Il convient de rappeler préalablement que la chambre criminelle de la Cour de cassation a, dans un arrêt rendu le 15 décembre 2021 (Cour de cassation, chambre criminelle, 15 décembre 2021, Pourvoi n° 21-85.670), a décidé que les permis de communiquer ne peuvent être données au nom de collaborateurs d’avocats désignés si ces derniers ne sont pas spécifiés par le mise en examen.
La motivation fondant cette position de la Cour de cassation est la suivante, laquelle retient une interprétation littéralement littérale du texte appliqué :
« 12. Si, en vertu du principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat, résultant de l’article 6, § 3, c, de la Convention européenne des droits de l’homme, la délivrance d’un permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat est indispensable à l’exercice des droits de la défense, de telle sorte que le défaut de délivrance de cette autorisation à chacun des avocats désignés qui en a fait la demande, avant un débat contradictoire tenu en vue de l’éventuelle prolongation de la détention provisoire, fait nécessairement grief à la personne mise en examen, sauf s’il résulte d’une circonstance insurmontable, aucune disposition conventionnelle ou légale ne fait obligation au juge d’instruction de délivrer un permis de communiquer aux collaborateurs ou associés d’un avocat choisi, dès lors que ceux-ci n’ont pas été personnellement désignés par l’intéressé dans les formes prévues par l’article 115 du Code de procédure pénale ».
Cette décision n’a pas manqué de créer un grand émoi au sein de la profession au regard des problématiques posées.
Lors de l’Assemblée générale statutaire de la Conférence des Bâtonniers qui s’est tenue le vendredi 22 janvier 2022, son président Bruno Blanquer n’a pas manqué d’interpeller dans son discours [1] le garde des sceaux présent sur plusieurs problématiques rencontrées par les avocats, dont celle induite par cette décision malheureuse rendue et de ses effets dans l’exercice des droits de la défense.
En réponse, dans son discours [2], Monsieur Éric Dupond-Moretti s’est engagé à prendre rapidement des mesures pour apporter une solution à cette dernière problématique posée par cette interprétation prétorienne, laquelle remettait en cause en réalité des pratiques très anciennes dont l’efficience et l’efficacité étaient démontrés assurer les droits de la défense.
Ce devrait être chose faite avec le décret n° 2022-95 du 31 janvier 2022 relatif au permis de communiquer délivré à l’avocat d’une personne détenue qui a été publié au Journal Officiel du mardi 1er février 2022 (Décret n° 2022-95 du 31 janvier 2022 relatif au permis de communiquer délivré à l’avocat d’une personne détenue).
Ce texte précise les modalités de remise aux avocats des permis de communiquer.
Il prend le contrepied de l’arrêt du 15 décembre 2021 en fixant clairement les modalités de remise par le juge d’instruction des permis de communiquer délivrés aux avocats des personnes mises en examen et placées en détention provisoire, afin de permettre aux associés et collaborateurs de l’avocat d’en bénéficier.
Il prévoit expressément que l’avocat désigné ou commis d’office pourra demander que le permis soit établi à son nom et à celui de ses associés et collaborateurs qu’il désignera.
Ces dispositions, qui consacrent des pratiques existant dans de nombreux cabinets d’instruction, mais qui ne sont cependant pas généralisées, permettent ainsi d’assurer l’effectivité des droits de la défense lorsqu’un avocat doit se faire substituer par un associé ou un collaborateur pour assister son client détenu.
À cet effet, l’article 1er du décret insère un nouvel article D32-1-1 du code de procédure pénale dont les termes sont les suivants :
« La demande de permis de communiquer adressée au juge d’instruction par l’avocat désigné par la personne mise en examen détenue en application de l’article 115, y compris en application du dernier alinéa de cet article, ou par l’avocat commis d’office à sa demande en application de l’article 116, peut indiquer les noms des associés et collaborateurs pour lesquels la délivrance du permis est également sollicitée. Le permis de communiquer est alors établi au nom de ces différents avocats, y compris ceux qui n’ont pas été désignés par la personne mise en examen ou qui n’ont pas été commis d’office.
L’avocat désigné ou commis d’office peut, en cours de procédure, demander un permis de communiquer actualisé en modifiant la liste des associés et collaborateurs concernés. « Le permis de communiquer initial ou actualisé est mis à la disposition de l’avocat désigné ou commis d’office ou lui est adressé par tout moyen dans les meilleurs délais, sous réserve des nécessités du bon fonctionnement du cabinet d’instruction. Lorsque l’avocat est convoqué pour un interrogatoire ou un débat contradictoire, le permis est mis à sa disposition ou lui est envoyé au plus tard le premier jour ouvrable suivant la réception de la demande par le greffe du juge d’instruction ».
Il risque d’y avoir cependant un conflit de normes qui pourrait affaiblir l’objectif d’efficacité poursuivi par le décret du 31 janvier 2022.
En effet, il convient de préciser que l’article 115 du Code de procédure pénale sur lequel la chambre criminelle s’est fondée pour rendre son arrêt et son interprétation restrictive est de nature législative.
En effet, cet article a été créé initialement par la loi n° 57-1426 du 31 décembre 1957 instituant un Code de procédure pénale. Il a subi des modifications substantielles suite à trois lois successives, dont la dernière a été effectuée par l’article 117 de la loi 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
Une modification du texte même de l’article 115 du Code de procédure pénale aurait été de loin préférable mais cela supposait que le calendrier parlementaire eût permis au garde des sceaux de faire voter rapidement un texte modificatif de cet article avant la fin de la mandature des députés.
Ce qui n’était pas envisageable en l’état au regard des contraintes électorales présidentielles et législatives.
Le ministre de la justice a donc recouru à la voie réglementaire qui était la seule option qui lui permettait d’agir rapidement.
Sur ce point, il doit être remercié pour sa réactivité pour avoir pris rapidement un texte mettant fin à une interprétation jurisprudentielle totalement déconnectée de la réalité du fonctionnement des cabinets d’avocats et qui risquait à terme de porter atteinte l’effectivité des droits sur le terrain de la défense.
Les dispositions du décret du 31 janvier 2002 entrent en vigueur à compter du mercredi 2 février 2022.
À suivre donc l’application de ces nouvelles dispositions décrétales sur le terrain judiciaire.
Texte de l’article 115 du Code de procédure pénale dans sa version consolidée avec la dernière modification applicable depuis le 1er octobre 20004 et opérée par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 :
« Les parties peuvent à tout moment de l’information faire connaître au juge d’instruction le nom de l’avocat choisi par elles ; si elles désignent plusieurs avocats, elles doivent faire connaître celui d’entre eux auquel seront adressées les convocations et notifications ; à défaut de ce choix, celles-ci seront adressées à l’avocat premier choisi.
Sauf lorsqu’il s’agit de la première désignation d’un avocat par une partie ou lorsque la désignation intervient au cours d’un interrogatoire ou d’une audition, le choix effectué par les parties en application de l’alinéa précédent doit faire l’objet d’une déclaration au greffier du juge d’instruction. La déclaration doit être constatée et datée par le greffier qui la signe ainsi que la partie concernée. Si celle-ci ne peut signer, il en est fait mention par le greffier. Lorsque la partie ne réside pas dans le ressort de la juridiction compétente, la déclaration au greffier peut être faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
Lorsque la personne mise en examen est détenue, le choix effectué par elle en application du premier alinéa peut également faire l’objet d’une déclaration auprès du chef de l’établissement pénitentiaire. Cette déclaration est constatée et datée par le chef de l’établissement qui la signe ainsi que la personne détenue. Si celle-ci ne peut signer, il en est fait mention par le chef de l’établissement. Ce document est adressé sans délai, en original ou en copie et par tout moyen, au greffier du juge d’instruction. La désignation de l’avocat prend effet à compter de la réception du document par le greffier.
Lorsque la personne mise en examen est détenue, le choix peut également résulter d’un courrier désignant un avocat pour assurer sa défense. La déclaration prévue au deuxième alinéa doit alors être faite par l’avocat désigné ; celui-ci remet au greffier une copie, complète ou partielle, du courrier qui lui a été adressé, et qui est annexée par le greffier à la déclaration. La personne mise en examen doit confirmer son choix dans les quinze jours selon l’une des modalités prévues aux deuxième et troisième alinéas. Pendant ce délai, la désignation est tenue pour effective ».