Le droit et ses capacités d’adaptation, au cœur des enjeux climatiques.

Par Cécile Radosevic Batardy, Juriste.

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Explorer : # changement climatique # droit international # accord de paris # procès climatiques

« Désormais la solidarité la plus nécessaire est celle de l’ensemble des habitants de la Terre. » (Albert JACQUARD, « Voici le temps du monde fini »).

Depuis plusieurs décennies maintenant, nous savons que les enjeux climatiques sont cruciaux et tendent à redessiner tant nos territoires que nos modes de vie.

Notre monde change, il est en perpétuel mouvement. Le droit doit l’être également, afin de répondre au mieux à la menace bien concrète du changement climatique.

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Introduction.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, quelques définitions s’imposent.

Les enjeux climatiques, qu’on peut également appeler changement climatique sont définis ainsi : il s’agit de « changements de climats qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables [1] » .

Il est à noter qu’une distinction s’opère entre l’expression « réchauffement climatique » et « changement climatique  ». En effet, on retrouve souvent les deux expressions, sans trop savoir ce que cela recouvre.

Pour simplifier et grossir le trait, on peut retenir que l’expression « réchauffement climatique » ne prend en compte « que » la question de l’augmentation des températures, alors que l’expression « changement climatique  » englobe toutes les questions relatives aux modifications du climat, qu’elles soient dues à des facteurs naturels ou anthropocènes. On peut se référer également à l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui emploie l’expression « changement climatique ».

Ensuite, avant d’aborder les questions juridiques, il paraît important de bien spécifier ce qu’emporte la notion de changement climatique.

En effet, il est établi que la Terre a toujours connu des variations de températures et des changements de climats. Ça fait partie de la vie de notre planète, c’est naturel.
Cependant, alors qu’il a fallu plusieurs dizaines de milliers d’années pour que la surface terrestre se réchauffe de quelques degrés (5°C environ) depuis la dernière période glaciaire [2] , la surface de la planète s’est réchauffée de 0,8°C environ, depuis la fin du 19ème siècle [3], et ce principalement en raisons des activités humaines.

Ainsi, cette élévation que nous connaissons aujourd’hui est incroyablement élevée et progresse à une vitesse spectaculaire... et alarmante.

Il est désormais difficile d’en ignorer les conséquences, comme en témoigne l’actualité quotidienne : tempêtes, inondations, hausse des températures en Antarctique et ailleurs, réfugiés climatiques, montée des océans,... les exemples sont multiples.

Les enjeux du changement climatique sont désormais bien réels et la réponse juridique est un élément incontournable afin de lutter efficacement contre ses conséquences et protéger notre planète.

Tout d’abord, rappelons que le droit, structure notre vie en société et nos rapports à autrui. Il s’agit d’un « ensemble de règles de conduite socialement édictées et sanctionnées, qui s’imposent aux membres de la société [4]. ».
Toutefois, tel un serpent, le droit peine parfois à muer et à s’adapter aux enjeux climatiques, qui posent des problématiques juridiques sans précédent.

Faisons un tour d’horizon de la question, en étudiant la métamorphose du droit international face aux enjeux climatiques (I), puis en se demandant si le dernier né des accords internationaux, l’Accord de Paris, représente une réelle avancée juridique (II), enfin nous verrons à travers l’exemple des procès climatiques, comment le droit s’adapte aux enjeux climatiques (III).

I - La métamorphose du droit international face aux enjeux climatiques.

Indéniablement, les enjeux climatiques mettent au défi le droit, dans le but d’élaborer des instruments efficaces et efficients afin de répondre à ces enjeux de plus en plus concrets que pose le changement climatique. Cela entraîne des modifications de nos habitudes de vie, ainsi que la promotion du développement durable et des consciences écologiques.

Au regard de ces enjeux uniques, la réponse juridique se situe en premier lieu, au niveau international.

En effet, si les questions du réchauffement climatique et de l’impact de l’activité humaine sur notre environnement ont été posées par la communauté scientifique dès la fin du 19ème siècle, il a fallu attendre près d’un siècle supplémentaire afin que la communauté internationale ne s’empare de la question et qu’un début de réponse juridique émerge, dans les années 1980/1990.

Ainsi, c’est véritablement à partir de 1992, lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, que l’impulsion est donnée et que les questions liées à l’environnement mais aussi au changement climatique deviennent centrales.
A l’issue du sommet, deux conventions naîtront. La plus connue étant la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC), en date du 19 mai 1992.

La CCNUCC est entrée en vigueur le 21 mars 1994. Il s’agit de l’instrument juridique international majeur de la lutte contre le changement climatique. Viendra ensuite le Protocole de Kyoto, accord international portant sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en date du 11 décembre 1997 et entré en vigueur le 16 février 2005, annexé à la CCNUCC.

Ce dernier avait pour but de réduire, sur la période 2008-2012, d’au moins 5%, par rapport au niveau de 1990, les émissions de six gaz à effet de serre.

Toutefois, on ne peut pas dire que le Protocole de Kyoto ait connu un franc succès. Jugé trop contraignant, le Canada fut le premier pays à s’en retirer et les États Unis ont signé mais jamais ratifié le Protocole. Les pays en développement, au nom des responsabilités communes mais différenciées, n’avaient pas d’objectifs quantifiés. Ainsi la Chine ou l’Inde par exemple (qui ne sont pas les derniers pollueurs de la planète), n’avait aucune obligation contraignante, sur le plan juridique.

Enfin, dernier né et non des moindres, l’Accord de Paris, du 12 décembre 2015 et entré en vigueur le 4 novembre 2016, est présenté comme un accord marquant une avancée majeure en matière de lutte contre le changement climatique.

En effet, 195 Etats sur les 196 qui font parties de l’ONU ont signé l’Accord, ce qui fait de ce dernier un accord quasiment universel. Pour autant, est-il porteur d’une avancée significative, comme cela a été clamé à maintes reprises ? Ce point sera abordé ultérieurement.

Parallèlement, d’autres instruments juridiques internationaux ont vu le jour. On peut citer, de façon non exhaustive, le Protocole de Montréal en date du 16 septembre 1987 [5] , portant sur les substances nocives à la couche d’ozone au dessus du continent antarctique ; ou bien encore l’Accord pour l’élimination des hydrofluocarbures, en date du 15 octobre 2016.

Ces instruments juridiques, issus du droit international, cristallisent à eux seuls les problématiques des enjeux climatiques. En effet, ils sont le reflet d’une tentative de conciliation d’intérêts divergents, rassemblant tous les Etats de la planète, dans le but de préserver notre seul bien commun à tous : notre environnement.

Et qui dit « préserver » dit nécessairement « besoin de droit [6] », besoin d’une structure. La problématique du changement climatique, de par son ampleur inédite, implique en premier lieu une coopération internationale. Puis, on passe au niveau régional et national. Indéniablement, la lutte contre les enjeux climatiques se fait par strates.

Par conséquent, s’il y a un point sur lequel on peut désormais tous s’accorder, c’est qu’il n’y a pas de lutte contre le changement climatique sans une gouvernance « multilevel [7] », c’est à dire une gouvernance internationale, régionale et nationale, impliquant tous les acteurs, publics et privés, particuliers et professionnels.

Toutefois, tel un cercle infini, cette gouvernance « multilevel » ne peut se faire sans accords internationaux, qui représentent le squelette juridique de la lutte contre le changement climatique.
Mais ce droit international spécifique est lent à se mettre en place et souffre souvent d’un manque d’ambition, en raison des intérêts propres de chaque Etat et de l’absence d’un régime de sanctions et de responsabilité.

Cependant, il serait injuste et inexact surtout, de dire que le droit n’a pas la capacité de se métamorphoser afin de s’adapter aux enjeux climatiques actuels.

Par exemple, les enjeux climatiques sont désormais au cœur de litiges interétatiques, comme en témoigne le récent arrêt de la Cour Internationale de Justice (CIJ) du 2 février 2018 [8] .
A la suite d’un différend opposant le Costa Rica au Nicaragua, sur fond d’incursion de l’armée du Nicaragua en territoire costaricien, la CIJ a reconnu que les activités illicites du Nicaragua ont causé des dommages à l’environnement du Costa Rica, et que cela donnait lieu à une indemnisation. Pour cela, la Cour s’est fondée sur un principe de droit international bien établi, selon lequel « La violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparer dans une forme adéquate. »

Pour la première fois, une juridiction internationale a reconnu que des dommages causés à l’environnement donnait bien droit à une indemnisation.

A travers ce rapide aperçu, nous comprenons que le droit doit se muer, se métamorphoser et s’adapter. Pour l’heure, la création d’un tribunal spécial pour l’environnement ne risque pas de voir le jour.
Tous les regards se tournent donc vers les juges de droit commun de chaque État, qui vont devoir combler le flou et/ou vide juridique, qu’entraînent les enjeux climatiques. Ils vont devoir faire du neuf en adaptant des notions anciennes. Des questions telles que « qui est responsable ? », « comment réparer un manquement étatique à ses obligations conventionnelles ? », « comment rendre justice ? » émergent déjà.

Il est fréquent que le droit peine à être réactif ou a souvent quelque temps de retard. On peut le constater tant dans la législation nationale, européenne, et bien sûr internationale (qui s’apparente souvent à de la soft law), un décalage subsiste entre l’apparition du symptôme et du remède.

Les enjeux sont considérables, il s’agit de notre bien à tous, de ce que nous laisserons aux générations futures, et chaque décision prise aujourd’hui aura un impact sur les années et siècles à venir, c’est pourquoi il est nécessaire que le droit adapte sa boite à outils, afin de répondre au plus près à ces problématiques.
Ainsi, l’Accord de Paris, dernier accord international majeur en matière de lutte contre le changement climatique, a été revêtu de cette ambition, celle de répondre au mieux aux enjeux climatiques que nous connaissons actuellement et à venir. Pour autant, en pratique, est-ce vraiment le cas ?

II - L’Accord de Paris : une réelle avancée juridique ?

Un long chemin a été fait depuis l’entrée en vigueur de la CCNUCC en 1994, et c’est notamment grâce à la conférence de Copenhague (COP [9] 15 ), qui a permis de resserrer les objectifs et mesures à prendre, que nous avons pu aboutir à l’Accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015 lors de la COP 21, tenue dans le cadre de la CCNUCC.
L’Accord de Paris, unanimement salué, est entré en vigueur le 4 novembre 2016 et rassemble 195 Etats parties. Il ne produira ses effets qu’à compter de 2020, en raison de l’extinction prévue la même année, du Protocole de Kyoto.

L’Accord de Paris, décrit comme ambitieux, définit un objectif général plus précis que celui contenu dans la CCNUCC et doit limiter « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels (...) [10] » .

Fait innovant, pour atteindre cet objectif, il est prévu que « chaque partie établit, communique et actualise les contributions déterminées au niveau national successives qu’elle prévoit de réaliser. Les parties prennent des mesures internes pour l’atténuation en vue de réaliser les objectifs desdites contributions [11] ».

Il s’agit là des fameuses contributions nationales directes (CND), présentées comme particulièrement novatrices et qui permettraient, en théorie, de lutter contre le changement climatique, de manière significative.

Ainsi, la contribution nationale d’une partie « correspondra à son niveau d’ambition le plus élevé possible, comme tenu de ses responsabilités communes mais différenciées et de ses capacités respectives, eu égard aux contextes nationaux différents [12]. ».
Fait logique, les CND sont donc obligatoirement tempérées par le principe des responsabilités communes mais différenciées, principe central et indéboulonnable en matière de lutte contre le changement climatique.

Pour autant, l’Accord de Paris représente t-il une réelle avancée juridique ? Certains, comme les auteurs de l’ouvrage « Les procès climatiques. Entre le national et l’international », soulignent que les dispositions de l’Accord de Paris sont « insuffisantes à elles seules pour créer un système juridique efficace de lutte contre les changements climatiques. »
De ce fait, la réelle innovation juridique que représente les CND est à mettre en perspective. D’une part, il est encore beaucoup trop tôt pour mesurer l’impact que ces dernières auront sur l’effectivité de l’Accord, et plus globalement dans la lutte contre le changement climatique.
D’autre part, bien que la mise en place des CND soit perçue comme un progrès, il convient de rappeler que la valeur juridique de ces instrument est floue, si on se réfère à la lettre de l’Accord de Paris. En effet, l’Accord énonce tout au plus que les CND devront « présenter l’information nécessaire à la clarté, la transparence et la compréhension [13]. »

De plus, les CND devront être revues tous les cinq ans. Nous devrons donc un peu patienter pour voir au cours de l’année 2020 [14], la première révision des CND prises en 2015 et pour avoir un aperçu de leur utilité.

Assurément il est prévu que tous les Etats parties ont l’obligation conventionnelle de présenter une nouvelle CND qui constituera « une progression par rapport à la contribution déterminée au niveau national antérieure et correspondra à son niveau d’ambition le plus élevé possible, compte tenu de ses responsabilités communes mais différenciées et de ses capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales [15]. ».
En étant optimiste, on peut donc supposer que cela devrait nécessairement entraîner des avancées progressives en matière de lutte contre le changement climatique, même si il est à noter que certains voient dans les CND des engagements « juridiquement inachevés [16] » tout en mentionnant que « (...) ces incertitudes peuvent servir à poser des jalons a suivre ou à éviter lors de futurs contentieux climatiques [17]. ».

Enfin, concernant l’objectif initial de l’Accord de Paris, à savoir limiter la hausse de la température de la surface de la planète à 1,5°C voir 2°C, les CND existantes sont largement insuffisantes. Dès lors, en l’état actuel, cet objectif apparaît comme utopiste.

En effet, selon le dernier rapport du Programme Environnemental des Nations Unies (PNUE), « Emissions Report Gap [18] », publié le 26 novembre 2019, les engagements actuels des États parties pris dans le cadre de l’Accord de Paris, entraîneraient un réchauffement climatique évalué plutôt entre 2,7°C et 3,2°C.
En effet, ce rapport (en anglais) met clairement en évidence qu’un écart plus que significatif existe entre ce qui est actuellement mis en œuvre et ce que nous devrions réellement faire pour limiter le réchauffement climatique.
Par exemple, nous devrions réduire nos émissions de gaz à effets de serre de 7,6% par an, sur la prochaine décennie et les efforts des États, pris dans leurs CND, devraient être multipliés par … trois. Ces données seront certainement à prendre en compte lors de la prochaine révision des CDN.

Concernant l’aspect politique de l’Accord de Paris, le 1er juin 2017, Donald Trump, Président des États Unis, a annoncé le retrait américain de l’Accord de Paris, au motif que cet accord serait un « fardeau économique [19] » .

Toutefois les États-Unis ne pourront se retirer formellement de l’Accord avant la date du 4 novembre 2020, en vertu des dispositions de ce dernier. Ce retrait, qui n’entache pas l’existence juridique de l’Accord, peut toutefois conduire à s’interroger sur l’aspect fédérateur dont celui-ci a été revêtu.

Nonobstant ce dernier événement, il est indéniable que le droit poursuit sa métamorphose afin de s’adapter aux enjeux climatiques. Mais cela ne sera pas suffisant sans notre concours à tous.
En ce sens, le cas des procès climatiques en est le parfait exemple, avec une justice qui tâtonne, qui a encore des difficultés à répondre aux problématiques juridiques posées, tant cela est novateur et que le juge doit parfois se retrouver créateur de droit.

III - L’exemple des « procès climatiques ».

Preuve que le droit est capable de muer et de s’adapter aux changements, nous assistons depuis quelques années, à une implication sans précédent des citoyens, ONG ou associations de l’ensemble de la planète, dans la lutte contre le changement climatique.

Il s’agit bien sur des fameux « procès climatiques ». Actuellement, il y aurait dans le monde environ 1 300 instances introduites devant les différents tribunaux du monde entier depuis 1990, (1 023 rien qu’aux États Unis, 6 en France par exemple [20] ) à l’initiative de citoyens, associations, ONG...

Comme les auteurs de « Les procès climatiques. Entre le national et l’international » le soulignent, la justice climatique tend à devenir une sorte de laboratoire, pour observer les processus d’une future gouvernance mondiale [21] . En effet, face à l’inaction des pouvoirs publics, de plus en plus de citoyens se saisissent des tribunaux afin de faire respecter leurs droits, notamment celui à un environnement sain.

Les questions au cœur de ces procès climatiques sont celles déjà évoquées précédemment, à savoir qui est responsable et comment les responsables peuvent réparer les dommages causés par leurs actes, par exemple. Mais cela peut également concerner la demande de mettre fin à une situation qui peut être préjudiciable pour l’environnement et/ou des particuliers.

La nature des procès climatiques est profondément polymorphe [22] , tant en ce qui concerne la juridiction saisie (nationale, ou bien la CEDH, mais également les juridictions internationales) que pour ce qui touche à la notion de « victime ». En effet, une seule personne peut être concernée tout comme une population toute entière. Ça secoue et remet en cause la notion même de justice, d’une certaine façon.

En ce qui concerne les bases juridique de ces contentieux, il est intéressant de constater qu’une multitude de droits peuvent servir de fondements à ces actions. A la lumière de la jurisprudence récente, on peut constater que les droits fondamentaux, les droits constitutionnels, le droit de l’environnement, ou bien encore le droit des affaires, servent de base à ces contentieux [23] .
De ce fait, les procès climatiques permettent de dresser les contours de la future justice climatique.

Inutile ici de faire l’inventaire de toutes les affaires juridiques à dominante climatique, mais il convient de s’attarder sur quelques-unes d’entre elles afin de mieux appréhender comment le droit s’adapte à ces enjeux climatiques.

En ce sens, l’arrêt URGENDA représente un tournant juridique et a bénéficié d’une large couverture médiatique.

Pour rappel, l’ONG URGENDA et 886 requérants individuels néerlandais ont intenté un procès à l’État néerlandais afin d’engager sa responsabilité concernant sa politique qui ne permettait pas de lutter efficacement contre le changement climatique.
Après un long processus judiciaire, la Cour Suprême des Pays-Bas a rendu un arrêt le 20 décembre 2019, confirmant les arrêts précédemment rendus, reconnaissant ainsi que l’Etat néerlandais devait respecter ses obligations prises en matière de lutte contre le changement climatique.
De plus, la Haute juridiction reconnaît aussi une violation des articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH).
Ainsi, pour la première fois, un juge reconnaît « la gravité des conséquences du changement climatique » et enjoint à un État de respecter ses obligations juridiques, prises sur différents plans : international, européen et national.

Il est donc intéressant de constater que cet arrêt donne de l’effectivité aux engagements internationaux pris par l’État.
Et c’est la que le bât blesse en général. En effet, nous l’avons vu précédemment, les conventions internationales en matière de lutte contre le changement climatique, s’apparentent davantage à de la soft law et ne sont donc pas ou peu contraignantes, afin de ménager les intérêts politiques de chacun.

Toutefois, on assiste à travers le monde, à des décisions sanctionnant de plus en plus l’inaction des États, comme au Pakistan, avec l’arrêt « Ashgar Leghari v. Fédération of Pakistan », rendu le 4 septembre 2015 [24], où le juge a reconnu à un agriculteur pakistanais, que « le retard et la léthargie de l’État » face au changement climatique, portaient atteinte aux droits fondamentaux des citoyens. Le juge a alors émis une série d’injonctions, que l’Etat du Pakistan, devra respecter [25] .

Dans un autre registre, un arrêt rendu par la cour suprême de Colombie [26] et portant sur la déforestation de l’Amazonie colombienne, a reconnu que l’Amazonie colombienne était un sujet de droit et qu’ainsi elle avait donc « droit à la protection, à la conservation, à l’entretien et à la restauration », ordonnant ainsi à l’Etat colombien de prendre des mesures pour lutter contre la déforestation dans cette région [27] .

Mais il n’y a pas que les contentieux opposant les citoyens aux États qui émergent.
En effet, des contentieux entre des individus et des entreprises sont également en train de se développer, comme par exemple le contentieux initié par un paysan péruvien contre un conglomérat allemand de l’énergie (RWE), afin de savoir s’il était responsable de la fonte d’un glacier andin en raison de ses activités, favorisant le réchauffement climatique. Le 30 avril 2017, la cour d’appel de Hamm, en Allemagne, a jugé sa demande recevable. Des expertises ont été ordonnées, afin de rechercher le lien de causalité [28] .

Au niveau européen, bien que le recours « People’s Climate Case » ait été rejeté par le Tribunal de l’Union européenne, le 15 mai 2019, il contribue à renforcer l’idée que la justice climatique va devenir de plus en plus omniprésente devant les tribunaux.

En effet, le Tribunal de l’Union Européenne a reconnu les conséquences du changement climatique, comme une menace pour les droits humains des requérants.
La raison du rejet du recours est quant à elle, significative : le tribunal a jugé que les requérants n’avaient pas de statut leur permettant de contester les objectifs climatiques européens devant les tribunaux... Les requérants comptant saisir la CJUE, l’affaire n’est donc pas terminée.

En France, plusieurs actions ont été introduites, visant à mettre en cause la responsabilité de l’État français, pour inaction et carence dans la lutte contre le changement climatique.

Ainsi, « l’Affaire du siècle » a connu une forte couverture médiatique. Quatre ONG sont à l’origine de cette action, visant à sanctionner la « carence fautive » de l’Etat français, jugeant insuffisantes ses initiatives prises en matière de lutte contre le changement climatique. Une pétition a été lancée sur le site laffairedusiecle.net, rassemblant un grand nombre de signatures.
Le volet juridique de cette affaire est toujours pendant devant le Tribunal Administratif de Paris.

Par ailleurs, dans une affaire « Grande Synthe », le maire de la ville de Grande Synthe a déposé un recours gracieux visant « l’inaction en matière de lutte contre le changement climatique » de l’État français. Sa commune fait face à une montée des eaux et donc à des risques de submersion liées au changement climatique, selon le maire.
Le collectif « l’Affaire du siècle » a d’ailleurs déposé une intervention volontaire dans le cadre de ce dossier. L’affaire est toujours en cours.

Dans un autre registre, sept associations et une commune ont déposé un recours en référé suspension contre l’entreprise Total, concernant le permis accordé à l’entreprise afin de réaliser des forages exploratoires sur le territoire et les eaux de la Guyane. Le 1er février 2019, la justice a rejeté leur demande au motif que les arguments soulevés n’étaient pas « de nature à créer un doute sérieux ».
Toutefois, quelques semaines plus tard, Total a arrêté ses opérations de forage… en raison de l’absence d’hydrocarbures ! Décision qui a été saluée par François de Rugy, alors ministre de la Transition écologique, rappelant ainsi les « effets dévastateurs sur le dérèglement climatique » de ces derniers.

Enfin, une action climatique contre Total a été lancée par le biais d’une lettre d’avertissement, demandant au géant pétrolier de se « conformer à l’obligation de limiter le réchauffement à 1,5°C afin de prévenir un emballement du système climatique. ».
A l’origine de cette action, se trouve des collectivités territoriales et des associations, se fondant (entre autres) sur les dispositions de la loi du 21 février 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordres [29], qui impose aux entreprises de plus de 5 000 salariés, d’établir un plan de vigilance avec des mesures de sauvegarde de l’environnement. Suite à cela, une action a été engagée devant le Tribunal de Nanterre, contre le géant pétrolier. Rappelons que Total est responsable de l’émission de 450 millions de tonnes de CO2 par an, du fait de ses activités.

On ne peut donc que constater qu’il y a un mouvement commun, tant des entités (particuliers, associations, Etats, entreprises...) que du droit, afin de lutter contre les conséquences du changement climatique.

Les actions se multiplient, les prises de conscience également. Le droit tend à prouver qu’il a la capacité de s’adapter progressivement aux enjeux climatiques, en ajustant sa boite à outils et en mettant en place des outils juridiques efficients. C’est déjà là un premier pas, sur la longue route de la lutte contre le changement climatique. Toutefois, il est certain maintenant que le droit seul, ne pourra être l’unique réponse.

Cécile Radosevic Batardy, Juriste.

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Notes de l'article:

[1Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique, article 1er, 2).

[2J.M JANCOVICI, Dormez tranquilles jusqu’en 2100 et autres malentendus sur le climat et l’énergie, Odile Jacob, 2015.

[3Site web « Agence Parisienne du Climat ».

[4G.CORNU, Vocabulaire juridique, Editions PUF, 2020

[5Entré en vigueur le 1er janvier 1989.

[6Sandrine MALJEAN-DUBOIS, Matthieu WEMAERE, La diplomatie climatique de Rio 1992 à Paris 2015, Edition A.Pedone, 2015

[7Sandrine MALJEAN-DUBOIS, Matthieu WEMAERE, La diplomatie climatique de Rio 1992 à Paris 2015, Edition A.Pedone, 2015

[8CIJ, « Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière » (Costa Rica c. Nicaragua), 2 février 2018

[9Conférence des parties

[10Accord de Paris, article 2§1 a)

[11Accord de Paris, article 4§2

[12Accord de Paris, article 4§3

[13Accord de Paris, article 4 §8

[14A remettre en perspective, au regard du contexte mondial actuel, lié à la pandémie du Covid-19

[15Accord de Paris, article 4§3

[16Les procès climatiques. Entre le national et l’international, sous la direction de Christel Cournil et Leandro Varison, édition A. Pedone, 2018

[17Les procès climatiques. Entre le national et l’international, sous la direction de Christel Cournil et Leandro Varison, édition A. Pedone, 2018

[19Déclaration de Mike POMPEO, secrétaire d’état, USA

[20Les échos, « Réchauffement climatique : les actions en justice se multiplient dans le monde », Leila Marchand, 6 juillet 2019

[21Les procès climatiques. Entre le national et l’international, sous la direction de Christel Cournil et Leandro Varison, édition A. Pedone, 2018

[22Les procès climatiques. Entre le national et l’international, sous la direction de Christel Cournil et Leandro Varison, édition A. Pedone, 2018

[23Les procès climatiques. Entre le national et l’international, sous la direction de Christel Cournil et Leandro Varison, édition A. Pedone, 2018

[24Lahore High Court, 4 septembre 2015, « Leghari v. Federation of Pakistan »

[25Pour plus de détails, voir Les procès climatiques. Entre le national et l’international, sous la direction de Christel Cournil et Leandro Varison, édition A. Pedone, 2018, p.99

[26Colombie, Andrea Lozano Barragán, Victoria Alexandra Arenas Sanchez et al., Corte Suprema de Justicia, 4 avril 2018

[27Les procès climatiques. Entre le national et l’international, sous la direction de Christel Cournil et Leandro Varison, édition A. Pedone, 2018

[28CA Hamm, Saul Luciano Lliuya v. RWE, 30 avril 2017

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