Rappelons tout d’abord, en tant que de besoin, que le service Adwords permet à tout opérateur économique, moyennant la sélection d’un ou de plusieurs mots clés, de faire apparaître, en cas de concordance entre ce ou ces mots et celui ou ceux contenus dans la requête adressée par un internaute au moteur de recherche, un lien promotionnel vers son site.
Ce lien apparaît dans la rubrique "liens commerciaux" à droite de l’écran, dans une colonne parallèle à celle où apparaissent les résultats dits "naturels", ou en haut d’écran, sous la zone de requête et juste au dessus de ces résultats naturels.
Le lien promotionnel, qui n’est autre qu’un lien hypertexte renvoyant vers l’adresse url de l’annonceur, est généralement accompagné d’un titre et d’un message de présentation d’une ligne ou deux.
Ce n’est qu’en cas de clic sur le lien promotionnel que la publication de l’annonce génère une rémunération en faveur de Google à la charge de l’annonceur, on parle alors de coût par clic (CPC). La société Google a établi et mis en ligne un livre blanc qui permet de se familiariser avec les notions de coût par clic (CPC), de taux de conversion (CVR) et autre coût par acquisition (CPA).
Depuis longtemps déjà, la jurisprudence considère comme un fait constitutif de contrefaçon et de concurrence déloyale et parasitaire le fait d’utiliser la marque d’autrui en tant que mot clé dans le code source d’un site internet.
Des mots clés peuvent en effet être insérés directement dans le code d’une page web, au moyen de la balise affectée de l’attribut name="keywords" dans l’entête de la page, c’est-à-dire dans la partie comprise entre les balises
et, pour les amateurs de langage xhtml.
Il avait ainsi été jugé par le Tribunal de Grande Instance de PARIS, le 29 octobre 2002 (disponible sur le site legalis.net), dans une affaire ayant opposé deux sociétés spécialisées dans la vente d’orgues de barbarie, que « l’utilisation par la société xxx du terme « ooo » comme mot-clé sur les pages de son site internet, sans l’autorisation de M. ooo, constitue une contrefaçon de la marque « Orgues ooo », au détriment de celui-ci et une atteinte au nom commercial ».
La question des mots clés utilisés dans le programme Adwords pose une problématique similaire, mais cette fois ci dans la partie dite des "liens commerciaux" du moteur de recherche Google, et non dans la liste des résultats "naturels", celle de l’utilisation du nom d’un concurrent pour favoriser l’apparition en bonne place de son propre site.
En effet, et c’est précisément le fonds des affaires qui étaient soumises à la CJUE, il arrive que certains annonceurs soient tentés d’utiliser la marque d’un concurrent pour faire apparaître, dans la rubrique "liens commerciaux", des annonces promouvant leur propre site internet, sur lequel seront vendus des imitations des produits du titulaire de la marque où des produits qui, sans constituer des imitations ou des contrefaçons, constituent des offres alternatives et concurrentes.
Si la responsabilité de l’annonceur ne posait pas de réelle difficulté, celle de la société Google avait partagé la jurisprudence.
Sur le point précis de la responsabilité de la société Google, la CJUE a considéré dans son arrêt du 23 mars 2010, manifestement dans le but de réduire le nombre de contentieux, que la responsabilité de cette société ne peut être engagée qu’après qu’elle ait été informée de l’illicéité des termes utilisés par l’annonceur.
Sur le terrain de la contrefaçon, la CJUE indique ainsi que la société Google ne fait pas elle-même un "usage" dans la vie des affaires des signes protégés au titre du droit des marques, mais qu’elle se contente de permettre à ses clients, les annonceurs, de procéder à un tel usage.
La société Google n’est donc plus attaquable au titre de la contrefaçon de marque.
Sa responsabilité ne peut être recherchée qu’en sa qualité d’intermédiaire technique et dans le cadre du régime juridique de responsabilité issu de l’article 14 de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000, qui est à l’origine en droit français de l’article 6-I de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (loi dite "LCEN"), qui trouve à s’appliquer aux hébergeurs de sites internet.
Il en résulte que la responsabilité de la société Google ne pourra être engagée qu’après que cette société ait été informée du caractère illicite des termes employés en tant que mots clés ou de l’usage illicite d’un terme protégé.
La CJUE apporte néanmoins un bémol en indiquant qu’il appartient aux juridictions nationales d’apprécier si la société Google s’est effectivement comportée comme un intermédiaire technique passif, faute de quoi elle ne pourrait pas bénéficier de ce régime dérogatoire de responsabilité qui lui est favorable.
Ceci étant, le bémol risque de n’être que théorique car il appartient au "plaignant" de prouver que la société Google a joué un rôle actif et ne s’est pas contentée d’intervenir en tant que simple intermédiaire technique, preuve qui risque d’être difficile à rapporter pour les plaideurs.
La solution a été confirmée par la CJUE elle-même, dans un nouvel arrêt du 8 juillet 2010 (aff. C-558/08, Portakabin).
Par plusieurs arrêts du 13 juillet 2010, la Cour de Cassation a tiré les enseignements de l’arrêt rendu à sa demande par la CJUE et a insisté sur l’obligation pour le demandeur, s’il souhaite écarter le régime de responsabilité issu de l’article 14 de la directive 2000/31/CE, de prouver le rôle actif de nature à confier à la société Google une connaissance ou un contrôle des données stockées.
De même, par un arrêt du 19 novembre 2010 (RG N° 08/00620), la Cour d’Appel de PARIS a également mis hors de cause la société Google en rappelant qu’il appartient au demandeur de rapporter la preuve d’un rôle actif de la part de cette société : "la preuve n’est pas rapportée que Google au-delà des conseils de portée générale qu’elle fournit aux annonceurs pour les aider à rédiger et à cibler titres et annonces, a pris part à la rédaction du contenu des liens commerciaux, de leur titre comme de leur contenu" et "que le choix des mots clés est ainsi le fait de l’annonceur", "qu’il n’est pas établi que Google exerce un contrôle sur un tel choix", pour finalement conclure que la responsabilité de cette société doit donc être appréhendée "dans le cadre restreint fixé par l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004".
En pratique, il faudra donc mettre en demeure la société Google et ce n’est qu’en cas d’inaction de sa part qu’une action pourra alors être envisagée.
Pour les annonceurs, la solution est beaucoup moins favorable.
La CJUE a en effet clairement jugé que :
"Lorsque l’annonce, tout en ne suggérant pas l’existence d’un lien économique, reste à tel point vague sur l’origine des produits ou des services en cause qu’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n’est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui y est joint, si l’annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, économiquement lié à celui-ci, il conviendra également de conclure qu’il y a atteinte à ladite fonction de la marque."
Le seul espoir de l’annonceur est donc de plaider l’absence de confusion possible, pour espérer écarter le grief de contrefaçon.
Ceci étant, si la contrefaçon n’est pas retenue par les juges du fond, du fait d’une absence de confusion, l’utilisation de la marque d’autrui, qui constitue souvent aussi un nom commercial, pourra être sanctionnée au titre de la concurrence déloyale et des agissements parasitaires, consistant à se placer ainsi dans le sillage du concurrent.
Par un arrêt du 15 septembre 2010 (RG N° 07/02055), la Cour d’Appel de PARIS a ainsi condamné une société ayant utilisé la marque d’un concurrent comme mot clé, tant sur le fondement de la contrefaçon de marque, que sur celui de la concurrence déloyale.
La Cour a en effet jugé que :
« …la sélection par l’annonceur d’un signe identique à une marque d’autrui en tant que mot-clé voué à déclencher l’affichage de son message publicitaire constitue à l’évidence un usage de ce signe dans le contexte d’une activité commerciale visant à un avantage économique, c’est-à-dire dans la vie des affaires et non dans le domaine privé ;
Que l’avantage économique qui est ici recherché par l’annonceur consiste à faire connaître ses propres produits à l’internaute désireux de trouver des informations ou des offres sur les produits du titulaire de la marque et, par là-même, à lui proposer une alternative par rapport aux produits couverts par la marque, circonstance qui caractérise à la charge de l’annonceur l’usage d’un signe identique à la marque d’autrui pour des produits identiques à ceux pour lesquels cette marque a été enregistrée ; »
La Cour précise que :
« …l’internaute qui introduit le signe xxx comme critère de sa recherche, qu’il convient de regarder comme attachant un intérêt particulier aux produits offerts à la vente par la société xxx, voit apparaître en première ligne sous la rubrique « liens commerciaux » les annonces publicitaires précitées, lesquelles renvoient respectivement à des adresses de sites internet sans communiquer le moindre élément permettant d’identifier la personne physique ou morale pour laquelle ces annonces sont faites ;
Qu’au regard de ces circonstances, l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif serait fondé à croire que les produits « yyy » sont commercialisés par la société xxx de sorte que, le risque de confusion sur l’origine des produits se trouve en l’espèce caractérisé ;
Considérant que la société xxx fait grief au jugement déféré d’avoir estimé que le parasitisme invoqué n’était pas caractérisé ;
Mais considérant que s’il apparaît à l’évidence qu’en faisant le choix du signe xxx à titre de mot-clé, la société zzz a cherché « à se placer dans le sillage » de cette société, cette circonstance a été nécessairement prise en compte pour retenir à sa charge des faits de concurrence déloyale et, en tout état de cause, n’a pas généré pour la société xxx un préjudice distinct de celui qui sera réparé au titre de la concurrence déloyale. »
L’utilisation illicite, qui avait abouti à 39 clics sur le lien commercial, a valu a son auteur une condamnation globale à payer 40.000 euros de dommages-intérêts (30.000 euros au titre de la contrefaçon et 10.000 euros au titre de la concurrence déloyale)...
...soit un coût par clic plutôt élevé !
Stéphane Andreo
Avocat au Barreau de Lyon