Histoire de la prison militaire américaine de Long Binh.

Par Vincent Ricouleau, Professeur de Droit.

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En 1968, la prison militaire de Long Binh, au Vietnam, est le théâtre d'une révolte massive. Les tensions raciales et les conditions de vie difficiles exacerbent la colère des détenus, entraînant des émeutes violentes. Cette révolte met en lumière les problèmes de l'armée américaine pendant la guerre du Vietnam.
Description rédigée par l'IA du Village

La guerre du Vietnam. Si présente, si évoquée et si citée dans les débats sur les conflits. Comment les soldats américains réfractaires, déserteurs, toxicomanes, insubordonnés, auteurs de délits, de crimes, sont incarcérés dans la prison militaire américaine de Long Binh. Comment ses détenus se révoltent le 29 août 1968. Comment un droit militaire contesté peut-il remettre dans le droit chemin tant de révoltés. Comment peut-on gagner une guerre dans un tel contexte. Quelques rappels dans cet article.

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29 aout 1968. L’année du singe. C’est l’histoire de la plus grande révolte, dans la plus grande prison de l’armée américaine au sein de la plus grande base américaine pendant la guerre du Vietnam. 1 766 910 hommes (chiffre le plus cité), la plupart très jeunes, dont beaucoup sont afro-américains, avec un parcours de vie difficile aux Etats-Unis, sont mobilisés pour se battre au Vietnam entre aout 1964 et décembre 1972, dernier mois avant la fin du système de conscription. Pour eux, le Vietnam est un monde totalement étranger. La priorité, avoir un MOS (military occupational specialty - spécialité militaire) autre que le 11B. Le 11B est celui du soldat d’infanterie signifiant généralement la première ligne. La question est très vite de savoir où est le front. Mais aussi comment survivre.

Au fur et à mesure des combats, l’armée américaine doit faire face aux insubordinations, aux refus de combattre, aux tensions raciales, aux vols, au trafic de drogue, à toutes les addictions, aux viols, aux meurtres, aux fraggings, aux désertions, aux troubles psychologiques, aux conséquences du stress post traumatique, aux conflits raciaux, aux AWOL (absent without leave - absences sans autorisation) mais aussi aux graves erreurs de commandement. Le livre de Cecil B. Currey "Long Binh Jail : an oral history of Vietnam’s notorious U.S. military prison" et ses archives à la bibliothèque de l’université de Fort Hays (Kansas) sont d’excellentes sources. Le nom officiel de cette prison militaire est "US Army Vietnam Installation Stockade" avec comme sigle "USARVIS". Dans la pratique, on l’appelle "LBJ" (initiales de Lyndon Baines Johnson, président de 1963 à 1969) ou "The Stockade". Elle est située au Vietnam du Sud dans la province de Dong Nai. Il y a bien longtemps, celle-ci faisait partie du royaume khmer. Capitale actuelle, Bien Hoa. Traversée par le fleuve Dong Nai et ses multiples rivières, cette province est infiltrée par le Viêt-cong (abréviation de Viêt Nam et congsan, rouge, nom donné aux communistes et à leurs alliés regroupés en 1960 dans le Front national de libération - FLN -).

Si les Viêt-congs sont discrets le jour, la nuit leur appartient totalement. Nous sommes à 20 km au nord-est de Saïgon, à 7 km de la base aérienne américaine de Bien Hoa. Les Français ont créé les bases de Tan Son Nhut et de Bien Hoa. Celle de Long Binh est une création purement américaine. La prison de l’armée américaine est jusqu’en 1966, à Pershing Field, dans le périmètre de Tan Son Nhut. Le nombre de soldats américains en détention provisoire ou condamnés par une cour martiale, augmente sans arrêt. 34 000 soldats auraient été jugés par une cour martiale pendant la guerre du Vietnam. Le transfert de l’établissement pénitentiaire s’impose, là où il y a de la place, c’est-à-dire à Long Binh. La base naît en 1966 de travaux gigantesques de génie civil, de défrichement, de déforestation, de construction, pendant des mois. Elle concentre un commandement américain soucieux de ne pas se disperser avec ses ramifications. Long Binh semble avoir été un chantier permanent, jamais totalement achevé. Le Viêt-cong en fait immédiatement une cible. Il s’infiltre. Il bombarde de roquettes à tout moment. Il sabote. Il tue avec ses snipers. Il tend des embuscades. Il espionne avec le personnel civil vietnamien. Les sapeurs veulent planter leur drapeau sur Long Binh comme ils l’ont fait à Dien Bien Phu. Ils font sauter le dépôt d’explosifs à plusieurs reprises. Pendant l’offensive du Têt en janvier 1968 mais aussi en 1969, c’est l’enfer pour les soldats américains de la base, dont certains n’ont jamais vraiment combattu. La logistique au Vietnam accapare en effet la majorité des militaires.

La base de Long Binh accueille entre 50 000 et 60 000 occupants. Les multiples spécialités militaires regroupées sont impressionnantes. Tout ce dont une armée nécessite, semble réuni sur cette base. Sur le site de la bibliothèque du congrès des Etats-Unis, division géographie et cartographie, deux cartes datant de 1972 de Long Binh, sont publiées avec des légendes. Résultat du travail de la 66e compagnie du génie, surnommée Topo Corps, elles servent de guide précieux au personnel et aux usagers de la base. Il est facile de s’égarer à Long Binh.

En théorie, le soldat américain ne manque de rien. La base s’équipe de tout au fur et à mesure. Médecins, dentistes, restaurants, snacks-bars, bureaux de poste, terrains de basket, de football, terrains de golf, piscine, succursale bancaire de la Chase Manhattan, dancing, salons de massage, bowling. En pratique, bien souvent, le soldat veut une seule chose, rentrer chez lui.

La nouvelle prison de Long Binh n’est pas plus accueillante que celle de Pershing Field à Tan Son Nhut même si elle est plus grande. Les conditions de détention restent très difficiles. Le climat vietnamien est ce qu’il est, chaleur, pluie, humidité. Les prisonniers vivent dans des tentes. Au début, il y a 8 prisonniers par tente en 1966. Il y en a 14 en aout 1968. Les effectifs augmentent de plus en plus. Tous connaissent leur DEROS (Date eligible for return from overseas), leur date de retour au pays. Sauf que le temps de détention n’est pas déduit dès 365 jours et des contrats d’enrôlement. Passer en cour martiale demande du temps. Il faut préparer le dossier au fond et en appel, devant les différentes commissions. Avocats militaires, juges militaires, greffiers ont du mal à assumer des tâches de plus en plus nombreuses. Sanctionner sans discernement pose problème. Ne pas sanctionner suffisamment, aussi.

La hiérarchie militaire s’inquiète évidemment des tensions raciales. Martin Luther King, prix Nobel de la paix en 1964, est assassiné le 4 avril 1968 à Memphis dans le Tennessee. Son discours "I have a dream" le 28 août 1963 a un retentissement mondial. Il s’engage contre la guerre du Vietnam. Les Civil rights acts de 1964, le Voting Right Act de 1965 ne suffisent pas à apaiser les tensions raciales systémiques. Le Civil Rights Act du 11 avril 1968, signé par le président Lyndon Baines Johnson, suite aux émeutes après l’assassinat de Martin Luther King, est censé compléter l’arsenal de textes visant à réduire la ségrégation. Certains détenus noirs, militants, n’oublient pas le discours de Martin Luther King à New York, "Au delà du Vietnam, l’heure de briser le silence", le 4 avril 1967, où à la fin, point 5, il demande la fixation d’une date pour retirer toutes les troupes étrangères du Vietnam, conformément à l’Accord de Genève de 1954. Le 30 avril 1967, à Atlanta, en Georgie, il prononce le discours "Pourquoi je suis opposé à la guerre du Vietnam".

John Edgar Hoover (1895-1972), patron du FBI, combat les mouvements de révolte des afro-américains. Les assassinats de Malcolm X et de Martin Luther King ne sont pas élucidés. Les tensions raciales fragilisent la société américaine, tant sur le territoire national que dans l’armée au Vietnam.

De 400 détenus dans la prison de Long Binh, on passe à plus de 700 puis à 1 000 selon Cecil B. Currey avec une très forte majorité de détenus noirs. Chaque prisonnier bénéficie en moyenne de 3,5 mètres carrés. La promiscuité. L’hygiène. La nourriture. Les tensions raciales. Les addictions. Les violences. Le désespoir. La toxicomanie. La situation se dégrade de jour en jour. Les contrevenants aux règlements sont condamnés à rester dans des conteneurs Conex de 1,8 m sur 2,7 m. C’est la terrible zone Silver City, le périmètre des punis, où les détenus se délabrent un peu plus physiquement et psychiquement. Les Conex accueillent jusqu’à huit hommes. Chaque cellule est équipée d’une moustiquaire, d’une couverture, d’une bible et d’un seau. Les lits de camp sont confisqués avant l’aube. Aucun détenu n’a d’endroit où s’asseoir ou s’allonger. Les gardiens sont des soldats, sans formation pénitentiaire. Le prisonnier doit rejoindre son unité après avoir purgé sa peine. On imagine les difficultés. La supervision directe de LBJ relève normalement de la 557e compagnie de police militaire du 95e bataillon de police militaire.

A cette époque, le fonctionnement de la police militaire n’est pas très simple. La prison de Long Binh n’aurait pu fonctionner sans la 18e brigade de police militaire composée de 5 000 hommes. Activée le 14 juin 1966 à Fort Meade, elle est opérationnelle au Vietnam le 26 septembre 1966. Le 8e groupe de police militaire est spécialisé dans les enquêtes criminelles. Elle participe outre ses missions classiques de police, en 1967, aux opérations Cedar Falls, Junction City, Thayer II, Billings, Paddington, Emporia. La 18e brigade de police militaire va se battre pendant l’offensive du Têt. Elle se voit même confier la supervision d’une zone de responsabilité tactique (TAOR) de 22 miles carrés. C’est la première fois qu’une unité de police militaire se voit confier une TAOR dans une zone de combat. En juillet 1970, la 25th division d’infanterie prend le relais. Les membres de la police militaire sont-ils à même de s’occuper correctement des détenus, probablement pas. Leur mission première, les garder afin qu’ils ne s’évadent pas. Pas plus.

Il faut lire "la politique de l’héroïne en Asie du Sud-Est" de Alfred Mc Coy et les travaux de Lee Nelken Robins pour comprendre l’impact de la drogue parmi les soldats. L’héroïne, la marijuana, le quaalude binoctal, l’alcool, compliquent tout. L’humiliation d’être fouillé à nu (strip-searching) afin de confisquer les substances, accélère la révolte. Celle-ci a été quelque peu préparée. Un détenu afro-américain condamné à six mois de détention pour désertion, chargé de brûler les excréments avec du diésel, ramène du carburant dans la prison. La destruction se fera par le feu. Certains détenus ont plus le projet de s’évader que de participer à une révolte. En cas de réussite, les afro-américains rejoignent Soul Alley, un quartier formé de quelques rues, non loin de Tan Son Nhut, où trafics de tout genre et drogues pullulent. D’autres ont une fiancée vietnamienne, qui les guide à travers les autres quartiers de Saigon, ville tentaculaire, où la police militaire ne s’aventure pas. D’autres évadés franchissent la frontière du Cambodge. Beaucoup rêvent de rejoindre Bangkok.

Dans la nuit du 29 aout 1968, c’est l’explosion. Vers 23h45, un gardien est agressé. Tout s’enchaîne. Tentes, matelas, poubelles, réfectoires, bâtiments administratifs, sont incendiés. Les détenus veulent tout détruire. La violence entre les détenus blancs et noirs est extrême. Tout ce qui peut servir comme arme, planches, objets divers, morceaux de clôture, est utilisé. Par chance, les détenus ne s’emparent pas d’armes à feu. Quatre prisonniers s’évadent, profitant du chaos. Un prisonnier, Edward Haskett, de Saint-Petersburg en Floride, décède, battu à mort à coups de pelle.

L’ordre est donné de reprendre le contrôle du camp. Le colonel Johnson et le lieutenant Talps pénètrent dans l’enceinte. Leur but, tenter de négocier l’arrêt des destructions et des affrontements. Ensuite, tenter de discuter pour améliorer les conditions de détention. Mais Johnson, blessé gravement à la tête, n’est plus en mesure de commander. Les deux gradés sont passés très près du drame. Police militaire et pompiers sont là, attendant les ordres. Certains prisonniers ne participent pas ou plus aux émeutes. La police militaire arrive à les extraire de la prison. Ils gagnent un terrain la jouxtant, sous haute surveillance. Seuls restent dans la prison de Long Binh les plus extrêmes.

Le lieutenant-général Frank T. Mildren, commandant adjoint de l’USARV, confie le commandement au lieutenant-colonel Baxter M. Bullock. Les hommes du 720e régiment de police militaire sont prêts. Le lieutenant-colonel Eugene Trop, autre officier expérimenté de la police militaire, assiste Murdock. Leur discernement permet sans aucun doute de sauver de nombreuses vies. Ce n’est pas en tirant sur les détenus qu’on fait disparaitre la polytoxicomanie et les affrontements raciaux. Le 31 aout, la révolte touche l’institution militaire. Les hommes de la 720e brigade de police militaire sont bombardés de projectiles et insultés. Ils représentent tout ce que les détenus haïssent.

Dans la soirée du 31 aout, plusieurs camions chargés de couvertures, de lits de camp, de nourriture, d’eau, pénètrent dans l’enceinte. Le déchargement et l’évacuation des véhicules se font dans une extrême tension. Les policiers militaires sont prêts à tirer. Certains détenus incendient alors les provisions venant d’être apportées. Pendant quelques semaines, la situation reste insurrectionnelle. Progressivement, les détenus se calment. Quiconque continue à se rebeller est également accusé de tentative d’évasion. Telle est la menace du commandement militaire. Aucun détenu ne veut prolonger sa peine. Tous les prisonniers ne rêvent que d’une chose, quitter ce double enfer du Vietnam et de Long Binh.

Le soulèvement fait officiellement 63 blessés parmi les policiers militaires et 52 parmi les détenus. Haskett est le seul mort. Le bilan aurait pu être beaucoup plus lourd. Rien sur la santé psychique des détenus, mais on imagine les complications d’états antérieurs déjà pathologiques.

129 cours martiales jugent les insurgés pour évasion, tentative d’évasion, meurtre, agression contre un supérieur, coups et blessures volontaires, voies de fait graves, mutinerie, incendie criminel aggravé, vol et destruction volontaire de biens publics, consommations de stupéfiants et autres infractions. Il est à noter que le retentissement médiatique est faible. L’armée n’est pas réticente à donner des informations. Sauf que les correspondants de presse, selon elle, ne sont pas friands d’informations. Pour l’armée, la cause est entendue. Il s’agit essentiellement de tensions raciales. Ce qui est logique compte tenu de ce qui se passe aux Etats-Unis. Une cause indépendante des raisons de la guerre du Vietnam et des conditions de combat des soldats américains. Mais qui peut ignorer la réalité sur le terrain ? L’institution militaire veut éviter à tout prix d’autres révoltes. La prison militaire des Marines à Danang connaît aussi de graves révoltes avec des tensions raciales. L’objectif du commandement américain, apaiser pour ne pas risquer un mouvement de révolte combiné et général.

Beaucoup d’écrits circulent pour réformer le droit militaire et ses sanctions. Mais qu’est vraiment ce droit militaire si redouté ? L’Uniform Code of Military Justice (UCMJ), le Code unifié de justice militaire est la source légale du droit militaire américain. L’UCMJ est voté par le Congrès le 5 mai 1950 puis ratifié par le président Harry S. Truman (1884-1972). Il entre en vigueur le 31 mai 1951. Il fait partie du titre 10 (sous-titre A, partie II) du chapitre 47 de l’United States Code. Sa version actuelle sur papier se trouve dans la dernière version du Manual for Courts-Martial (Manuel à l’usage des cours martiales, édité en 2005). Il est subdivisé en douze sous-chapitres. Trois cours martiales existent, la cour martiale simple, spéciale et générale. La cour martiale générale peut condamner à mort. Le droit militaire américain a bien sûr évolué depuis la guerre du Vietnam.

De nombreux soldats sont condamnés à Long Binh sur le fondement de l’article 15. L’article 15 du Code uniforme de justice militaire vise à donner aux commandants militaires, un moyen rapide, efficace et facile, de punir ceux qui commettent des infractions mineures, de maintenir la discipline, de dissuader les mauvaises conduites. Les sanctions autorisées par l’article 15 sont limitées et généralement moins sévères que celles qui peuvent être imposées par une cour martiale. Contrairement à une cour martiale, un "article 15" n’est pas considéré comme une condamnation pour une infraction pénale. Toutefois, le nombre de cas où l’article 15 est appliqué au Vietnam, permet de constater la complexité de commander des hommes peu motivés par leurs fonctions au sein de l’armée. Ses applications permettent d’évaluer la tension permanente dans certaines unités. D’autres articles sont beaucoup plus sévères. L’article 85 réprime la désertion. L’article 86 réprime l’absence sans permission. L’article 91 réprime la conduite insubordonnée. L’article 93 réprime la cruauté et la maltraitance. L’article 112 réprime l’usage, la possession, le trafic de drogue. L’article 118 réprime le meurtre. L’article 120 réprime le viol. L’article 121 réprime le vol. L’article 128 réprime les agressions. Les cours martiales condamnent sans faillir.

Les prisonniers condamnés pour les crimes et les délits les plus graves sont transférés à Fort Leavenworth. La caserne disciplinaire des États-Unis (USDB) appelée Leavenworth, située au Kansas, a été construite en 1874. Elle a été reconstruite en 2002. C’est l’une des deux principales prisons construites sur la propriété de Fort Leavenworth, l’autre étant le centre correctionnel militaire régional interarmées du Midwest (Midwest Joint Regional Correctional Facility (JRCF) ouvert en 2010. Le commandement des services correctionnels (ACC) a été créé en 2007. Il est sous le contrôle du prévôt général de l’armée américaine. Pendant la guerre du Vietnam, les prisons militaires, elles, sont sous commandement de la formation et de la doctrine de l’armée américaine et du commandement des forces de l’armée américaine.

Un phénomène qui bouleverse bien des unités est le fragging. Il consiste à tuer un de ses supérieurs considéré comme harceleur ou qui expose inutilement au danger, ou bien, raciste. George Lepre, dans son livre "Why U.S soldiers assaulted their officers in Vietnam" examine plus de 500 cas de fragging avec l’utilisation de grenades à fragmentation par des soldats pour assassiner leurs propres officiers ou par d’autres moyens, mines claymore, armes à feu. Seuls 10% des fraggers ont été identifiés. Il y aurait eu 800 cas de 1869 à 1972, avec 86 morts et 714 blessés. Le commandement américain reconnaît 126 incidents en 1969, 271 en 1970, 333 en 1971. Lepre avance l’hypothèse que les fraggings sont plus nombreux à l’arrière que dans les unités combattantes. Certains détenus de Long Binh sont des fraggers identifiés ou non, ou le deviennent à leur libération.

Beaucoup de débats, au-delà de la prison de Long Binh, concernent la justice militaire et son indépendance. Quand le politique s’immisce dans la justice militaire pour protéger l’institution militaire, elle n’a plus rien de légale. L’année 1968, cette fameuse année de l’offensive du Têt, est ponctuée de nombreuses tragédies. Parmi ces dernières, le 16 mars 1968, le massacre de centaines de civils, femmes et enfants, survient dans le village de Son My, situé dans le district de Son Tinh dans la province de Quang Ngai, au sud de Hoi An. Une tragédie connue sous le nom de My Lai. Le journaliste Seymour Hersh révèle les détails. Le lieutenant Calley, seul Américain à avoir été jugé coupable de ce massacre, est condamné à la perpétuité par une cour martiale. Le président Nixon (1913-1994) le fait libérer au bout de trois ans, en 1974. Calley décède à 80 ans en 2024. Le capitaine Ernest Medina, pour le même massacre, est acquitté en 1971. En 1970, paraissent les 47 volumes rédigés à la demande de Robert McNamara (1916-2009), les fameux Pentagon Papers. Alimentés par Daniel Ellsberg (1931-2023), le New York Times et le Washington Post les publient sous forme d’articles, après une bataille juridique hors norme. La Cour Suprême, dans son arrêt New York Times Co. C. Etats-Unis 403 US 713/1971 autorise la publication en vertu du premier amendement de la constitution. Ces publications contribuent à mieux saisir le contexte de la guerre du Vietnam. Mais les questions persistent dans bien des domaines, notamment dans l’application du droit militaire, face à nombre de crimes de guerre.

La base de Long Binh ferme progressivement en 1972. La prison revient à son point de départ. Elle est transférée à Pershing Field. Le 29 mars 1973, la base est remise aux troupes du Vietnam du sud. Le 30 avril 1975, après la chute de Saïgon, elle est remise aux forces du Vietnam du Nord.

Quant aux soldats toxicomanes, des tests leur sont imposés avant de regagner les Etats-Unis. Des programmes de sevrage et de désintoxication sont proposés, avec peu de moyens. Nombre de soldats rencontrent de dramatiques difficultés d’insertion à leur retour.

Qui pouvait imaginer que Long Binh serait en décembre 2024 la dernière station sur les 14 de la ligne numéro 1 du métro entre Suoi Tien (Long Binh) et le marché Ben Thanh au centre de Saigon. De nos jours, Long Binh fait partie de la ville de Thu Duc, créée en 2020 après la fusion des deuxième et neuvième arrondissement, et de celui de Thu Duc.

Les centaines de commentaires des vétérans sur l’article de Ryan Moore sur la base et la prison de Long Binh publiés sur le site de la bibliothèque du congrès, permettent de comprendre l’ambiance et la vie militaire. On apprend que le défrichement du terrain a été fait notamment à l’aide de l’agent orange. Et que nombre de prisonniers de Long Binh et de soldats en poste à la base souffrent des méfaits de cette terrible substance.

Le drame continue. Les cauchemars aussi. Du côté vietnamien et du côté américain. Il semblerait que la guerre du Vietnam ne soit pas totalement terminée.

A suivre.

Bibliographie sélective.

Collection spéciales de l’Université d’Etat de Fort Hays (Kansas). Archives d’histoire militaire de Cecil B. et Laura G. Currey.
Currey Barr Cécil. "An oral history of Vietnam’s notorious U.S military prison. 1999."
Interview with Vernon Shippee. Fort Hays State University FHSU Scholars Repository. 2 octobre 1990. Cecil B. et Laura G. Currey.
"By the US. General Accounting office report to the Secretary of Defense. Better Administration of The Military’s Article 15. Punishments For Minor Offenses is needed." 84 pages. 2 septembre 1980.
Ronney Z. Miller. "Histoire de la 18e brigade de police militaire - Soutien au combat renforcé pendant la guerre du Vietnam" (26 septembre 1966 – 25 juillet 1970).
Clary Françoise. "L’intégration des Afro-Américains dans les forces armées des États-Unis : l’impact des guerres". Cycnos. 2004. 22 pages.
"Rapport du sous-comité spécial sur les problèmes disciplinaires dans la marine américaine. Congrès des États-Unis. Chambre des représentants. Comité des forces armées". 92e Congrès, 2e session, 1973, HASC 92-81. Washington DC.1973.
Shulimson, Jack. Blasiol Leonard A. Smith Charles R. Dawson David A. "Les Marines américains au Vietnam, l’année décisive 1968".
Cortright David. "Soldats en révolte : la résistance des GI pendant la guerre du Vietnam". Première édition en janvier 1975. Deuxième édition avec une introduction de Howard Zinn (1922-2010).
Catalinotto John. "Retournez les armes : Mutineries, révoltes de soldats et révolutions." Turn the Guns Around. 2017.
Site internet de la police militaire américaine - Fort Lénoard Wood [1].
Moore Ryan. Library of congress. Blogs. Mondes révélés. Géographie et cartes. Long Binh Post et la guerre du Vietnam.
Robins Lee N. "Le retour des toxicomanes au Vietnam. Rapport final. Monographie du Bureau d’action spéciale, série A, numéro 2", mai 1974.
Penley Charles. Laymon Bob. Blog "Buildings. Installations et bâtiments de la base aérienne de Tan Son Nhut". Mai 1968-30 avril 1973.
Lepre Georges. "Why U.S soldiers assaulted their officers in Vietnam". 2011.
Prados John. "Inside the Pentagon Papers", avec Margaret Pratt Porter de VVA. 2004.

Vincent Ricouleau
Professeur de droit - Vietnam

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