Ledit arrêt oppose Monsieur N, copropriétaire, et le syndicat des copropriétaires de son immeuble représenté par le syndic, le Cabinet LM.
En l’espèce, Monsieur N reproche au syndicat des copropriétaires de ne pas lui délivrer le badge et le code d’accès lui permettant d’accéder à l’escalier principal.
Pour ce faire, et par déduction, le copropriétaire assigne le syndic en représentation du syndicat des copropriétaires pour ce même motif devant les juges de première instance. Insatisfait de la décision rendue, le copropriétaire interjette appel près la Cour d’appel de Paris. Par un arrêt confirmatif du 26 octobre 2022, ladite Cour précise que l’escalier principal ne permettant pas l’accès au lot du copropriétaire et ce dernier ne participant pas aux charges de cette partie de l’ensemble immobilier, la non-délivrance du badge et du code d’accès était alors justifiée.
Le copropriétaire se pourvoit ainsi en cassation affirmant que le règlement de copropriété de l’immeuble, tout comme la loi du 10 juillet 1965, ne lui interdit en aucun cas d’accéder à cette partie commune et d’en jouir.
Est-il nécessaire de faire évoluer la loi du 10 juillet 1965 en ce qui concerne les parties communes spéciales ?
L’arrêt rendu le 8 février 2024 par la Cour de cassation soulève deux points majeurs. Cette décision rappelle en effet le principe général énoncé par la loi de 1965 sur les parties communes. La troisième chambre civile redonne également aux écrits leur force obligatoire.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 8 février 2024, rappelle la définition des parties communes en s’appuyant sur la loi du 10 juillet 1965. En effet, il s’agit, selon le troisième article de cette dernière, des parties bâties ou non de l’ensemble immobilier dont tout ou partie des copropriétaires en ont l’utilité ou l’usage. Le législateur précise que cette caractérisation peut être librement pensée par les copropriétaires qui peuvent donc y déroger. En sont des exemples les sols, les cours ou encore les jardins.
L’article 4 de ladite loi, que la Cour de cassation cite également, précise que la propriété des parties communes est partagée entre les copropriétaires. Ainsi, en pratique, à chaque lot est rattachée une quote-part des parties communes exprimée en tantièmes. La détermination de cette quote-part est faite en fonction de l’importance du lot, de son emplacement ou encore de ses caractéristiques. Sont pris en compte, dans ce dernier critère, la présence d’un balcon, d’une terrasse ou d’un jardin.
Pour rendre sa décision, la troisième chambre civile s’appuie en outre sur le premier alinéa de l’article 9 de la loi de 1965 disposant que l’ensemble des copropriétaires a le droit de jouir et d’user des parties communes. Cet usage et cette jouissance doivent être conformes à la destination de l’immeuble. Ainsi, le règlement de copropriété peut prévoir différentes mesures afin que l’immeuble soit utilisé conformément à ce pourquoi il a été prévu, en prévoyant par exemple une clause d’habitation bourgeoise qui réservera l’immeuble à un usage exclusivement d’habitation.
Rapporté à l’arrêt à commenter, et conformément à l’interprétation de la Cour de cassation dans son dispositif, le copropriétaire peut donc, en principe, librement accéder à la partie de l’immeuble menant à l’escalier principal, celle-ci étant considérée par le règlement de copropriété comme une partie commune dont il a la propriété indivise. La cour d’appel aurait dû préciser la nature de cette partie de l’immeuble et la qualifier de partie commune spéciale. La Cour de cassation censure ainsi sa décision en affirmant :
« En statuant ainsi, sans constater que l’escalier principal était, selon le règlement de copropriété, une partie commune spéciale sur laquelle M. N n’avait aucun droit, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Jusqu’en 2018, la loi du 10 juillet 1965 ne définissait pas explicitement les parties communes spéciales. L’article 6-2 de la loi de 1965, introduit par la loi ELAN, que la Cour de cassation ne cite pas, étant donné qu’en l’espèce, le règlement de copropriété n’en prévoit pas, les consacre. Ces dernières sont dites spéciales car leur utilité ou leur usage ne concerne qu’une partie des copropriétaires. L’ordonnance de 2019 modifie la version en vigueur de cet article, qui imposait que, pour qu’une partie commune soit considérée comme spéciale, il était nécessaire de cumuler usage et utilité. En pratique, il est possible d’imaginer une terrasse partagée entre les copropriétaires d’un étage ou encore un WC dont l’usage est réservé aux occupants d’un palier.
L’usage, la jouissance et la propriété des parties communes spéciales ne sont donc pas offerts à l’ensemble des copropriétaires.
Le deuxième alinéa dudit article impose la création d’un régime de charges spéciales pour ces parties communes afin que seuls les copropriétaires qui en bénéficient participent au paiement de leur entretien ou encore des éventuels travaux.
Cette base législative a notamment permis à la Cour de cassation de rendre sa décision. En effet, selon l’arrêt, le règlement de copropriété ne prévoit pas de parties communes spéciales et donc de charges spéciales. Ainsi, aucun régime juridique autre que celui des parties communes générales n’est applicable à l’escalier principal, quand bien même Monsieur N n’en a ni l’utilité ni l’usage. Par conséquent, chaque copropriétaire use et jouit librement des parties communes. La Haute juridiction rend un arrêt infirmatif qui semble reprocher à la cour d’appel d’avoir fait primer la pratique à la loi.
Bien que cet arrêt soit en accord avec la loi du 10 juillet 1965, la position de la Cour de cassation est critiquable. En effet, le copropriétaire est en droit d’exiger le badge et le code d’accès à l’escalier principal mais quelle est son utilité si l’accès à son lot ne s’effectue par cette voie ? D’un point de vue pratique, cet arrêt peut donc sembler illogique. Ici, les juges du fond et la cour d’appel ont pris en compte cette situation de fait ainsi que l’usage et l’utilité que l’article 6-2, précité, consacre. Se confrontent alors ici les droits légaux du copropriétaire avec l’usage réel. La décision rendue par la Cour de cassation peut également sembler injuste pour les copropriétaires qui utilisent véritablement cet escalier ; ils doivent régler des charges supplémentaires et donc participer à l’entretien de cette partie de l’immeuble alors que d’autres copropriétaires, qui n’en ont pas l’usage, en sont exemptés. La solution de la Cour de cassation ne donne pas de réelle solution aux copropriétaires lésés de cet immeuble ; faut-il procéder à une modification du règlement de copropriété qui impliquera des frais conséquents ou perpétuer cette situation en abandonnant les charges spéciales ?
Le caractère indissociable des parties communes spéciales et des charges spéciales imposé par l’article 6-2 de la loi de 1965 semble donc ici contraignant. La loi ELAN exige, dans ce cas, la modification du règlement de copropriété dans ce cas, mais cette décision, devant être prise à l’unanimité ou à la majorité simple en assemblée générale, peut constituer un obstacle à la mise en place d’une nouvelle organisation de la copropriété.
En outre, l’article 3 de la loi du 10 juillet 1965 laisse aux copropriétaires une certaine liberté en ce qui concerne les parties communes en précisant notamment dans le silence ou la contradiction des titres. Les parties peuvent donc librement déterminer le caractère commun ou non des parties de l’ensemble immobilier. L’article 6-2 de ladite loi impose quant à lui une obligation d’établir des charges spéciales dès lors que des parties communes spéciales sont créées. Ainsi, les copropriétaires ne sont donc pas contraints de procéder à une détermination des parties communes spéciales quand bien même certaines parties de l’ensemble immobilier n’auraient d’utilité que pour une partie d’entre eux.
Les arrêts rendus par la Cour de cassation peuvent être qualifiés de principe ou d’espèce. Les premiers ont une portée générale et constituent une orientation pour les juges chargés de cas similaires. Ils posent donc une réelle solution générale à laquelle se référer et qui peut parfois constituer un revirement de jurisprudence. A l’inverse, les seconds ne font que trancher les litiges qui opposent demandeur et défendeur au pourvoi. Leur portée est dite faible. L’arrêt à commenter est dit d’espèce. En effet, il ne fait que trancher le différend opposant Monsieur N et le syndicat des copropriétaires sans apporter de nouveauté. De ce fait, les juges de la Haute juridiction ont eu à statuer à de nombreuses reprises sur des affaires similaires. Cet arrêt récent ne fait que confirmer la position de la Cour de cassation sur ce sujet.
De plus, l’arrêt rendu le 8 février 2024 n’a pas été publié au rapport et au bulletin.
Les arrêts publiés au bulletin ont une portée doctrinale importante. Ils apportent donc une évolution significative et/ou nouvelle à la jurisprudence, ce qui n’est pas le cas dudit arrêt.
En outre, cet arrêt ouvre la voie à des abus qui ne pourront cesser que par la modification de la loi du 10 juillet 1965.