1/ L’arrêt.
Dans cette affaire, la lettre de licenciement reprochait à une notaire-assistante, en plus du non-respect des règles applicables à un acte authentique, qualifié de fautif, des griefs correspondant à des manquements professionnels relevant d’une insuffisance professionnelle.
Plus précisément, l’employeur soutenait que la salariée avait, à de multiples reprises, mis en danger l’Etude, tant sur le plan du respect de la discipline inhérente au notariat que sur le plan de la gestion de ses dossiers et surtout quant au respect des règles applicables à l’acte authentique.
S’agissant du non-respect des règles applicables à l’acte authentique, la Cour d’appel de Versailles [1] avait relevé que le grief était prescrit puisque les faits étaient antérieurs de plus de 2 mois à l’introduction de la procédure disciplinaire.
S’agissant des erreurs et des omissions reprochées, celles-ci constituaient, pour la cour, une exécution défectueuse de la prestation de travail.
L’arrêt ajoute qu’un tel grief ne saurait être retenu dans le cadre d’un licenciement disciplinaire que si l’employeur démontre
« l’abstention volontaire de sa salariée à respecter lesdites règles professionnelles ou sa mauvaise volonté délibérée à s’y conformer ».
Or, « ni dans l’exposé des griefs ni dans leur illustration, l’employeur ne soutient, et a fortiori n’établit, que telle aurait été l’attitude de la salariée ».
En conséquence, l’arrêt a jugé le licenciement comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La décision est cassée par la Cour de cassation au visa de l’article L1232-6 du Code du travail.
Selon ce texte (alinéas 1 et 2) :
« Lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception.
Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur ».
Pour la Cour de cassation, la cour d’appel devait rechercher si les faits liés à l’insuffisance professionnelle ne constituaient pas une cause réelle et sérieuse de licenciement.
2/ Les précédents.
Depuis un arrêt du 23 septembre 2003 [2], la Cour de cassation juge que l’employeur, à condition de respecter les règles de procédure applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié, dès lors qu’ils procèdent de faits distincts.
Ainsi, l’employeur peut invoquer à la fois une insuffisance professionnelle et une faute grave [3] ou, encore, une perte de confiance et une faute simple [4].
Attention : dès lors qu’un motif disciplinaire est invoqué, l’employeur doit respecter les règles de prescription.
En particulier :
- Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de 2 mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales [5].
- Aucune sanction antérieure de plus de 3 ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction [6].
En tout état de cause, il incombe aux juges du fond de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre de licenciement, la véritable cause du licenciement [7].
Ainsi, le juge n’est pas lié par la ou les qualifications que l’employeur a retenues dans la lettre de licenciement.
3/ Les limites.
La pluralité des motifs du licenciement n’est pas une règle absolue.
En effet, en cas de coexistence d’un motif économique et d’un motif personnel à l’appui d’un licenciement, il appartient au juge de rechercher celui qui a été la cause première et déterminante du licenciement et d’apprécier le bien-fondé du licenciement au regard de cette seule cause [8].
Cette solution s’impose puisque, selon l’article L1233-3 du Code du travail, seul un motif non lié à la personne du salarié peut revêtir un caractère économique :
« Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment (…) ».
A titre d’exemple, est sans cause réelle et sérieuse le licenciement d’un ingénieur commercial pour absence de résultat et non-respect de la politique commerciale ayant contribué fortement à la baisse de l’activité de l’entreprise et à la suppression de son poste dans le cadre d’une restructuration, dès lors que les griefs personnels ont été, en l’espèce, prépondérants [9].
Par ailleurs, dans un arrêt du 8 février 2023 [10], la Cour de cassation a jugé que lorsque le salarié a été déclaré inapte par le médecin du travail, les dispositions d’ordre public des articles L1226-2 et L1226-2-1 du Code du travail font obstacle à ce que l’employeur prononce un licenciement pour un motif autre que l’inaptitude, même s’il a engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause (en l’espèce, une faute lourde).
La Cour de cassation avait déjà jugé que l’employeur ne peut pas licencier pour motif économique un salarié déclaré physiquement inapte à son emploi sans méconnaître les dispositions du Code du travail [11].
Par exception, est valable le licenciement pour motif économique d’un salarié déclaré inapte, par une entreprise cessant son activité et n’appartenant pas à un groupe [12].