Ce traité novateur allant au-delà de la simple facilitation de la relocalisation des Tuvaluans sur le territoire australien, introduit une série de mesures visant à répondre aux menaces auxquelles sont confrontés les États insulaires, ce qui en fait un effort pionnier dans ce domaine.
La conclusion de cet accord soulève ainsi la question de savoir si ce traité avec les mesures qu’il introduit peut représenter une alternative à la notion de réfugié, notion ne s’appliquant pas aujourd’hui aux populations victimes du changement climatique.
La recherche de la protection d’une population en dehors de tout cadre juridique existant.
La question des "Sinking States", c’est-à-dire des îles de faible altitude menacées par l’élévation du niveau des mers, est devenue une question juridique et géopolitique urgente. Ces États, confrontés à la perte progressive de leurs territoires, disposent d’options limitées et la pénurie de ressources pour mettre en œuvre des solutions efficaces ne fait qu’aggraver leur situation.
Pour relever ces défis, qui touchent à la souveraineté, aux droits de l’homme et à la justice environnementale dans un contexte international en constante évolution, plusieurs "Sinking States" se sont engagés dans des négociations avec d’autres États dans le but de préserver la survie de leurs populations face à ces menaces environnementales.
Marquant ainsi une avancée notable dans la diplomatie climatique, les solutions proposées par ce traité conclu entre le Tuvalu et l’Australie sont intéressantes et, moyennant certains ajustements, pourraient potentiellement être adaptées à d’autres nations insulaires.
Approfondissons ainsi d’abord le concept de "Sinking States" afin de bien appréhender quels sont les États insulaires les plus menacés, étudions ensuite le statut de "réfugié" en droit international afin de comprendre pourquoi il ne peut être appliqué aux victimes du changement climatique et examinons enfin les mécanismes mis en place dans le cadre du traité Tuvalu-Australie pour les comparer à ceux qui régissent le statut de réfugié de manière à expliquer pourquoi ils sont plus pertinents pour les populations auxquelles ils s’appliqueront.
I - Une population en danger.
Pas encore qualifiés de "Sinking States", la situation difficile de ces pays insulaires avait déjà été mentionnée dans le premier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), et des inquiétudes avaient déjà été exprimées quant à leur avenir. [1]
Plusieurs années plus tard, alors que les premiers effets de la montée du niveau de la mer commençaient à se manifester, entraînant le déplacement de 1 000 personnes, la terminologie "Sinking States” pouvant être traduit par, “îles en train de sombrer" est apparue. Au cours de cette période, l’accent a été mis sur la relocalisation de la population touchée sur une autre île du même archipel et, par conséquent, du même État. [2]
En 2011, un document de recherche du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a introduit l’expression "Sinking States". Cette expression soulignait les complexités, y compris les problèmes de souveraineté, associées à la relocalisation de la population d’un État insulaire dans une autre nation. [3]
Dès 1990, le GIEC avait souligné que de nombreux États insulaires, en particulier ceux de faible altitude, risquaient de perdre des portions importantes de leur territoire en raison de l’élévation du niveau de la mer. [4]
Dans de nombreuses études portant sur ce sujet, les petits États insulaires en développement (PEID) [5] sont souvent mentionnés comme étant les nations insulaires les plus touchées par le changement climatique. [6]
Les risques et les types de dangers auxquels ces îles sont confrontées sont variés et nombreux. Le sixième rapport d’évaluation du GIEC, notamment dans son chapitre sur les petites îles, met en lumière une série de facteurs contribuant à la vulnérabilité de ces îles au changement climatique. [7]
L’augmentation des températures et du niveau de la mer est un facteur clé, de même que l’augmentation de la fréquence et de la gravité des cyclones tropicaux au cours des quatre dernières décennies, qui ont causé des dommages considérables aux infrastructures. Ces phénomènes, contribuant aux inondations et à l’érosion côtières, affectent les zones côtières basses et les îles récifales, y compris d’importantes terres agricoles. [8]
En outre, l’augmentation de la température des mers et l’acidification des océans provoquent le blanchiment des coraux et une diminution de leur abondance, ce qui a un impact négatif sur les écosystèmes marins et terrestres. Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’une grande partie des espèces menacées d’extinction au niveau mondial se trouvent dans les îles, ce qui souligne leur importance pour la biodiversité et l’endémisme.
En outre, le rapport souligne l’effet du changement climatique sur les ressources en eau douce des petites îles, en diminuant la disponibilité de l’eau douce, qui est vitale pour la santé, le bien-être et la stabilité économique des populations insulaires, en particulier celles qui dépendent du tourisme côtier. [9]
Lors de l’identification des îles classées dans la catégorie "Sinking States", certaines îles sont fréquemment mentionnées en raison de leur situation géographique spécifique, qui les rend plus vulnérables à la menace existentielle de la submersion. [10]
Par conséquent, Nauru, dont l’altitude moyenne est relativement faible, entre 20 et 30 mètres au-dessus du niveau de la mer, est particulièrement sensible à l’élévation du niveau de la mer et à d’autres changements climatiques. Les zones côtières de l’île, où vit une grande partie de la population, ne se trouvent qu’à quelques mètres au-dessus du niveau de la mer. [11]
Cette raison d’une faible élévation menaçant le territoire de submersion concerne plusieurs autres États insulaires. Les Maldives sont également l’un des pays les plus bas du monde, avec une altitude moyenne de seulement 1,5 mètre au-dessus du niveau de la mer : l’élévation du niveau de la mer pourrait submerger l’ensemble du pays. [12]
À l’instar des Maldives, l’altitude moyenne des Kiribati n’est que de quelques mètres (3-4) au-dessus du niveau de la mer et le pays connaît déjà une érosion côtière importante et une intrusion d’eau salée dans les réserves d’eau douce. [13]
Tuvalu est un autre pays insulaire de faible altitude, dont le point le plus élevé n’est qu’à environ 4,6 mètres au-dessus du niveau de la mer. [14] Il en va de même pour les îles Marshall, qui se composent d’atolls et d’îles dont l’altitude moyenne au-dessus du niveau de la mer n’est que de 2 mètres. [15]
D’autres territoires, comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée avec l’île Carteret et Takuu, le Vanuatu avec Tegua, [16] les Fidji avec l’île Serua ou Vanua Levu, [17] les Îles Salomon, [18] les Seychelles, [19] les Palaos [20] ou les îles Tonga, [21] sont également concernés par le réchauffement climatique et en subissent les conséquences, mais ne se situent pas au même niveau de vulnérabilité.
Étant donné que leurs territoires englobent plusieurs îles, dont certaines sont plus élevées, certains États sont protégés des effets immédiats de l’élévation du niveau de la mer et ne sont donc pas confrontés à une menace existentielle à l’heure actuelle. Néanmoins, ces nations doivent encore relever le défi de déplacer les résidents des zones les plus vulnérables vers des zones plus sûres, une tâche compliquée pour les États qui ne disposent pas d’alternatives internes de relogement.
En outre, ils doivent s’adapter aux diverses implications de l’élévation du niveau de la mer, affectant l’approvisionnement en nourriture et l’agriculture. [22]
Dans le cas des États composés d’une ou plusieurs îles sans relief, la menace de l’élévation du niveau de la mer est plus immédiate et plus grave, pouvant entraîner leur disparition totale. Bien que les effets de l’élévation du niveau de la mer se fassent déjà sentir sur certaines d’entre elles, [23] les îles de l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS) peinent à faire entendre leur voix sur la scène internationale, en dépit de leur grand nombre.
Rappelons que l’AOSIS représente plus d’un quart des pays du monde mais qu’ensemble, ils sont responsables de moins de 1% des émissions mondiales de carbone. [24]
Étant donné que les activités économiques des États insulaires sont principalement situées dans des régions de faible altitude, ces zones risquent de devenir inhabitables bien avant d’être complètement submergées. Des conditions météorologiques défavorables, la pénurie de nourriture et la baisse du niveau de l’eau risquent de provoquer des déplacements de population dans ces États bien avant la submersion totale de leurs terres. [25]
Cette situation souligne le rôle vital de la collaboration internationale et invite les pays développés à apporter leur soutien par des moyens financiers et technologiques. L’AOSIS insiste sur le devoir moral d’assurer la protection de chaque nation insulaire, en préconisant des mesures rapides pour limiter l’augmentation de la température à moins de 1,5 °C et élaborer une stratégie de transition vers une croissance durable et à faible émission de carbone.
Le faible poids économique et géopolitique de ces nations insulaires constitue un obstacle de taille dans les discussions internationales sur le climat. Par conséquent, leurs préoccupations et leurs besoins spécifiques restent souvent sans réponse ou ne sont pas suffisamment pris en compte et ceci en dépit du fait qu’ils sont les principales victimes d’un réchauffement climatique dont ils ne sont pas responsables.
Mais comment de minuscules îles comme les Comores ou les Palaos peuvent-elles avoir suffisamment de poids pour convaincre la communauté internationale de faire de cette question un appel à l’action ?
Selon l’ambassadeur Jumeau, l’ironie du sort veut que les petits États insulaires en développement se retrouvent dans une situation délicate s’ils parlent plus fort qu’ils ne le font déjà : "We can’t go on a crusade around the world. The more noise we make, the more we scare away investors and tourists and destroy our own livelihood" [26]
Pourtant, les effets de la montée des océans sont déjà ressentis par les habitants puisque la grande majorité (95 %) des ménages a été affectée par un ou plusieurs risques naturels au cours de la période 2005-2015. L’élévation du niveau de la mer est l’aléa qui a touché le plus de ménages, soit environ 80 % et l’intrusion de l’eau salée a touché un peu moins de la moitié des ménages. [27]
Pour ajouter à cette situation déjà difficile, les populations de ces îles ne sont pas éligibles au statut de réfugié.
II - Mais un statut de réfugié inadapté au changement climatique.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) a été créé en 1950 en réponse aux crises de déplacement qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Initialement prévu pour un mandat de trois ans, le HCR est devenu une agence fondamentale des Nations unies, récompensée par les prix Nobel de la paix en 1954 et 1981.
Son rôle consiste à défendre le droit d’asile et à offrir un refuge aux personnes fuyant la violence, les conflits, les persécutions ou les catastrophes naturelles. La convention de 1951 sur les réfugiés, souvent appelée convention de Genève en raison du lieu où elle a été conclue, constitue le fondement de son cadre juridique. [28]
Comme l’explique la note introductive de la convention et du protocole relatifs au statut des réfugiés, rédigée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), [29]. la convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés constitue la pierre angulaire de la protection des réfugiés au niveau mondial.
Cette convention est ancrée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, en particulier l’article 14 qui affirme le droit de demander l’asile en cas de persécution à l’étranger.
- Article 14 : Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays. Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. [30]
Le protocole de 1967 a élargi à l’échelle mondiale le champ d’application de la convention, initialement limité aux personnes fuyant des événements antérieurs au 1er janvier 1951 et se trouvant en Europe. Toutefois, la convention ne s’applique qu’aux personnes pouvant répondre à la définition du réfugié donnée à l’article 1er. [31]
Cet article 1 définit le terme "réfugié" comme une personne qui :
- […] craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.
De cette manière, les résidents des “Sinking States” ne remplissent généralement pas les critères d’octroi du statut de réfugié, tels qu’ils sont définis dans la convention de 1951 relative au statut des réfugiés. [32]
Le fait de ne pas pouvoir bénéficier du statut très protecteur de réfugié au titre de la convention est extrêmement désavantageux pour ces populations. Par exemple, un réfugié peut actionner la protection accordée par l’article 33 : "interdiction d’expulsion ou de refoulement" de cette convention :
- 1. Aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques
Un réfugié peut également mettre en marche les diverses protections contre la discrimination mises en place par les pays accueillant les réfugiés.
Ainsi, dans la formulation actuelle de cette convention, les futurs 150 millions de "réfugiés climatiques" potentiels d’ici 2050 ne pourront pas bénéficier de ce statut, de même que les habitants de ces États insulaires. [33]
Certains universitaires ont déjà exprimé leurs inquiétudes sur ce point en expliquant que la nature hétérogène des migrations climatiques pose un défi unique pour les traiter dans le cadre de l’ordre juridique international et que l’absence de toute voie claire et non discrétionnaire pour la réinstallation légale des personnes subissant de plein fouet les effets du réchauffement climatique dans leur pays d’origine est une "lacune juridique". [34]
Même si l’ancien Premier ministre de Tuvalu, Enele Sopoaga, avait déjà fait cette analyse, il avait cependant également ajouté, réprouvant ce terme de “réfugié”, qu’en étendre l’interprétation aux "réfugiés du changement climatique" signifierait admettre que le monde renonce non seulement à Tuvalu, mais aussi à honorer les engagements et la responsabilité de rendre compte des dommages dévastateurs qui ont été infligés à des êtres humains. [35]
Du point de vue des habitants de ces États insulaires, qui ne sont d’ailleurs pas tous signataires de la convention sur les réfugiés, le terme "réfugié", qui n’existe pas dans la langue locale, est ainsi rejeté comme infamant et offensant. [36]
En effet, être réfugié, c’est être considéré comme quelqu’un qui fuit son propre gouvernement, ce qui n’est pas le cas des habitants des Etats insulaires, qui ne veulent pas quitter leur pays. Pour eux, ce terme est connoté avec le statut de victime, la passivité et l’absence d’action.
À Tuvalu et aux Kiribati, les réfugiés sont considérés comme des personnes qui attendent, impuissantes, dans des camps, comptant sur l’aumône, sans aucune perspective. À leurs yeux, être réfugié, c’est manquer de dignité et se trouver dans une telle situation serait le signe d’un échec de leur part à subvenir aux besoins de leur famille et à la protéger. Les Tuvaluans et les i-Kiribati ne veulent pas être perçus comme cela - ils veulent être considérés comme des membres actifs et appréciés de la communauté. [37]
C’est pour ces raisons que le gouvernement des Kiribati a décidé de mettre en œuvre un programme, "Migration with Dignity", dans le but de créer une main-d’œuvre qualifiée capable de trouver un bon emploi à l’étranger, [38] mais aussi de garantir des possibilités de migration de main-d’œuvre vers l’Australie et la Nouvelle-Zélande, de sorte que ceux qui souhaitent partir aient rapidement l’occasion de le faire et puissent progressivement créer des communautés à l’étranger.
Cette stratégie à long terme prévoit une réinstallation progressive et transitoire, de sorte que, lorsque l’ensemble de la population devra se réinstaller, les communautés et les réseaux familiaux élargis fonctionneront déjà dans leur nouveau pays d’origine. Le président espère ainsi que la culture et les traditions seront maintenues en vie et que son peuple sera également capable de s’adapter à de nouvelles cultures et à de nouveaux modes de vie. [39]
Alors que certains craignaient la discrimination que cette étiquette de réfugié pourrait entraîner lors de la migration vers un autre État, [40] et deux ans après l’appel de Tuvalu à la communauté internationale, [41] l’Australie a décidé de jouer son rôle, en signant un pacte de sécurité et de migration avec Tuvalu du Pacifique lors du sommet du Pacifique 2023. [42]
Un traité bilatéral prometteur.
Créé en 1971 sous le nom de "Forum du Pacifique Sud", le Forum des îles du Pacifique est une organisation intergouvernementale qui se concentre sur les politiques économiques et qui vise à encourager la collaboration entre les nations et les territoires de l’océan Pacifique.
Les membres de ce forum constituent un groupe diversifié comprenant l’Australie, les îles Cook, les Fidji, les Kiribati, les îles Marshall, la Micronésie, Nauru, la Nouvelle-Zélande, Niue, les Palaos, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Samoa, les îles Salomon, ls îles Tonga, Tuvalu et le Vanuatu. [43]
Le champ d’action de ce Forum englobe diverses questions cruciales telles que la promotion de la croissance économique, la réponse aux défis du changement climatique, la garantie de la sécurité régionale et la gestion de la gouvernance politique. Il se réunit chaque année et permet aux nations membres de collaborer à l’élaboration de stratégies et de politiques visant à résoudre des problèmes régionaux communs tout en jouant un rôle essentiel dans la défense des intérêts de la région Pacifique sur la scène internationale. [44]
En 2023, le sommet du Pacifique a vu l’aboutissement d’une alliance importante entre l’Australie et Tuvalu, connue sous le nom “Australia-Tuvalu Falepili Union” et décrite comme un accord entre nations souveraines à un partenariat plus avancé, plus intégré et plus complet. [45]
Le choix de "Falepili" comme descripteur de cette union a une signification délibérée, car le terme incarne une signification spécifique, "les valeurs traditionnelles de bon voisinage, d’attention et de respect mutuel". [46] Cette union convenue le 9 novembre 2023, comprend plusieurs composantes : un traité bilatéral entre Tuvalu et l’Australie, ainsi qu’un engagement articulé dans une déclaration conjointe des dirigeants. [47]
Le traité est structuré en huit articles, accompagnés d’un préambule. Ce dernier réaffirme les principes de souveraineté, d’intégrité territoriale et d’indépendance politique de l’Australie et de Tuvalu et souligne l’importance du respect de l’autonomie de chaque nation tout en reconnaissant l’impact significatif que les décisions d’une nation peuvent avoir sur l’autre. [48]
Le préambule souligne l’engagement des deux nations à respecter les valeurs du Pacifique, telles qu’elles sont mentionnées dans les principaux cadres et déclarations régionaux, notamment la stratégie 2050 pour le continent bleu du Pacifique et la déclaration de Boe sur la sécurité régionale. Il ajoute également que l’objectif du traité est de renforcer ce partenariat et de s’attacher à relever de nouveaux défis tels que le changement climatique, qui représente un problème de sécurité nationale important pour les Tuvalu. [49]
L’accord entre l’Australie et Tuvalu va au-delà de la lutte contre le changement climatique et l’élévation du niveau de la mer. L’article 4, intitulé "Coopération pour la sécurité et la stabilité", précise le soutien de l’Australie à Tuvalu dans diverses crises, notamment les catastrophes naturelles, les urgences en matière de santé publique et les menaces militaires. Cet article précise les conditions dans lesquelles l’aide et les opérations australiennes seront menées sur le territoire de Tuvalu. En outre, il fait de l’Australie le principal interlocuteur de Tuvalu pour les questions liées à la sécurité et à la défense. [50]
L’intégration de cet article dans le traité vise également à renforcer l’influence de l’Australie dans la région du Pacifique, notamment à la lumière de l’annonce faite par les Îles Salomon au début de l’année 2022 concernant la conclusion d’un accord de sécurité avec la Chine. [51]
Dans le contexte de la lutte contre l’élévation du niveau des mers, deux articles du traité se distinguent par leur pertinence : L’article 2, intitulé "Coopération en matière de climat", et l’article 3, "Mobilité humaine dans la dignité".
Ces articles sont placés avant l’article 4, qui porte sur la coopération en matière de sécurité et de défense, ce qui souligne leur importance. L’article 2 est particulièrement remarquable pour son contenu, qui, traduit en français, est le suivant :
- 1. Les parties, dans un esprit d’amitié, de respect mutuel et de soutien à des intérêts communs durables, y compris la stabilité, la sécurité, la prospérité et la résilience de chacun, s’engagent à travailler ensemble face à la menace existentielle que représente le changement climatique.
- 2. Les parties reconnaissent :
- a. le désir du peuple tuvaluan de continuer à vivre sur son territoire dans la mesure du possible et les liens profonds et ancestraux qui unissent Tuvalu à la terre et à la mer ;
- b. le statut d’État et la souveraineté de Tuvalu seront maintenus, ainsi que les droits et les devoirs qui en découlent, malgré l’impact de l’élévation du niveau de la mer liée au changement climatique ;
- c. que les développements technologiques plus récents offrent des possibilités d’adaptation supplémentaires.
- 3. Les parties s’engagent à travailler ensemble pour aider les citoyens de Tuvalu à rester chez eux en toute sécurité et dignité, notamment en promouvant les intérêts de Tuvalu en matière d’adaptation auprès d’autres pays, y compris dans le cadre de forums régionaux et internationaux. [52]
Pour saisir pleinement les effets tangibles de cet article, il convient de l’examiner en parallèle avec la déclaration commune sur l’Union publiée par Tuvalu et l’Australie, qui précise que leur partenariat sera étendu à un projet d’adaptation côtière de Tuvalu pour récupérer des terres sur l’île principale.
L’objectif est ainsi d’étendre les terres d’environ 6 %, créant un espace vital pour de nouveaux logements et des services essentiels pour les Tuvaluans, et permettant à la population de continuer à vivre à Tuvalu malgré l’élévation du niveau de la mer. La déclaration termine par un appel aux autres nations à se joindre à cet effort pour soutenir la vision d’adaptation à long terme de Tuvalu. [53]
Cet article 2 aboutit donc à deux résultats distincts.
Premièrement, il implique une contribution monétaire de 16,9 millions de dollars de l’Australie à Tuvalu. Cette somme s’ajoute aux 2,6 millions de dollars déjà versés au titre du financement de la lutte contre le changement climatique pour les années 2022-23. [54]
Deuxièmement, il démontre l’ouverture de l’Australie à la reconnaissance de la permanence de l’État de Tuvalu indépendamment des impacts du changement climatique sur le territoire de ce pays. [55]
Le deuxième article lié à la lutte contre la montée des océans est l’article 3 “Mobilité humaine dans la dignité”, qui se lit en français comme suit :
L’Australie met en place un parcours spécial de mobilité humaine pour les citoyens de Tuvalu afin d’accéder à l’Australie, ce qui permet aux citoyens de Tuvalu de :
- a. vivre, étudier et travailler en Australie ;
- b. accéder à l’éducation et à la santé en Australie, ainsi qu’aux revenus essentiels et au soutien familial à l’arrivée.
1. Afin de soutenir la mise en œuvre de la voie d’accès, Tuvalu veille à ce que ses contrôles en matière d’immigration, de passeports, de citoyenneté et de frontières soient solides et conformes aux normes internationales d’intégrité et de sécurité, et à ce qu’ils soient compatibles avec ceux de l’Australie et accessibles à cette dernière.
2.L’Australie fournit une assistance à Tuvalu pour lui permettre de s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 2 du présent article. [56]
Pour une meilleure compréhension de cet article, il est essentiel de se référer également à la déclaration commune sur l’Union qui précise que les habitants de Tuvalu méritent d’avoir le choix de vivre, d’étudier et de travailler ailleurs, alors que les effets du changement climatique s’aggravent et que c’est dans ce sens que l’Australie s’est engagée à offrir aux Tuvaluans une voie spéciale pour venir en Australie, avec un accès aux services australiens qui permettront une mobilité humaine dans la dignité. [57]
Cette initiative s’aligne sur les mesures prises précédemment par la Nouvelle-Zélande, notamment par le biais de sa ”Pacific Access Category (PAC)”, qui permet à 150 citoyens de Kiribati, 150 citoyens de Tuvalu, 500 citoyens de Tonga et 500 citoyens de Fidji de se voir accorder une résidence en Nouvelle-Zélande chaque année. [58]
Sur une population de Tuvalu d’environ 11 000 habitants, ce programme d’admission spécifique permettra à environ 280 personnes de bénéficier chaque année de ce programme en Australie, ce qui représente environ 2,5 % de la population totale de Tuvalu. [59]
Ce pacte marque une étape importante et historique, en montrant pour la première fois l’engagement d’une nation riche et industrialisée à s’impliquer activement dans l’atténuation des effets de l’élévation du niveau de la mer, en particulier pour l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS).
Ces nations insulaires, affectées de manière disproportionnée par le changement climatique malgré leur contribution minime à celui-ci, trouvent un allié dans cet accord, d’autant plus que la première mesure, qui consiste à financer un programme de sauvegarde du territoire menacé, est une solution qui pourrait permettre aux populations de rester sur leur île.
En offrant une voie simplifiée et privilégiée pour s’installer en Australie tout en respectant les souhaits d’une majorité de communautés indigènes du Pacifique de rester et de persévérer dans leur état d’origine parce que leur position de départ n’est pas celle de la nécessité de la migration, [60] ce traité semble avoir compris les souhaits des populations locales, qui ne veulent pas être stigmatisées par le titre de "réfugié", mais simplement pouvoir s’installer à l’étranger si elles le désirent.
Comme l’a développé Szymon Kucharski, ce traité met l’accent sur la coopération entre Tuvalu et l’Australie pour déterminer les personnes qui ont le plus besoin d’être réinstallées dans ce dernier État (articles 2(3) et 3(2) respectivement) et cela renforce la nature solidaire de la réinstallation de ces personnes en Australie - contrairement à la protection des réfugiés qui, une fois accordée, implique que l’État d’origine a été soit le persécuteur, soit le protecteur défaillant du migrant, ce qui peut conduire à des tensions potentielles entre pays. [61]
Cette combinaison de la volonté de la population et du réalisme de la solution proposée par cet accord semble donc prometteuse pour une éventuelle reproduction par d’autres pays.
Bien qu’il n’existe pas de définition internationalement reconnue d’un réfugié climatique, et que celui-ci ne soit pas couvert par la Convention de Genève, [62] ce premier traité représente une voie d’avenir pour les Tuvaluans menacés par le changement climatique. Il consolide le statut d’État de Tuvalu et sa représentation permanente sur les cartes mondiales, et intègre le savoir autochtone en tant que principe éthique fondamental dans le cadre de cet accord juridique international. [63]
S’il est novateur en ce qu’il offre une protection à une population qui n’en bénéficiait pas jusqu’à présent dans le cadre des conventions internationales, le traité conclu entre Tuvalu et l’Australie n’est pas exempt de points négatifs, et de nombreuses critiques se sont fait entendre après sa signature. [64]
Ainsi, même avec un accès plus facile au territoire australien, il faut garder à l’esprit que la richesse d’un citoyen moyen est liée à la terre coutumière et qu’il n’est pas possible de puiser dans cette ressource inaliénable pour financer une nouvelle vie en Australie. [65]
En outre, ni le gouvernement tuvaluan ni le gouvernement australien n’ont encore réfléchi comment la très petite communauté tuvaluane en Australie pourrait fournir de manière réaliste l’assistance nécessaire à 280 personnes par an, comment la culture tuvaluane sera entretenue pour ceux qui émigrent en Australie ou comment les nouveaux arrivants tuvaluans pourront accéder à un logement abordable en Australie étant donné la crise actuelle du logement abordable en Australie. [66]
Si le traité d’union Falepili Australie-Tuvalu marque une étape importante en encourageant les pays émetteurs de CO2 à reconnaître leurs responsabilités, il est essentiel d’examiner les motivations et les intérêts sous-jacents des signataires du traité. Il convient d’être vigilant et de se demander si de tels traités ne pourraient pas être utilisés par des nations plus puissantes pour exploiter les vulnérabilités, potentiellement en établissant des protectorats, en renforçant l’influence géopolitique ou en exerçant un plus grand contrôle sur la région du Pacifique.
Par l’édiction de voies de migration facilitées au lieu de s’attaquer directement au réchauffement climatique, de reconnaître la permanence des États ou de financer des mesures durables, on craint que de telles stratégies ne représentent une manœuvre visant uniquement à exploiter les États vulnérables. Cette approche pourrait conduire à l’absorption de leurs populations, à leur intégration dans d’autres nations et, éventuellement, à la prise de contrôle de leurs droits de pêche, de leurs zones économiques exclusives et de leurs eaux territoriales. [67]
Bien que le traité puisse avoir ses défauts, en particulier son manque de détails internes concernant le soutien financier de l’Australie à Tuvalu et le quota de Tuvaluans éligibles à la résidence australienne, qui soulèvent des inquiétudes quant au niveau d’engagement de l’Australie, les dispositions actuelles du traité sont prometteuses pour remédier à l’absence d’un statut officiel de réfugié climatique. [68]
La ministre des Affaires étrangères de Kiribati, Penny Wong, a fait allusion à ce potentiel, suggérant que l’Union de Falepili pourrait être utilisée comme modèle, laissant ouverte la possibilité de développements futurs. [69]
Ainsi, en veillant à ne pas transformer ces accords en pots-de-vin contre l’inaction climatique, et en marché militaire contre d’autres pays, ces traités pourraient, après quelques amendements pour les rendre plus égalitaires et éviter de placer les insulaires dans une position de dépendance, servir de base à la communauté internationale tout en ouvrant la voie à une reconnaissance de la permanence de la qualité d’Etat de ces Etats insulaires en perte de territoire.