La médiation professionnelle, une alternative encore méconnue du système judiciaire.

Par Edith Delbreil Sikorzinski, Médiateure.

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Explorer : # médiation professionnelle # modes alternatifs de règlement des différends # conflit juridique # liberté de décision

La décision du magistrat ordonnant une médiation et désignant le médiateur est une mesure d’administration judiciaire non susceptible d’appel ni de pourvoi en cassation. Tel est le contenu de l’arrêt de principe (n° 21-25.323 du 5 avril 2023) récemment rendu par la Cour de Cassation, rappelant les dispositions sans ambiguïté de l’article 131-15 du Code de procédure civile.

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En l’espèce, les parties ont de concert sollicité du juge qu’il ordonne une médiation, en lui suggérant le nom d’un médiateur. Or, la cour d’appel a bien ordonné une médiation mais a désigné un médiateur de son choix, sans tenir compte de la volonté des parties.

Pourquoi cet arrêt, au demeurant sans surprise d’un point de vue juridique, fait-il couler autant d’encre ? Les juges auraient-il eu tort de ne pas suivre la volonté des parties ?

Cet arrêt est l’illustration simple, évidente et flagrante de la confrontation de deux paradigmes très différents : celui du contrat social et du droit, et celui de l’entente sociale portée par la médiation professionnelle.

La charnière entre deux paradigmes.

Du côté du droit, la décision de la Cour de cassation est d’une logique implacable dans l’application de la loi. La décision de la cour d’appel l’est tout autant : le juge est en charge de désigner les médiateurs et opte pour ceux mis à sa disposition, à savoir ceux inscrits sur les listes idoines, ou tout autre qu’il pourrait choisir. Dans tous les cas, c’est son propre choix et pas celui des parties.

Du côté de l’entente, les parties s’étaient accordées sur deux choses : le principe de la médiation et le choix du médiateur. Elles avaient opté pour la voie du « hors-cadre judiciaire », ce qui les dispensait de solliciter l’aval de la juridiction initialement saisie.

Or, paradoxalement, elles se sont maintenues dans le carcan judiciaire. Que s’est-il passé ?

Sortir d’un cadre juridique, d’une logique, d’un esprit juridique n’est à l’évidence pas aisé. Il est difficile pour tous juristes procéduriers, de promouvoir la liberté de décision, en favorisant leur modèle de pensée consistant à placer les personnes sous tutelle.

Envisager les modes alternatifs de règlement des différends est déjà une première approche si on l’imagine, comme le permet de le faire la Médiation Professionnelle, une forme autre que la voie judiciaire, qui en réalité s’en trouve être la vraie alternative. En attendant, les ancrages dans l’histoire des institutions sont tels que nul juriste ou politicien n’imagine encore à ce jour, que ces modes alternatifs puissent constituer une voie autonome, totalement indépendante du judiciaire.

Il est également difficile pour tous juristes, de constater que le droit ne répond plus aux attentes de ceux appelés « justiciables », en tant qu’usagers ou consommateurs d’une institution judiciaire désormais carencée. Outre la lenteur et les dysfonctionnements des procédures, la réponse judiciaire est souvent insatisfaisante dans son contenu, le dossier évoqué devant la Cour de cassation en est une preuve flagrante.

Cela se comprend aisément : saisir la justice revient avant tout à se priver de sa liberté de décider, c’est-à-dire à un renoncement de ce qui peut être le mieux pour soi-même ; est-ce en toute conscience ? C’est également de se soumettre à la décision d’un tiers, le juge, au risque qu’elle soit défavorable, voire injuste.

Rationnellement, il n’y a aucune liberté, ni pour celui qui saisit un juge, ni pour celui qui se retrouve assigné à comparaître. C’est pourtant l’essence même du Contrat Social, tel que pensé par les philosophes des Lumières. En définitive, ces derniers, en quête d’une sortie d’un obscurantisme millénaire, n’avaient pas imaginé que l’on pouvait rationaliser les émotions et les intégrer dans le processus résolutoire du conflit.

Vers un nouveau paradigme : celui de l’entente.

Si les émotions sont à la source de notre motivation et de nos enthousiasmes, elles sont aussi le premier ingrédient de nos désagréments relationnels et les écarter au profit du juridique ou du technique est une erreur fondamentale. Se rattacher aux clauses d’un contrat pour régler un différend sans se soucier des émotions, celles-là même qui ont entraîné les individus dans le conflit, ne permet en aucune façon, de solutionner ce dernier. Dans le même ordre d’idées, si vous vous réparez un bâtiment écroulé sans vous soucier des causes et origines, il y a fort à parier que la construction rénovée rencontre les mêmes désordres et que de multiples interventions s’imposent dans le temps, en prévention et gestion des risques ; si un médecin pour calmer une douleur ne se préoccupe pas de sa provenance et se limite à une médication, il y a également fort à parier que la douleur revienne. Certes, le patient est fidélisé, mais est-ce l’objectif réel ?

Ne s’occupant ainsi que des conséquences, le conflit, sans se préoccuper du pourquoi et comment ce conflit est né, les émotions et composantes de la dégradation de la relation, le juriste ou tout professionnel ayant un référentiel juridique ne sera tout au mieux qu’un gestionnaire sans pouvoir résolutoire.

C’est ainsi une autre approche du litige et du conflit qu’il convient d’avoir. Dans l’évolution des approches relationnelles et de la régulation des conflits et litiges, la Médiation Professionnelle a émergé. Elle s’est affirmée avec un professionnel [1], porteur d’un paradigme nouvellement mis en évidence, celui de l’Entente et de l’Entente sociale. C’est une innovation disruptive. Elle consiste dans une toute autre voie que la pratique judiciaire.

Charles Péguy n’avait-il pas écrit : « le droit ne fait pas la paix, il fait la guerre ». Ne pas répondre aux besoins réels des parties, et non ceux décryptés en termes de droit, est en effet source de surenchère dans le conflit déclaré initialement. Le monde du droit saura t-il voir cette différence capitale ?

L’humain est au cœur du débat.

Dans le cas d’espèce, il convenait tout simplement de permettre aux parties, de s’épanouir dans leur liberté de choisir, de décider hors cadre judiciaire. D’une idée faite pour la légèreté, on en risque la lourdeur du système que l’on veut contourner...

Edith Delbreil Sikorzinski
Médiateure Professionnelle
Avocat Honoraire

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Notes de l'article:

[1A toute fin utile, il faut indiquer ce qu’est le médiateur professionnel, ce qui le fait et ce qu’il fait. Depuis 2001, il est diplômé du CAP’M et membre de la CPMN. Il accompagne les personnes dont la relation s’est détériorée dans une réflexion projective résolutoire, intégrant prioritairement leurs émotions et sur ce qui a fait que leur relation est dégradée. Ce professionnel doté d’un savoir-faire spécifique, l’ingénierie relationnelle, permet à toute personne de prendre conscience et donc de comprendre comment elle en est arrivée là et d’être ainsi, en capacité de mieux s’impliquer dans l’élaboration d’un projet de résolution de conflit.
Tout projet élaboré dans l’implication sera plus pérenne que celui qui aurait été imposé par une autorité quelconque, usant d’un référentiel d’autorité, tel que la morale, le droit ou la norme. Le changement de paradigme réside là : dans l’approche de l’humain, avec un référentiel spécifique pour l’épanouissement de la liberté : l’altérité.

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