ses pouvoirs d’organisation et de direction et s’il le fait pour les besoins de son entreprise, l’employeur peut en principe imposer à ses salariés la réalisation d’heures supplémentaires.

Il est d’ailleurs fréquent que les contrats de travail incluent une clause prévoyant que des tâches ponctuelles additionnelles pourront être sollicitées par l’employeur.

Cette demande ne constitue pas une modification du contrat de travail, mais un simple changement des conditions de travail que le salarié ne peut pas refuser, sauf à s’exposer à une sanction disciplinaire.

Ce principe trouve une exception : si l’accomplissement d’heures supplémentaires sollicité par l’employeur revêt un caractère systématique, il s’agit d’une modification contractuelle.

C’est ici la récurrence et la régularité des heures supplémentaires imposées par l’entreprise qui constituent, pour la Cour de cassation, la modification contractuelle.

Si le cas d’espèce concerne la situation où la récurrence des heures supplémentaires résulte d’une note de service collective, on peut aisément imaginer qu’elle soit transposable à toute décision prise dans le cadre d’une charte, d’un règlement, voire de toute consigne adressée en ce sens à un salarié à titre individuel (notamment par voie de lettre, mail, etc.).

La même logique semble devoir s’appliquer lorsque la récurrence des heures supplémentaires résulte uniquement de la pratique, sans être entérinée par un support écrit émanant de l’employeur, mais le salarié se heurtera alors à une difficulté probatoire pour faire valoir ses droits en justice.

La récurrence des heures supplémentaires, une modification contractuelle non sans conséquences

Si la réalisation systématique d’heures supplémentaires constitue une modification contractuelle nécessitant l’accord exprès du salarié, celui-ci peut légitimement refuser d’y adhérer.

C’est ce que confirme ici la Cour de cassation : l’employeur qui impose à ses salariés d’accomplir de façon récurrente des heures supplémentaires, de telle sorte que leurs contrats s’en trouvent modifiés, ne peut pas sanctionner ceux qui refuseraient de s’y soumettre.

Tout licenciement prononcé pour ce motif serait ainsi privé de cause réelle et sérieuse (tel est le cas en l’espèce) et toute autre sanction prise sur ce fondement serait illégitime.

On peut par ailleurs aisément imaginer que l’employeur qui entend imposer une telle modification de contrat malgré le refus de son salarié s’expose à ce que son comportement soit considéré comme un manquement grave à ses obligations contractuelles de nature, le cas échéant, à justifier une rupture à ses torts.

Qu’en est-il par ailleurs de la situation du salarié qui accomplirait sans objection les heures supplémentaires récurrentes imposées par son employeur ?

Pourrait-il revendiquer un droit acquis à de telles heures supplémentaires en considérant qu’elles ont, de fait, été contractualisées ?

Autrement dit, l’employeur qui imposerait à ses salariés l’accomplissement récurrent d’heures supplémentaires pourrait-il ensuite librement y renoncer de façon unilatérale sans obtenir l’accord de ses salariés pour ce faire ?

La question n’est, à ce jour, pas tranchée mais se doit d’être sérieusement considérée.

En effet, si les tribunaux venaient à considérer que la réalisation récurrente d’heures supplémentaires a pour effet de contractualiser celles-ci, il sera alors impossible à l’employeur de faire librement marche arrière, sauf à s’exposer :
- à ce que cette suppression unilatérale, qui entraine une baisse corrélative de la rémunération du salarié, soit considérée comme un manquement grave et fautif aux obligations contractuelles ;
- à ce qu’un tel manquement justifie une rupture du contrat à ses torts notamment par la voie d’une prise d’acte ou d’une action en résiliation judiciaire du contrat avec l’ensemble des conséquences indemnitaires y attachées ;
- aux rappels de salaires et de congés payés afférents.

Il faudra bien évidemment que le salarié introduise une action en justice pour que ces indemnités et rappels de salaire lui soient accordés.

Par cet arrêt, la Cour de cassation renforce son édifice jurisprudentiel relatif à la gestion du temps de travail, qu’elle rend plus contraignante pour les entreprises.

Si ces dernières demeurent ainsi en droit de solliciter d’un salarié qu’il réalise des heures supplémentaires, c’est sous couvert qu’une telle demande n’ait pas pour effet de contourner les termes du contrat et de priver le salarié de son droit de dire non à une augmentation pérenne de son temps de travail.

Marie Bacq-Morelle, avocate à la Cour
Barreau de Paris

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Notes de l'article:

[1Cass. Soc. 16 mai 1991, n°89-44.485.

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