La formation collégiale du juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris, qui avait adressé à la Cour de cassation sa demande d’avis, a donc rendu son jugement.
Ainsi, aux questions :
« Le juge de l’exécution, peut-il, dans le dispositif de son jugement, déclarer réputée non écrite comme abusive la clause d’un contrat de consommation ayant donné lieu à la décision de justice fondant les poursuites ?
Dans l’affirmative, lorsque cette clause a pour objet la déchéance du terme, peut-il annuler cette décision ou la dire privée de fondement juridique notamment lorsque l’exigibilité de la créance était la condition de sa délivrance ? Dans ce cas, peut-il statuer au fond sur une demande en paiement ?
Peut-il modifier cette décision de justice, en décidant qu’elle est en tout ou partie insusceptible d’exécution forcée ? Dans ce cas, peut-il statuer au fond sur une demande en paiement ? »
La Cour de cassation avait répondu :
« 1°/ Le juge de l’exécution peut constater, dans le dispositif de sa décision, le caractère réputé non écrit d’une clause abusive.
2°/ Le juge de l’exécution, qui répute non écrite une clause abusive, ne peut ni annuler le titre exécutoire, ni le modifier. Il ne peut pas non plus statuer sur une demande en paiement, hors les cas prévus par la loi.
3°/ Le titre exécutoire étant privé d’effet en tant qu’il applique la clause abusive réputée non écrite, le juge de l’exécution est tenu de calculer à nouveau le montant de la créance selon les dispositions propres aux mesures d’exécution forcée dont il est saisi. Il tire ensuite toutes les conséquences de l’évaluation de cette créance sur les contestations des mesures d’exécution dont il est saisi. Lorsqu’il constate que le débiteur ne doit plus aucune somme, il doit ordonner la mainlevée de la mesure ».
La Cour de cassation a donc permis au juge de l’exécution de sanctionner le caractère abusif d’une clause de déchéance du terme figurant dans un contrat à la consommation dont l’exécution a donné lieu à la création d’un titre exécutoire (une condamnation du débiteur à payer une somme d’argent à une banque) et ce alors que le titre exécutoire est définitif, toute voie de recours étant expiré.
La Cour de cassation a rejeté la demande formulée par la Fédération française des banques et la société Eos france qui consistait à permettre au juge de l’exécution de prononcer la résolution judiciaire du contrat, ce qui aurait rendu sans effet la sanction du caractère abusif de la clause de déchéance du terme.
L’enjeu est fondamental car depuis 2 arrêts rendus le 22 mars 2023 et un arrêt rendu le 29 mai 2024, la Première chambre civile a déclaré abusive la quasi-totalité des clauses de déchéance du terme figurant dans les contrats commercialisés par les banques depuis 30 ans, lesquelles ne laissent pas à l’emprunteur un délai suffisant (soit supérieur à 15 jours pour le moment) pour régulariser sa situation d’impayés avant de voir le capital restant dû devenir exigible.
Le juge de l’exécution, confronté à une clause de déchéance du terme abusive, doit donc recalculer à nouveau le montant de la créance.
Les juges étaient donc confrontés à deux dernières questions majeures :
- La clause de déchéance du terme pouvait-elle être considérée abusive alors qu’elle était conforme aux modèles type figurant dans la partie règlementaire du Code de la consommation applicable lors de la souscription du contrat (en l’espèce, dossier Eos france oblige, le contrat datait du 30 janvier 1998, Zizou n’était pas encore Zizou) ?
- Pour recalculer la créance, le juge devait-il prendre en compte les échéances échues au jour de la déchéance du terme ou bien devait-il prendre en compte toutes les échéances du contrat échues depuis 1998, le contrat étant arrivé à son terme ?
Rappelant le principe posé par la Cour de cassation selon lequel « il n’existe pas un droit acquis à une jurisprudence figée de sorte que, par principe, l’interprétation jurisprudentielle nouvelle de la règle de droit s’applique immédiatement aux situations antérieurement constituées », les magistrats ont toutefois précisé que lors de la souscription du contrat, les dispositions de la directive n° 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 et celles de l’article L132-1, alinéa 1, du Code de la consommation étaient en vigueur.
Les magistrats, respectant la hiérarchie des normes, ont rappelé que des dispositions réglementaires ne sauraient prévaloir sur l’application d’une disposition législative telles qu’interprétées par la jurisprudence, ni sur une directive européenne datant de 1993 et dont l’application est immédiate.
Appréciant ainsi le caractère abusif de la clause de déchéance du terme figurant dans le contrat de crédit souscrit en 1998 par la demanderesse, et faisant application d’une jurisprudence dorénavant constante, les magistrats ont considéré :
« Cette clause, qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt autorisant la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d’une échéance à sa date, sans mise en demeure ou sommation préalable, ni préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment de l’emprunteur, ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement.
Dans ces conditions, il y a lieu de la déclarer abusive ».
Enfin, se posait la question de la sanction de cette clause et de la méthode de calcul à prendre en compte.
Si la société Eos France a relevé « à juste titre que le contrat de prêt, en l’absence de déchéance du terme valablement prononcée, s’est poursuivi et que les échéances postérieures à mars 2003 sont toutes devenues exigibles par la suite », les magistrats n’ont pas omis l’avis de la Cour de cassation qui avait indiqué clairement que le titre exécutoire était « privé d’effet en tant qu’il applique la clause abusive réputée non écrite ».
La stricte application de cet avis est que les échéances échues postérieurement au titre exécutoire sont privées d’effet exécutoire, les magistrats motivant ainsi leur décision :
« Toutefois, en application des dispositions de l’article L111-2 du Code des procédures civiles d’exécution, faute de disposer d’un titre exécutoire condamnant Mme Dupont [1] au paiement des échéances échues postérieurement, elle ne pouvait poursuivre leur recouvrement forcé.
En effet, le titre exécutoire est privé d’effet, et ne peut donc fonder une mesure d’exécution forcée, en tant qu’il applique la clause de déchéance du terme abusive et réputée non écrite.
Il s’en déduit que le titre exécutoire ne produit effet qu’en tant qu’il condamne Mme XXX aux échéances échues impayées exigibles indépendamment de la déchéance du terme, soit, au cas présent, celles dues à la date de déchéance du terme invoquée par la banque ».
Ainsi, le titre exécutoire fondant la saisie contestée n’est exécutoire que pour les échéances échues au moment du prononcé de la déchéance du terme intervenue en l’espèce le 20 mars 2003.
Les juges de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris, pour recalculer la créance, ont donc considéré que :
« Les autres condamnations au titre du capital restant dû et de l’indemnité légale de 8%, prononcées par le juge d’instance en application de la clause de déchéance du terme abusive, sont donc privées d’effet ».
La conséquence de cette décision est que l’intégralité des saisies effectuée pour des sociétés et fonds commun de titrisation spécialisée dans le rachat de créances non recouvrées auprès des organismes de prêts aux consommateurs [2], peuvent être contestées devant les juges de l’exécution et voir leur montant réduit au montant des échéances échues au moment du prononcé de la déchéance du terme, le capital restant dû étant exclu du montant de la saisie.
De plus, avec les arrêts rendus par la 1ʳᵉ chambre civile de la Cour de cassation les 22 mars 2023 et 29 mai 2024, c’est presque l’intégralité des saisies opérées par tous les organismes bancaires qui peuvent être remises en cause, d’où l’intervention volontaire à la procédure d’avis à la Cour de cassation de la Fédération française des banques…