Le texte, porté par les députés Alain Claeys (PS, Vienne) et Jean Leonetti (UMP, Alpes-Maritimes), constitue-t-il une grande avancée permettant aux malades de disposer librement de leur fin de vie ?
L’application des dispositions légales, une fois adoptées par le sénat, permettront d’appréhender sur le terrain si les quelques modifications apportées à la « 1ère loi Leonetti » constituent un réel changement pour les malades, alors que le texte assez consensuel et d’ailleurs adopté par 436 voix pour, 34 contre et 83 abstentions ne semble pas révolutionner la matière.
Les termes employés ne sont guère différents de ceux de la loi de 2005 et le mot « euthanasie » (formé de deux éléments tirés du grec, le préfixe eu, « bien », et le mot thanatos, « mort » et qui signifie donc littéralement « bonne mort », « mort douce et sans souffrance ») est soigneusement évité afin de ne pas déclencher de polémiques alors qu’il est pourtant difficile d’imaginer que quelqu’un puisse refuser une mort sans souffrance.
La question que l’on peut se poser est donc, une fois la loi votée :
Le patient disposera-t-il librement de sa fin de vie ?
I/ Les domaines dans lesquels la volonté du patient quant à sa fin de vie seront pris en compte.
1. Afin d’éviter toute souffrance et ne pas prolonger inutilement sa vie.
« A la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas prolonger inutilement sa vie… »
« une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre…. » (Future article L.1110-5-2 du Code de la santé publique).
Mais attention cette sédation n’est possible que dans deux hypothèses :
• « lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire au traitement ;
• « lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme.
Dans le cadre de l’application de cette sédation profonde et continue, le patient a la possibilité de choisir que celle-ci soit effectuée « en établissement de santé » ou à son domicile.
Une précision importante mérite d’être apportée à ce stade. La proposition de loi prévoit que la sédation sera obligatoirement associée à l’arrêt de tout traitement de maintien artificiel en vie, ce qui sous-entend, au regard de la position prise par le Conseil d’Etat le 24 juin 2014 (affaire Vincent Lambert) également les traitements de survie comme la nutrition et l’hydratation artificielles.
« Considérant que si l’alimentation et l’hydratation artificielles sont au nombre des traitements susceptibles d’être arrêtés lorsque leur poursuite traduirait une obstination déraisonnable,… » C.E.
Autoriser de pouvoir arrêter d’alimenter et d’hydrater une personne suscite de nombreuses réactions auxquelles certains apportent des réponses scientifiques qui se conçoivent…
2. Soulager sa souffrance.
« Toute personne a le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance… » ( Future art.L111-5-3 du Code de la santé publique) et dans ce cas, le médecin met en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs même s’ils peuvent « avoir comme effet d’abréger la vie » du « malade en phase avancée ou terminale ». Le malade en est informé.
3. Droit de refuser un traitement.
« Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas subir tout traitement… » (art. L. 1111-4)
II/ Les modes d’expression de la volonté du patient.
1. Si le patient est conscient, il exprime sa volonté au médecin ou à l’équipe médicale.
Comme dans la loi de 2005, le nouveau texte prévoit que « le médecin a l’obligation (au lieu de « doit ») de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix.
La loi actuelle précise « …et de leur gravité », ce qui a été supprimé du projet et la petite loi supprime également une partie de l’article L 1111-4 en ce qu’il dispose que « le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. »
Si le législateur par ces modifications semble vouloir faire en sorte que le médecin se fasse moins insistant auprès du patient, lequel retrouve ainsi une certaine liberté de choix, il continue de prévoir que le malade « dans certains cas, doit cependant réitérer sa position ».
Ainsi l’art. L 1111-4 dispose que « si, par sa volonté de refuser ou d’interrompre tout traitement, la personne met sa vie en danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable… »
2. Le patient ne peut plus exprimer sa volonté.
Si le patient ne peut plus exprimer sa volonté, il faut se référer :
aux directives anticipées,
à la personne de confiance.
a/ Les directives anticipées.
Le projet tel qu’adopté par l’Assemblée Nationale traduit la volonté d’encadrer la rédaction et l’application de ces directives anticipées, sans doute pour aider tant le patient que le médecin.
La loi Léonetti de 2005 prévoyait déjà la possibilité de rédiger des directives anticipées mais celles-ci, valables uniquement 3 ans sauf renouvellement exprès n’étaient pas autant détaillées par la loi.
Le projet de loi de 2015 prévoit que ces « directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie visant à refuser, à limiter ou à arrêter les traitements et les actes médicaux. »
Il est prévu également que ces directives, révisables et révocables à tout moment devront être rédigées selon un modèle unique (dont le contenu sera fixé par décret) qui prévoira « la situation de la personne selon qu’elle se sait ou non atteinte d’une affection grave au moment où elle rédige de telles directives. »
Les modalités de conservation de ces directives, leur confidentialité et validité seront également prévues par décret.
La mise en place d’un registre national au traitement automatisé est prévue.
b/ La personne de confiance.
La « petite loi » reprend, en son article L. 1111-6, le texte de 2005 : « Toute personne majeur peut désigner une personne de confiance, qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. »
L’importance du rôle de cette personne est renforcée et le texte indique qu’ « elle témoigne de l’expression de la volonté de la personne. Son témoignage prévaut sur tout autre témoignage. »
Son rôle est également précisé : elle peut accompagner le malade dans ses démarches, assister aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions, demander les informations du dossier médical nécessaires pour vérifier si la situation médicale de la personne concernée correspond aux conditions exprimées dans les directives anticipées.
Le projet de loi insiste davantage que la loi actuelle sur la nécessité de rechercher la volonté du malade.
Ainsi l’article L. 1111-12 dispose que « lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, …est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin a l’obligation de s’enquérir de l’expression de la volonté exprimée par le patient. En l’absence de directives anticipées …,il recueille le témoignage de la personne de confiance ou, à défaut, tout autre témoignage de la famille ou des proches. »
III/ Une volonté respectée mais sous réserve de l’avis de l’équipe médicale.
1. La sédation profonde et continue évoquée ci-dessus n’est envisageable que dans les deux hypothèses citées.
Seul le médecin peut estimer si l’état du patient est donc celui visé et s’il a, par conséquent, le droit de solliciter une sédation profonde jusqu’à son décès avec arrêt des traitements de maintien de vie.
2. Les directives anticipées.
Si celles-ci s’imposent au médecin « pour toute décision d’investigation, d’actes, d’intervention ou de traitement », il en va différemment « en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaires à une évaluation complète de la situation ».
Cette exception liée à l’urgence se conçoit, mais le projet de loi va plus loin dans ce qui peut constituer un non-respect des directives anticipées.
En effet si celles-ci « apparaissent manifestement inappropriées, le médecin doit solliciter un avis collégial. La décision collégiale s’impose alors et est inscrite dans le dossier médical. »
Autrement dit, force est d’en déduire que le droit de s’éteindre doucement sans souffrance, aidé par des substances administrées par l’équipe médicale, ne semble être, légalement du moins, réservé qu’à des cas biens définis et ce, quelle que soit la position exprimée par le patient directement ou par anticipation.
Chacun appréciera selon ses convictions si le législateur est allé assez loin sur le chemin de la liberté du patient.
Il m’apparait difficile en tout état de cause de ne pas tenir compte de l’avis médical pris en collégialité, au regard de l’état du patient et de l’état des données de la science, toutes données qui ne peuvent être appréhendées qu’au moment critique.
La nature bioéthique et l’importance sociétale de la question de « la fin de vie » nécessite un cadre juridique mais le corps médical ne peut se trouver enfermer dans un carcan de règles.
Le serment d’Hippocrate en sa version actuelle de 1996 traduit les subtilités et les frontières ténues entre des situations pour lesquelles le médecin en son âme et conscience doit prendre une décision compatible avec des problématiques qui peuvent sembler s’opposer mais qui doivent se concilier pour le bien du patient : « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. »
Certains spécialistes de la fin de vie qui estimaient la loi Léonetti suffisante ne devraient pas s’élever contre la loi Léonetti II, laquelle semblera sans doute insuffisante aux partisans de l’euthanasie active ou du suicide assisté.
Discussions en cours :
L’ association Ultime Liberté milité en faveur à la fois de la légalisation de l’ euthanasie volontaire et du suicide assisté, au nom d’un principe général de liberté et d’ autonomie de la personne quant aux choix de vie et de mort qui ne la concernent qu’elle même et ne mettent pas directement en cause la liberté d’autres personnes.
Nous considérons donc que des libertés de ce type, qui sont déjà reconnues dans un certain nombre de pays ou d’ états, sans que l’ on puisse considérer que ces diverses législations portent atteinte à l’un quelconque des "Droits de l’ Homme" reconnus par la DUDH de 1948, devraient être rendues accessibles à tout citoyen d’un état quelconque signataire de ces "Droits de l’ Homme".
Tant que cela ne sera pas le cas, nous considérons que les législations nationales qui restreignent de telles libertés individuelles, donc notamment l’ actuelle législation française, sont "illégitimes" à nos yeux, bien qu’ étant évidemment "légales" dans leurs pays respectifs.
Nous n’avons donc à cet égard aucun scrupule moral à utiliser toutes les possibilités de libertés ainsi offertes dans d’autres pays ( Suisse, Belgique, Pays Bas, etc. ), pour réaliser ce qui nous est refusé en France.
De plus, si l’on s’en tient à la simple législation nationale, dans un cadre habituel de "souveraineté", au vu de l’ ensemble des sondages régulièrement réalisés sur le sujet, il apparaît un profond écart entre la "volonté du peuple" ( en terme de majorité d’opinions ) en matière de fin de vie, et ce que les "représentants élus" sont capables ou incapables de proposer comme transformation de la législation nationale.
L’ association Ultime Liberté a publié à l’occasion de la délibération de cette nouvelle Loi Leonetti Claeys un communiqué que vous pouvez lire ici.
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On notera qu’il n’y a pas de sanctions, de contraintes ou d’indications réellement précises dans ce texte. Cela veut dire que tout comme la loi Léonetti de 2005, celle-ci ne sera pas appliquée et en plus elle donne TOUT POUVOIR à un médecin de prescrire et administrer une sédation terminale "dans l’intérêt du patient" sans son avis.
Seule une législation qui reconnaîtrait le droit au malade de choisir le soin adapté offrirait une liberté. Sa personne de confiance doit avoir les mêmes pouvoirs de décision à sa demande ou à sa place si besoin. Y compris de la sédation terminale.
MAIS, le professionnel de la médecine, psy, docteur, etc ... doit avoir le droit de proposer des choix des soins adaptés, y compris la sédation terminale. Cela sous réserve d’un protocole garantissant la "décision éclairée" de la personne, la validation du diagnostique et la complète documentation de la situation.
L’Etat doit accompagner ces droits avec un organisme de contrôle des "actes médicaux irréversibles", le dossier médical personnel DMP (et unique) accessible par tous les professionnels compétents. Le contrôle d’accès du DMP doit être sous la responsabilité de la personne concernée, mais toutes les informations doivent y figurer (une matrice de droits et contenus).
Nous pourrons alors parler d’un nouveau droit, d’un ensemble de pouvoirs et contre pouvoirs permettant d’établir des libertés qui rassureront à la fois ceux qui savent qu’un jour ils mourront, mais aussi le professionnel qui "en son âme et conscience" ouvrira la porte à des soins qui respectent l’éthique de l’individu (60% des généralistes prescriraient en temps utile une sédation terminale légale).
Aujourd’hui nous observons un débat entre les soins palliatifs, les labos, les fabricants et les institutions médicales, privées et publiques pour savoir qui aura la plus grosse partie du gateau. Plus de 60% des dépenses de santé sont dans les 6 derniers mois de la vie, soit 60% de 11,7% du PIB de 2 806 Milliards de dollars. La fin de vie c’est un marché de plus de 200 milliards d’Euros que se partagent les professionnels et les industriels de la santé.
La façon dont la législation est formulée est vouée à l’échec. Elle viole le contrat social "tu ne tueras point". Seule une approche qui re-situerait les droits de l’individu en milieu médicalisé et les droits des professionnels de santé "libre de sa prescription" comme le dit le code déontologique, mais cela sous un contrôle effectifs de l’état élargi à tous les actes "irréversibles" afin de de-judiciariser la relation soignant-soigné.
Mais les juristes font les lois, les médecins la santé et le pauvre humain meure seul dans le chagrin et l’agonie.
Voir www.aavivre.fr pour des propositions qui ouvre le chemin à des libertés en fin de vie.