C’est une bonne occasion pour nous de revoir, dans les grandes « lignes », la notion de ce contrat (1), ses effets (2), la sanction en cas de violation (3) et l’action interrogatoire (4).
1. Notion.
Définition.
Le pacte de préférence est le contrat par lequel une partie, le promettant, s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de contracter [2].
Exemples.
J’accepte de céder la parcelle proche de la route à ton fils, mais s’il refuse de construire et décide de la revendre, il doit me la proposer en priorité, car je n’ai pas envie que des tiers s’installent à côté de ma maison. Lors d’un partage amiable de la succession, les cohéritiers passent une convention par laquelle ils déclarent accepter, au cas où ils décideraient de vendre le lot attribué, de l’offrir par priorité aux autres copartageants au prix fixé par un expert désigné par les parties. Dans une donation faite au profit d’un parent, ou d’une filiale par la société mère, lorsque le donateur ne souhaite pas qu’un bien déterminé sorte du patrimoine familial [3]. Dans un bail commercial, le propriétaire de plusieurs locaux s’engage au profit du preneur d’un local à lui proposer la vente par priorité s’il décide de vendre l’immeuble entier. Les fondateurs d’une société s’engagent, en cas de cession d’actions, à les proposer au préalable aux coassociés [4].
Prix, délai, publicité foncière (non).
La prédétermination du prix du contrat envisagé, la stipulation d’un délai [5] et la publicité foncière [6] ne sont pas des conditions de validité du pacte de préférence.
Attention au renouvellement, reconduction, avenant.
Attention en cas de renouvellement, reconduction ou clauses ajoutées aux contrats contenant l’acte. Il a déjà été jugé que le pacte de préférence consenti lors de la conclusion d’un bail pouvait (appréciation souveraine des juges) devenir caduc si les parties n’avaient pas repris les stipulations relatives à ce pacte dans un avenant intervenu postérieurement à cet acte [7].
2. Effet.
Location.
Le pacte de préférence restreint les droits du promettant. Il lui interdit de mettre en location le bien immobilier car le bail procure au locataire un droit de préemption en cas de vente. Le promettant qui se met volontairement dans l’impossibilité d’exécuter le pacte de préférence, doit des dommages et intérêts au bénéficiaire privé de son droit [8].
Transmission aux héritiers.
Le pacte de préférence se transmet aux héritiers, sauf si la clause qui le stipule en dispose autrement [9].
Opposabilité au liquidateur.
Le respect du pacte s’impose au liquidateur judiciaire autorisé par le juge-commissaire à liquider les biens du promettant placé en procédure collective [10].
Vente.
En cas d’un projet de vente, le promettant doit d’abord proposer le bien au bénéficiaire du pacte. L’acceptation de l’offre forme la vente [11].
Acceptation.
L’acceptation doit intervenir dans le délai fixé par le promettant, ou, à défaut, à l’issue d’un délai raisonnable [12], et non « sept ans » après l’offre [13]. Elle doit porter sur le tout : le bénéficiaire de la préférence sur une partie de l’immeuble ne peut imposer au propriétaire qui souhaite vendre son bien en bloc de le diviser en lots [14].
Renonciation.
La renonciation peut être expresse ou tacite, dès lors qu’elle est certaine et non équivoque [15].
3. Violation du pacte de préférence.
Tiers de bonne foi.
Lorsque la vente en violation du pacte de préférence est conclue avec un tiers de bonne foi, le bénéficiaire peut obtenir la réparation du préjudice subi [16]. Par exemple, la perte de la plus-value provenant de l’adjonction du terrain promis au terrain dont le bénéficiaire est déjà propriétaire donne lieu à l’indemnisation [17].
Tiers de mauvaise foi.
Lorsque le tiers est de mauvaise foi, le bénéficiaire peut demander la nullité du contrat ou sa substitution à l’acquéreur [18].
Double preuve.
Il incombe au bénéficiaire qui sollicite l’annulation de la vente et sa substitution dans les droits du tiers acquéreur de démontrer que le tiers connaissait l’existence du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir [19].
L’acquéreur professionnel : présomption de mauvaise foi (non).
Par l’arrêt cité en introduction, la Cour de cassation a décidé qu’il ne peut être reproché à l’acquéreur professionnel de ne pas s’être informé des intentions du bénéficiaire. En l’espèce, l’auteur du pourvoi soutenait qu’il appartient à l’acquéreur professionnel, qui avait la connaissance du pacte, de s’informer auprès du bénéficiaire, faute de quoi, l’intention de s’en prévaloir de la préférence devait être présumée. Mais la Cour de cassation a rejeté son raisonnement [20].
4. Interrogation.
Action interrogatoire.
Depuis l’Ordonnance du 10 février 2016, le futur acquéreur dispose d’une action interrogatoire : il peut demander au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir [21]. L’écrit mentionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat [22].
Intérêt.
L’interrogation met à l’abri le futur acquéreur contre une action en responsabilité. En effet, les juges du fond peuvent, dès lors qu’ils relèvent l’existence d’un concert frauduleux, conclu pour annihiler les effets du pacte de préférence, condamner les parties (acquéreur et promettant) aux dommages et intérêts à verser au bénéficiaire évincé [23].
Obligation du notaire.
Le notaire qui a connaissance d’un pacte de préférence doit, préalablement à l’authentification d’un acte de vente, veiller au respect des droits du bénéficiaire du pacte et, le cas échéant, refuser d’authentifier la vente conclue en violation de ce pacte, sous peine d’engager sa responsabilité [24].
Publicité foncière.
Pour rendre la préférence opposable au notaire, et de facto aux parties, le rédacteur de l’acte (notaire ou avocat) peut enregistrer le pacte à la publicité foncière.