Ce qu’il faut retenir.
- Une nouvelle obligation légale peut justifier un déplafonnement : une charge devenue obligatoire par la loi, même si elle était auparavant souscrite volontairement, peut constituer une modification notable des obligations des parties.
- L’appréciation du caractère notable reste une question de fait : les juges du fond évaluent l’impact économique réel de la nouvelle charge pour déterminer si le plafonnement doit être écarté.
- Une jurisprudence cohérente mais nuancée : certaines juridictions admettent plus facilement le déplafonnement en cas de charges nouvelles, tandis que d’autres exigent une démonstration précise de leur impact.
Le principe du plafonnement du loyer renouvelé.
L’article L145-34 du Code de commerce pose le principe du plafonnement du loyer lors du renouvellement d’un bail commercial. En l’absence de circonstances particulières, l’augmentation du loyer ne peut excéder l’évolution de l’indice trimestriel des loyers commerciaux (ILC) ou de l’indice des loyers des activités tertiaires (ILAT).
Toutefois, ce principe connaît des exceptions, notamment lorsqu’une modification notable des éléments de la valeur locative est constatée. Parmi ces éléments figurent :
- les caractéristiques du local,
- la destination des lieux,
- les facteurs locaux de commercialité,
- les obligations respectives des parties.
Dans ce dernier cas, une nouvelle charge imposée par la loi et assumée par l’une des parties peut constituer un motif légitime pour le bailleur de demander le déplafonnement du loyer [2].
L’impact d’une nouvelle obligation légale sur la fixation du loyer.
L’article R145-8 du Code de commerce précise que toute obligation nouvelle découlant de la loi et génératrice de charges pour le bailleur ou le locataire peut être invoquée au titre d’une modification notable des obligations des parties.
Dans l’arrêt du 23 janvier 2025, la Cour de cassation s’est penchée sur la question du caractère notable d’une assurance responsabilité civile devenue obligatoire pour les copropriétaires non occupants. Le bailleur avait souscrit cette assurance de manière volontaire avant qu’elle ne devienne une obligation légale en 2014 [3].
Il s’agissait donc de déterminer si cette obligation, bien que préexistante pour le bailleur, constituait néanmoins une charge nouvelle permettant le déplafonnement du loyer du bail renouvelé.
Une obligation légale nouvelle, même préexistante, justifie le déplafonnement.
Le locataire contestait le déplafonnement en arguant que l’assurance était déjà souscrite par le bailleur avant qu’elle ne devienne obligatoire. Ainsi, selon lui, il ne s’agissait pas d’une charge nouvelle découlant de la loi, mais d’un engagement contractuel antérieur.
La Cour de cassation rejette cet argument et considère que l’instauration d’une obligation légale, même si elle correspond à une pratique antérieure du bailleur, modifie juridiquement la nature de cette charge.
Ce raisonnement repose sur plusieurs points :
- La nouvelle obligation ne relève plus d’un choix contractuel, mais d’une contrainte imposée par la loi.
- L’augmentation des charges supportées par le bailleur en raison de cette obligation légale a engendré une baisse de 27,97% du revenu locatif sur la période du bail expiré, ce qui constitue une modification notable des conditions économiques du bail.
- Le juge du fond dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour qualifier cette modification comme étant suffisante pour justifier le déplafonnement [4].
La cour en conclut que le bailleur pouvait légitimement demander la fixation du loyer à la valeur locative, sans application de la règle du plafonnement.
Une jurisprudence cohérente avec d’autres décisions.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui reconnaît que l’accroissement des charges légales peut justifier un déplafonnement. À titre d’exemple :
- L’augmentation de la charge fiscale pesant sur le bailleur a été reconnue comme une modification notable [5].
- La mise à la charge du bailleur de certaines charges auparavant imputées au locataire, en raison des évolutions législatives, a également été admise comme un motif de déplafonnement [6].
À l’inverse, la Cour d’appel de Paris a jugé que l’augmentation des charges de copropriété ne pouvait pas constituer un motif de déplafonnement car elle résultait d’une décision de l’assemblée générale des copropriétaires et non d’une obligation légale [7].
Une appréciation au cas par cas par les juridictions.
La question du caractère notable de la modification reste cependant une question de fait, appréciée au cas par cas par les juges du fond.
- Certaines juridictions, comme la Cour d’appel de Caen, estiment que le transfert d’une charge au bailleur constitue en soi une modification notable [8].
- D’autres, comme les Cours d’appel de Versailles et Paris, considèrent qu’il appartient au bailleur de démontrer que la modification a un impact suffisant pour justifier le déplafonnement [9].
Cette décision illustre l’importance d’une analyse rigoureuse des charges imposées aux parties dans un bail commercial. Le bailleur, souhaitant obtenir un déplafonnement, devra démontrer l’impact économique significatif de la nouvelle obligation légale sur la rentabilité locative.
Quant aux locataires, ils pourront contester le caractère notable de la modification en s’appuyant sur une analyse comparative des coûts et en démontrant que l’évolution des charges n’affecte pas fondamentalement l’équilibre du bail.
Enfin, cette jurisprudence rappelle que la fixation du loyer d’un bail commercial renouvelé dépend autant des évolutions législatives que de leur impact concret sur les conditions économiques du bail.