La responsabilité fiscale de l’ancien dirigeant : la dure loi de la solidarité.

Par Antoine Reillac, Avocat.

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Explorer : # responsabilité fiscale # dirigeant d'entreprise # solidarité de paiement # contrôle fiscal

Ce que vous allez lire ici :

L'article aborde les moyens dont dispose l'administration fiscale pour actionner en paiement un dirigeant qui aurait commis des manquements. Il explique notamment l'action civile et la solidarité en paiement en cas de condamnation pénale. Il se penche également sur le cas spécifique de l'ancien dirigeant, confronté à des difficultés pratiques et juridiques lorsqu'il est mis en cause en responsabilité solidaire.
Description rédigée par l'IA du Village

Un dirigeant qui aurait cédé sa société pourrait estimer qu’il est libéré de toute obligation fiscale vis-à-vis de l’administration.
Mais, cela serait sans compter sur les spécificités du droit fiscal qui regorge de dispositifs de solidarité.
En effet, pour assurer le recouvrement des recettes fiscales, les textes donnent à l’administration les moyens de demander à un dirigeant (actuel ou ancien) le paiement des impôts pourtant dus par sa société.

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Faisant fi des personnalités juridiques distinctes que sont la société et son dirigeant, le droit fiscal donne à l’administration les moyens d’actionner le dirigeant qui aurait commis des manquements.

Nous verrons d’abord les moyens dont dispose l’administration pour actionner en paiement le dirigeant (1) puis le cas spécifique de l’ancien dirigeant (2).

1. Les moyens de l’administration pour actionner le dirigeant.

Les deux actions principales dont dispose l’administration sont :

  • l’action civile de l’article L267 du Livre des procédures fiscales et
  • la solidarité en paiement en cas de condamnation pénale de l’article 1745 du CGI.

1.1. L’action en responsabilité pécuniaire civile des dirigeants.

L’action en responsabilité prévue à l’article L267 du livre des procédures fiscales (LPF) est l’une des actions ouvertes aux comptables de la DGFiP pour assurer le recouvrement des dettes fiscales des sociétés ou groupements.

Elle a comme spécificité d’être une procédure civile (procédure à jour fixe) par laquelle le comptable public est représenté par un avocat. Le comptable public assigne le dirigeant devant le président du tribunal judiciaire. Le président tiendra une audience puis rendra une ordonnance.

Cette action tend à obtenir la condamnation solidaire du dirigeant de la personne morale au paiement de l’impôt dû et des pénalités qui s’y rattachent.

Le champ d’application de cette disposition est très large car elle s’applique à tous les types de dirigeants, de droit ou de fait ainsi qu’à tous les principaux impôts dus par une société (Impôt sur les sociétés, TVA, etc).

Pour être condamné, le dirigeant doit tout de même avoir commis des manœuvres frauduleuses ou bien des manquements graves et répétés aux obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions.

En pratique, les manquements et les manœuvres sont appréciés de manière assez souple par le juge civil, ce qui conduit de façon quasiment systématique à la condamnation pécuniaire du dirigeant.

Nous pensons toutefois que ce texte doit être interprété de manière stricte par le juge civil. Cette interprétation stricte est possible dès lors que les concepts fiscaux sont exposés et explicités au tribunal.

1.2. La solidarité de paiement en cas de condamnation pénale.

En cas d’enquête ouverte pour fraude fiscale [1], l’administration dispose de la faculté de se constituer partie civile devant le tribunal correctionnel.

L’exercice de cette prérogative permet d’obtenir du juge pénal une mesure distincte des peines principales et complémentaires, à savoir la solidarité fiscale prévue à l’article 1745 du CGI.

En vertu de l’article 1745 du CGI, en effet, les dirigeants qui ont fait l’objet d’une condamnation définitive prononcée en application des articles 1741 et suivants du CGI, peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l’impôt fraudé (la société), au paiement de cet impôt ainsi qu’aux pénalités fiscales afférentes.

En pratique, lors de l’audience correctionnelle, l’administration fiscale, partie civile représentée par un avocat, demande la condamnation à la solidarité des impôts dus par la société.

Il faut donc que le dirigeant soit condamné pour fraude fiscale pour que le juge pénal le condamne dans le même temps à payer les impôts dus par la société. Ce texte ne prévoit pas de conditions spécifiques pour que la solidarité soit prononcée ; la condamnation pénale devant suffire en elle-même, par sa gravité supposée à engager la responsabilité du dirigeant.

Ces deux actions (action civile et action pénale) sont particulièrement redoutables pour le dirigeant car elles aboutissent quasiment systématiquement à la condamnation solidaire du dirigeant alors que les manquements ou la fraude sont appréciés de façon très large par les juges civil et pénal.

Toutefois, ces mesures prennent une dimension encore plus dommageable dans le cas de l’ancien dirigeant.

2. L’ancien dirigeant condamné en responsabilité solidaire.

L’hypothèse évoquée ici est quasiment toujours la même.

Il s’agit du dirigeant d’une société qui vend celle-ci à un repreneur.

Les années passent quand un jour, il reçoit une assignation devant le tribunal judiciaire (action civile) ou une convocation à une audition au commissariat de police (action pénale).

C’est alors que l’ancien dirigeant apprend que sa société a fait l’objet d’un contrôle fiscal (notamment sur une des années où il était encore dirigeant), que ce contrôle suivi par le repreneur s’est passé dans des conditions difficiles (opposition à contrôle fiscal, souvent), difficultés à justifier des opérations relevant de l’ancienne direction. Cette vérification a entrainé un redressement important et très souvent mise en liquidation judiciaire de la société.

C’est généralement dans ces conditions que l’administration ne pouvant se retourner contre l’actuel dirigeant (parce qu’insolvable par exemple) se retourne vers l’ancien dirigeant.

Il y a néanmoins un problème de taille qui est que l’ancien dirigeant n’a jamais été informé du contrôle fiscal de son ancienne société.

Cette situation présente selon nous des difficultés d’ordre pratique et juridique qui sont présentées ci-après.

2.1. Sur l’absence de débat oral et contradictoire.

La première difficulté réside dans le fait que l’ancien dirigeant est exclu de fait et de droit des opérations de contrôle fiscal de son ancienne société.

En effet, quand le contrôle fiscal intervient, c’est le repreneur qui suit les opérations de contrôle et ce, quand bien même certaines années correspondent à la gérance de l’ancien dirigeant.

Le contrôle fiscal vise la société (vérifications de comptabilité) et ce sont les représentants légaux en fonction au moment du contrôle qui représentent la société pendant la vérification.

Aucune disposition légale ne prévoit que l’ancien dirigeant puisse représenter la société pour les exercices correspondant à sa gestion. Il n’est d’ailleurs même pas prévu qu’il soit informé de la tenue de ce contrôle. Enfin, il ne dispose d’aucun titre, aucun recours pour contester ce contrôle.

Cette circonstance n’est pas forcément problématique puisque le dirigeant qui a cédé sa société est en principe dégagé de ses obligations.

Toutefois, cela redevient problématique lorsque la solidarité de paiement menace d’être prononcée par le juge civil ou le juge pénal. La question du débat oral et contradictoire se pose alors.

Selon ce principe issu de la jurisprudence, le contribuable faisant l’objet d’une vérification de comptabilité doit avoir la possibilité d’un débat oral et contradictoire avec le vérificateur. La violation de ce principe est une irrégularité de procédure [2].

Même si ce principe est en apparence respecté puisque c’est à l’égard du repreneur qu’il s’applique. On peut tout de même se demander si dans le cas de la solidarité de l’ancien dirigeant, la substance du principe n’est pas atteinte quand on sait que l’ancien dirigeant pourra se voir condamner à régler des redressements dégagés à l’occasion d’un contrôle pour lequel il n’était pas présent et sur lequel il n’a aucune prise.

2.2 Sur la difficulté de justifier des opérations.

Dans la suite de ce qui vient d’être évoqué, le dirigeant dont l’ancienne société a fait l’objet d’un contrôle fiscal sans en être averti retrouvera la possibilité de justifier des opérations devant le juge (civil ou pénal selon le cas).

Toutefois, à ce stade, il sera en pratique très difficile de justifier des opérations litigieuses. Le dirigeant n’a plus ni la comptabilité de la société ni ses justificatifs qui ont été remis au repreneur. C’est la société qui conserve sa comptabilité.

Il est donc très difficile pour lui de justifier des opérations qui ont déjà fait l’objet d’un examen lors du contrôle fiscal et qui ont été tranchées par l’administration.

A cela s’ajoute la circonstance que les faits remontent souvent très longtemps en arrière.

Enfin, en pratique, les juges ont rarement le temps de rentrer dans le détail du contrôle.

Les documents de l’administration (proposition de rectification notamment) s’imposent de fait au juge au détriment de l’ancien dirigeant.

2.3. Sur le lien de causalité entre les agissements de l’ancien dirigeant et l’irrécouvrabilité.

Dans le cas de l’action civile [3], la Cour de cassation rappelle de manière constante l’obligation de caractériser le lien de causalité entre les agissements du dirigeant et l’impossibilité de recouvrer les impositions dues par la société [4].

Ce principe devrait normalement éviter la mise en cause de l’ancien dirigeant.

Car en pratique, il s’agit quasiment toujours du repreneur qui a provoqué l’irrécouvrabilité de la société. En effet, c’est généralement lors du contrôle fiscal que les difficultés ont pu apparaitre (absence de réponses aux courriers de l’administration, opposition à contrôle fiscal, etc.) puis les difficultés de recouvrement interviennent généralement après et finissent par entrainer la liquidation judiciaire de la société.

Dans le cas de l’ancien dirigeant, celui-ci n’a donc généralement aucun lien avec l’irrécouvrabilité de la société qu’il a quittée depuis longtemps.

Toutefois, encore faut-il que le juge interprète strictement ces dispositions. Espérons que cet article pourra y contribuer.

Antoine Reillac
Avocat associé chez Arfé Avocat
Barreau de Paris
antoiner chez arfe-avocats.com

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Notes de l'article:

[1CGI, art 1741.

[2CE 2-5-1990 n°58215.

[3LPF, art. L267 du LPF.

[4BOI-REC-SOLID-10-10-20 n°350.

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