La nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel et la prestation compensatoire : l’art des négociations.

Par Juliette Daudé, Avocat.

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Explorer : # divorce par consentement mutuel # prestation compensatoire # négociations entre avocats # simplification de la procédure

A partir du 1er janvier 2017, les dispositions de la loi sur la modernisation de la justice du XXIème siècle (n°2016-1547) relatives à la nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel entreront en vigueur.

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Désormais, le divorce par consentement mutuel ne sera plus prononcé par un juge aux affaires familiales. Il prendra la forme d’un acte sous seing privé contresigné par avocats et déposé au rang des minutes d’un notaire.

Ainsi, chaque époux devra prendre un avocat et la convention de divorce sera uniquement le fruit des négociations entre les avocats.

Il ne sera donc plus possible de désigner un seul avocat pour les deux époux.

Le rôle du notaire sera, semble-t-il, et au vu des textes dont l’application concrète reste encore floue, assez limité, puisqu’il devra uniquement enregistrer la convention, après avoir vérifié que le délai de réflexion de 15 jours accordé aux époux a été respecté.

Par conséquent, il n’y aura plus de contrôle sur les dispositions mêmes de la convention de divorce ; toute latitude sera ainsi laissée aux avocats pour prévoir les dispositions les plus conformes aux intérêts de leurs clients et ce dans le respect de la loi.

Si une telle simplification de la procédure pouvait être souhaitable dans les divorces où les époux n’ont rien en commun (pas d’enfant, pas de bien, et peu d’années de vie commune), il existe des cas où elle risque, paradoxalement, de compliquer les choses.

Il en est ainsi de la question de la prestation compensatoire.

En matière de prestation compensatoire, la principale difficulté est qu’il n’existe pas un mode de calcul précis, ou encore une table de référence officielle, comme cela est le cas pour les pensions alimentaires.

L’article 271 du Code civil pose des critères qui permettent de la délimiter, mais l’appréciation chiffrée de ces critères reste très subjective.
En effet, comment quantifier : « l’âge et l’état de santé des époux », ainsi que « les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne » ?

Telle épouse revendiquera les sacrifices professionnels faits pour élever les enfants parce qu’elle aura travaillé à mi-temps pendant des années, alors que l’époux clamera que bien au contraire il a toujours forcé son épouse à plus s’investir professionnellement…
Les négociations tournent alors parfois à une bataille de chiffres à la limite du marchandage …

Jusqu’alors, le fait de savoir que la convention allait être examinée par un juge encadrait ces discussions.
En effet, s’il est vrai que, dans le cadre de l’ancienne procédure, le rôle du juge aux affaires familiales se limitait à contrôler le contenu de la convention de divorce sans pouvoir fixer de nouvelles dispositions, il s’agissait tout de même d’une certaine sécurité pour les justiciables et notamment en matière de prestation compensatoire.

Ainsi, il arrivait, parfois, qu’un juge refuse d’homologuer une convention de divorce car il considérait qu’une prestation compensatoire aurait dû être fixée ou, bien au contraire, que celle qui avait été prévue était bien trop généreuse.
Les avocats, lorsqu’ils prévoyaient les termes de la convention de divorce, avaient donc toujours en ligne de mire la motivation et la justification de la prestation compensatoire, de peur que la convention ne soit « retoquée » lors de l’audience.

Désormais, force est de constater qu’il n’y aura plus de garde-fous… Les avocats devront donc « s’autogérer » pour que leurs clients s’accordent pour une prestation conforme à la jurisprudence en vigueur.
Afin d’éviter d’envenimer la situation, les avocats devront faire preuve de modération, pour parvenir à un accord tout en défendant les intérêts de leurs clients.

Bien évidemment, le juge n’est pas complètement gommé de la procédure de divorce puisque si les époux ne trouvent pas d’accord, ils auront toujours la possibilité de saisir le juge aux affaires familiales, dans le cadre d’une procédure dite contentieuse, dans laquelle cette question sera tranchée.

Toutefois, la décision du juge, concernant la prestation compensatoire, n’interviendra qu’après plusieurs mois, voire plusieurs années de procédure… Certains préféreront donc sans doute « le prix de la paix » et accepteront une prestation bien plus faible, ou bien plus élevée, que celle qui aurait été accordée par un juge, pour que le divorce soit prononcé au plus vite.

Nous pouvons donc craindre que l’élément principal qui guidera les négociations pour une prestation compensatoire sera la capacité de chacun à envisager une procédure conflictuelle…

Et, paradoxalement, une augmentation des procédures contentieuses, si trop de négociations échouent.

Juliette Daudé
Avocate à la Cour
Site : http://cabinet-avocat-daude.fr/

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Discussions en cours :

  • par Drouet , Le 9 mars 2017 à 11:48

    Bonjour et merci pour cet article très clair.
    Une question demeure cependant. Celle du délai...
    Car si les officiers d’état civil ont cette charge, ils ne savent pas encore comment la mettre en œuvre, ni combien de temps cela va prendre pour connaitre la procédure d’application.
    Actuellement concerné par un changement, il a déjà fallut trois mois pour qu’ils enregistrent ma demande et ne savent pas quelle mention type porter sur le registre.
    En route vers en changement de prénom en mars ? avant l’été ? en 2017 ?
    Le mystère reste entier...

  • par Wadoux Marie-Anne , Le 9 janvier 2017 à 10:30

    Article très clair. Merci beaucoup. En effet, les choses ne seront pas beaucoup plus simples pour les femmes qui ont choisi de privilégier leur famille plûtot que leur carrière et qui comme moi vont se retrouver seules avec une petite retraite après un divorce long et difficile suite à l’infidélité et à la violence de leur mari. Pour ma part, j’ai travaillé pendant 42 ans en Préfecture et au Conseil Départemental, avec interruption de ma carrière de 3 ans pour congé parental ce qui amputé ma toute récente retraite. J’entame malgré tout une procédure de divorce après 39 ans de mariage. Lui ne veut entendre parler que de séparation de corps et de biens pour garder notre maison et pouvoir bénéficier un jour de l’héritage de mes parents. Ma Mère a aujourd’hui 95 ans. Elle a l’usufruit de tout ce que mon Père et elle ont bâti jusqu’à sa mort. Elle sait ce que j’ai souffert et ne voudrait pas que mon mari puisse bénéficier de leur travail à tous les deux. Je sais que je m’engage dans une procédure lourde et qu’il n’acceptera pas la prestation compensatoire même s’il a une très bonne retraite et un salaire de maire et d’élu à la communauté d’agglomération ! Il y a encore du chemin à faire pour les femmes. Pour ma part, j’ai toujours fait partie d’associations. Je vais continuer spécialement pour la défense des femmes battues et la lutte contre l’illettrisme. Continuez à nous informer comme vous le faites. Merci encore. Marie-Anne Wadoux e-mail : ludine1987 chez gmail.com téléphone : 0633942238

  • par Martin Hauser, avocat mediateur , Le 28 décembre 2016 à 11:38

    Le notaire, ne pourrait il pas aussi agir en tant que mediateur afin d’aider les parties avec le soutien de leurs conseils respectifs d’arriver à un accord négocié ?

  • par Testier , Le 26 décembre 2016 à 09:13

    Merci pour toutes ces informations, elles nous aident à comprendre ces nouvelles dispositions.

  • par roux , Le 10 décembre 2016 à 13:06

    Merci pour ces précieuses informations.

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