Lorsqu’on évoque le droit pénal fiscal, on pense souvent à l’infraction de fraude fiscale qui a un champ d’application très large.
Toutefois, l’escroquerie est également relativement utilisée par les autorités de par ses spécificités et les facilités de répression qu’elle présente.
Par ailleurs, contrairement à la fraude fiscale qui est incriminée dans le Code général des impôts [1], l’escroquerie en matière fiscale résulte, comme le blanchiment, des dispositions de droit commun prévu dans le Code pénal [2].
A la lecture de cet article qui a vocation à présenter les spécificités fiscales de l’escroquerie, les pénalistes et les fiscalistes y trouveront peut-être de quoi éclairer leurs pratiques respectives.
L’escroquerie en matière fiscale est le plus souvent utilisée en cas de manquements concernant la TVA mais également l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu avec notamment la revendication de crédits d’impôt.
Ainsi, les applications courantes sont les dossiers d’escroqueries à la TVA de type carrousel, les fraudes à la TVA sur la marge, ou encore les escroqueries au crédit impôt recherche.
1. Définition de l’escroquerie fiscale.
Selon l’article 313-1 du Code pénal,
« L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ».
C’est cette définition qui s’applique mutatis mutandis dans les hypothèses où l’administration est victime d’escroquerie avec un élément matériel et un élément intentionnel.
1.1. Élément matériel de l’escroquerie fiscale.
L’élément matériel de l’escroquerie nécessite la réalisation de deux actes :
- La mise en œuvre de procédés frauduleux et
- La remise d’un bien, de fonds ou de valeurs par la victime.
1.1.1. Manœuvres frauduleuses.
Classiquement, les manœuvres frauduleuses sont généralement un acte mensonger.
Toutefois, le mensonge en soit n’est pas répréhensible [3]. Celui-ci n’est répréhensible que s’il est appuyé par un fait extérieur.
Dans le cas de l’escroquerie fiscale, les faits extérieurs constitutifs de l’escroquerie peuvent être notamment :
- La falsification de factures d’achats réels ;
- L’établissement de factures d’achats fictives ;
- La constitution d’entreprises sans activité économique ou ayant une activité économique artificielle (sociétés taxis) chargées de porter une TVA sur leurs factures de complaisance en vue d’en permettre la récupération par leur client, tout en s’abstenant de la reverser à la DGFIP.
Ces manœuvres doivent encore être suivies d’une remise de fonds pour constituer l’infraction, c’est-à-dire par le versement d’une somme au contribuable (un crédit de TVA par exemple) par l’administration fiscale.
1.1.2. Remise d’un bien, de fonds ou de valeurs.
En matière fiscale, la remise au sens de l’escroquerie interviendra généralement sous la forme suivante :
- Par remboursement direct ou tentative de remboursement au vu d’une demande de restitution ;
- Par imputation sur le montant de la TVA due à raison du chiffre d’affaires imposable réalisé.
Cette dernière hypothèse a soulevé des difficultés dans la jurisprudence car l’imputation sur la TVA due ne constitue pas en soi une remise manuelle de la chose comme le voudrait la tradition civiliste. En effet, l’administration ne remet pas matériellement les fonds au contribuable. L’opération n’a pour effet que de réduire le montant de TVA due par le contribuable.
Toutefois, la jurisprudence a tranché dans un sens en faveur de la répression.
En effet, la Cour de cassation a notamment jugé que le délit d’escroquerie était constitué dans l’hypothèse où un prévenu s’est fait remettre par le Trésor public, sous forme d’imputations scripturales valant remise d’espèces, décharge d’une partie de la TVA dont il était redevable [4].
1.2 Élément intentionnel.
L’escroquerie est une infraction intentionnelle qui suppose que la personne utilise volontairement des moyens frauduleux pour conduire l’administration à lui remettre la chose convoitée.
Le ministère public devra démontrer que les manœuvres frauduleuses ont été pratiquées dans le but de persuader l’administration fiscale de l’existence d’un crédit fictif de TVA ou d’un autre impôt, et l’inciter au remboursement.
Les manœuvres doivent avoir déterminé la remise ou la tentative de remise de fonds.
2. Tentative d’escroquerie.
La tentative d’escroquerie est réprimée par l’article 313-3 du Code pénal. La tentative est punie au même titre que le délit lui-même.
Il peut s’agir de l’hypothèse où une personne aura fait une demande de remboursement (commencement d’exécution) qui n’aura pas abouti à une remise.
3. Répression du délit d’escroquerie : action publique.
3.1. Compétence du ministère public.
Le ministère public est la seule autorité à pouvoir exercer l’action publique.
Contrairement au délit de fraude fiscale, la mise en œuvre des poursuites n’est subordonnée ni au dépôt d’une plainte ni à une dénonciation obligatoire comme pour le délit de fraude fiscale [5].
Évidemment, il n’y a pas lieu de recueillir l’avis de la commission des infraction fiscales avant d’engager la procédure judiciaire.
En pratique, l’administration fiscale porte plainte afin de fournir au Parquet les éléments matériels pouvant permettre au parquet de caractériser l’infraction.
De plus, depuis 2015, la judiciarisation de la fraude dite « carrousels TVA » est opérée en amont au moyen d’un signalement au procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale.
D’après la circulaire relative à la lutte contre la fraude fiscale [6], le procureur de la République compétent est celui du lieu de commission de l’infraction, du lieu de résidence ou du lieu de l’arrestation des personnes suspectées [7].
3.2. Prescription de l’action publique.
Conformément aux dispositions de l’article 8 du Code de procédure pénale, l’action publique se prescrit par six années révolues.
Le point de départ du délai de six ans se situe à la date de la consommation du délit, c’est-à-dire :
- à la date du remboursement (date d’ordonnancement) ;
- au jour du dépôt de la déclaration de chiffre d’affaires si le remboursement a lieu par imputation ;
- et, dans l’hypothèse de la simple tentative, à la réception de la demande de remboursement.
Dans le cas d’escroqueries complexes avec manœuvres frauduleuses se poursuivant sur une longue période de temps, formant entre elles un tout indivisible, et provoquant des remises successives, la prescription ne commence à courir qu’à partir de la dernière de ces remises [8].
Cette hypothèse se rencontre souvent en pratique, ce qui a pour effet de permettre au ministère public de remonter largement plus de six ans en arrière.
4. Réparation du préjudice : action civile.
L’action en réparation du préjudice subi par l’État du chef du délit d’escroquerie se fonde sur les dispositions de droit commun du Code de procédure pénale et non pas sur les dispositions de l’article L232 du LPF autorisant l’administration à se constituer partie civile sur ses propres plaintes pour venir au soutien de l’accusation.
La constitution de partie civile est faite au nom de l’État et des dommages-intérêts peuvent être réclamés au tribunal.
Il est en effet de jurisprudence constante que
« les juges du fond ne sauraient rejeter les demandes de l’État fondées sur le préjudice causé au Trésor par un délit d’escroquerie au seul motif que les prévenus peuvent se voir réclamer par les voies propres à l’administration, la réparation du préjudice résultant du délit de soustraction frauduleuse à l’établissement ou au paiement de l’impôt » [9].
Cela étant, le montant des dommages et intérêts à allouer en réparation du préjudice causé par le délit relève de l’appréciation souveraine des juges du fond [10].
5. Cumul avec la fraude fiscale.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé qu’un contribuable, déjà condamné pour fraude fiscale en raison de faits « se recouvrant partiellement » avec ceux poursuivis sous la qualification d’escroquerie à la TVA, peut néanmoins être déclaré coupable de ce second délit.
Cette solution apparait à première vue contraire au principe « ne bis in idem ».
Toutefois la Cour de cassation a jugé que, dès lors que les deux infractions comportent des éléments constitutifs distincts, il est possible de poursuivre un prévenu pour des faits d’escroquerie en bande organisée et pour fraude fiscale [11].