Influence commerciale : la loi sanctionne déjà les pratiques trompeuses.

Par Médi Abkari, Avocat.

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Explorer : # pratiques commerciales trompeuses # influenceurs # code de la consommation # publicité mensongère

Alors que l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité le 30 mars 2023 la proposition de loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, il convient de rappeler, en attendant que le texte soit examiné et voté au Sénat, les outils du droit positif permettant déjà de sanctionner les comportements condamnables.

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Si la proposition de loi entend réguler l’activité des influenceurs afin de mieux lutter contre certaines dérives et arnaques, ce secteur d’activité n’évoluait pas dans une zone de non-droit, les dispositions du Code de la consommation ayant déjà pu, en la matière, s’appliquer sans ambiguïté.

Pour une présentation du projet de loi, il sera renvoyé au site vie-publique.fr [1] ou encore au guide des bonnes pratiques [2] publié le 23 mars dernier sur le site de la DGCCRF.

Concernant le droit existant, c’est en général sur le fondement des pratiques commerciales trompeuses que les autorités de poursuite et de régulation agissent. Vu la densité de la matière et la multiplicité des critères, les remarques suivantes n’ont pas vocation à établir un état des lieux complet de ces pratiques (L121-1 à L121-5 du Code de la consommation) mais plutôt à en présenter les grandes lignes.

1/ Le cadre applicable.

Le projet de loi prévoit une définition des influenceurs comme des personnes « qui mobilisent leur notoriété auprès de leur audience » pour communiquer en ligne des contenus pour la promotion « directement ou indirectement de biens, de services ou d’une cause quelconque, en contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature ».

La définition permet d’englober un maximum d’agents économiques présents sur les réseaux sociaux. Pourtant, les influenceurs sont déjà des professionnels au sens de l’article liminaire du Code de la consommation, étant précisé que la notion de professionnel est retenue de manière assez large en mettant, en général, l’accent sur un but lucratif, l’objectif principal étant la recherche de profit.

En effet, l’influenceur sera potentiellement considéré comme étant un professionnel dès qu’il « reçoit une contrepartie, pécuniaire ou en nature, pour faire la publicité de produits ou services », ce qui résulte directement de l’article 14, alinéa 2 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dite « LCEN » [3].

À titre d’exemple, une célèbre influenceuse a déjà été condamnée à payer une amende transactionnelle par la DGCCRF pour des « pratiques commerciales trompeuses relatives à la promotion sur le réseau social Snapchat d’un site de formation au trading en ligne ». Il était reproché le défaut d’indication du caractère publicitaire de sa publication puisque l’influenceuse avait été rémunérée par les sociétés exploitant le site de trading pour en faire la promotion et que ses commentaires ne résultaient par conséquent pas de son « expérience personnelle positive désintéressée » sur ladite plateforme [4].

C’est ainsi que les outils permettant d’encadrer ces pratiques « nouvelles » existent depuis longtemps et à profusion.

2/ Brève typologie des pratiques commerciales trompeuses.

L’article L121-2 du Code de la consommation prévoit quatre types de pratiques commerciales trompeuses dites « par action » :

  • la pratique qui « crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial, ou un autre signe distinctif d’un concurrent »,
  • celle qui « repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur »,
  • « lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en œuvre n’est pas clairement identifiable »,
  • et enfin « lorsqu’un bien est présenté comme étant identique à un bien commercialisé dans un ou plusieurs autres Etats membres alors qu’il a une composition ou des caractéristiques différentes ».

2.1. La confusion (1er et 4e critères).

Cette pratique peut de surcroit être sanctionnée sur le fondement de la concurrence déloyale ou de droits de propriété intellectuelle, ce qui est littéralement prévu par le texte précisant « une marque, un nom commercial, ou un autre signe distinctif d’un concurrent ».

Pour un exemple relativement récent, la pratique commerciale trompeuse a été retenue pour une publicité ayant attribué faussement à un vin l’appellation de « premier grand cru classé » ce qui « était de nature à induire en erreur et susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique d’un consommateur de vin normalement informé et raisonnablement attentif et avisé » (Crim., 19 novembre 2019 n°18-85.900). Il faudra préciser qu’il s’agissait d’une plaisanterie et qu’une remarque par astérisque précisait qu’il ne s’agissait pas d’un grand vin, ce qui n’a pas empêché la condamnation.

2.2. Induire en erreur.

L’article L121-2, 2°, du Code de la consommation dispose qu’une pratique commerciale est trompeuse « lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants », procédant ensuite à une longue énumération à laquelle il sera d’ailleurs renvoyé pour un exposé exhaustif des cas prévus.

C’est ici que se trouvent les dispositions permettant généralement de sanctionner les abus de « dropshipping » [5] c’est-à-dire la « livraison directe : vente sur internet dans laquelle le vendeur ne se charge que de la commercialisation et de la vente du produit », le vendeur ne gérant ni le stock, ni la logistique et le consommateur n’ayant souvent pas même connaissance de l’identité du fournisseur se chargeant de lui expédier la marchandise.

C’est le cas par exemple lorsque les délais très importants de livraison n’ont pas été portés à la connaissance du consommateur : l’indication de la disponibilité du bien a été de nature à l’induire en erreur.

Ces questions de délais de livraison - voire d’absence totale de livraison - ont fait l’objet d’un arrêt récent :

« Pour confirmer le jugement déclarant M. X... et la société (XXX) coupables de pratiques commerciales trompeuses, l’arrêt relève (...) que, contrairement aux annonces de la société, les clients n’étaient ni livrés, ni remboursés dans les délais mentionnés et que, de plus, elle ne répondait ni au téléphone, ni aux mails, ni aux courriers ; que les juges énoncent que le prévenu n’a pas nié la réalité et le bien fondé des plaintes des clients ; que les juges ajoutent que les litiges, au nombre de 1630, sont intervenus, alors que la situation financière de l’entreprise était satisfaisante avec un chiffre d’affaires en progression de 40% entre 2011 et 2012, tendance à la hausse confirmée au début de l’année suivante ; que la cour d’appel retient que l’annonce par la société de délais très courts de livraison et de remboursement était la base de son fonctionnement commercial et que le prévenu, averti des difficultés de ces pratiques commerciales, a laissé perdurer la situation et n’a même pas cherché à y remédier » [6].

Toujours concernant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, voici d’autres cas où la pratique commerciale trompeuse a été retenue :

  • l’exemple célèbre du jus de fruit présenté comme pur alors qu’il comporte aussi de l’eau [7] ;
  • tout ce qui concerne le « fait maison », en l’espèce pour la formulation : « selon l’ancienne recette familiale, cette confiture a été préparée avec du sucre pur et avec des fruits mûris au soleil et fraîchement cueillis » [8] ;
  • une annonce trompeuse de remise de prix [9] ;
  • une tromperie sur l’identité ou la qualités du professionnel (exemple pour la revendication trompeuse d’un titre protégé [10]).

2.3. Bénéficiaire peu identifiable.

Il s’agit là du troisième cas exposé à l’article L121-2 du Code de la consommation, tellement mystérieux qu’il a fallu que la Chambre Criminelle vienne préciser à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité que ces dispositions sont « claires, prévisibles, accessibles, intelligibles et ne comportent aucune ambiguïté » [11].

Ce cas est illustré par la pratique des brefs appels téléphoniques inconnus et massifs, redirigeant directement la victime, lorsqu’elle rappelle, vers un numéro surtaxé [12].

3/ Pratiques commerciales trompeuses par omission.

Les cas précédents concernaient des pratiques actives mais la loi encadre également les cas où une information importante est volontairement cachée, l’article L121-3 du Code de la consommation prévoyant qu’une

« pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l’entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu’elle n’indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte ».

L’information substantielle est clairement définie par l’article précité et subdivisé en six catégories :

« 1° Les caractéristiques principales du bien ou du service ;
2° L’adresse et l’identité du professionnel ;
3° Le prix toutes taxes comprises et les frais de livraison à la charge du consommateur, ou leur mode de calcul, s’ils ne peuvent être établis à l’avance ;
4° Les modalités de paiement, de livraison et d’exécution, dès lors qu’elles sont différentes de celles habituellement pratiquées dans le domaine d’activité professionnelle concerné ;
5° L’existence d’un droit de rétractation, si ce dernier est prévu par la loi ;
6° La qualité de professionnel ou non du vendeur qui propose des produits sur une place de marché, telle qu’elle a été déclarée à l’opérateur de la place de marché en ligne
 ».

L’arsenal prévu en termes de contrôle de la publicité dès lors qu’elle s’adresse aux consommateurs est donc d’une densité exceptionnelle et parfaitement applicable aux influenceurs.

Certes, le projet de loi contient de réelles nouveautés comme une régulation encore plus stricte voire une interdiction pour la promotion de certains biens et services plus sensibles ou dangereux (tabac, alcool, santé, produits financiers, jeux d’argent), ou encore l’interdiction de faire de la publicité en matière de cryptomonnaies, réservée aux seuls titulaires d’un agrément « PSAN » (prestataires de services sur actifs numériques) délivré par l’Autorité des marchés financiers. Mais ces nouveaux éléments d’encadrement reposent sur des dispositions déjà existantes (loi « Evin » du 10 janvier 1991 pour les publicités liées à l’alcool et au tabac et loi « Pacte » puis article L54-10-2 du Code monétaire et financier pour la création du statut de PSAN).

En réalité, dans la plupart des cas, le problème n’est pas tant celui d’un « flou » ou d’un « vide » juridique, mais comme malheureusement trop souvent d’un manque de moyen, notamment en matière de poursuite - et de ce point de vue la création d’une « brigade de l’influence » [13] constituée de quinze agents de la DGCCRF chargés de veiller au respect des règles commerciales en ligne via la surveillance des réseaux sociaux ne peut qu’être saluée.

Il sera enfin précisé qu’en matière de pratiques commerciales trompeuses, le préjudice financier (hormis peut-être en matière d’investissements hasardeux et risqués) n’est en général pas très élevé et ne justifie pas, pour le consommateur, l’introduction d’une action en justice pouvant se révéler longue et coûteuse.

L’influenceur coupable de ces pratiques tire donc les fruits d’un bref calcul coût-avantage : vendre des milliers de fois un produit peu cher et de piètre qualité, tout en s’assurant de ne pas être systématiquement poursuivi pour une tromperie de quelques dizaines ou centaines d’euros.

En conclusion sera rappelé ce chiffre : selon une enquête de la DGCCRF, 60% des influenceurs ciblés par cette administration « ne respectaient pas la réglementation sur la publicité et les droits des consommateurs » lors d’un contrôle [14]. L’enjeu est donc réel, vu le marché mondial du marketing d’influence qui s’élèverait à près de 15 milliards d’euros [15].

Médi Abkari, Avocat
Barreau de Paris.

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Notes de l'article:

[3Isabelle Boismery, La responsabilité des influenceurs, LexisNexis, Communication - Commerce électronique, n°4, avril 2022, étude n°8.

[6Crim., 29 janvier 2019, n° 17-86.876.

[7Crim., 4 mars 1976, n°75-91.924.

[8Crim., 27 octobre 1980, n°80-90.057.

[9Crim., 4 mai 1999, n°98-82.279.

[10Crim., 18 octobre 1995, n°94-86.026.

[11Crim., 4 avril 2018, n°17-84.577.

[12Ibidem, n°17-84.577.

[14Revue Lamy Droit de l’Immatériel,
« Marketing d’influence : 60% des influenceurs ciblés par la DGCCRF en anomalie », Nº 200, 1er février 2023.

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