Toute faute commise par un sapeur-pompier, volontaire (SPV) ou professionnel (SPP), est de nature à engager sa responsabilité, et ce même si la faute est commise en dehors de l’exercice de ses fonctions compte tenu des « valeurs », de la « réputation » et de « l’image du corps des sapeurs-pompiers » [1]. Il peut s’agir de sa responsabilité disciplinaire, mais aussi de sa responsabilité civile (pécuniaire) et de sa responsabilité pénale en cas de faute détachable du service [2].
La faute personnelle se détache effectivement du service en raison de sa nature ou de sa gravité, s’agissant d’un comportement inexcusable ou sans lien intellectuel avec le service [3].
Pour les pompiers, compte tenu du « faible nombre des actions contentieuses menées à leur encontre, qu’il s’agisse des instructions pénales ou des constitutions de partie civile des victimes ou de leurs ayants droit » [4], ces hypothèses demeurent, en dépit d’une progressive « judiciarisation », limitées à des cas d’une exceptionnelle gravité. Tel est le cas, par exemple, de pompiers n’ayant pas procédé à « la reconnaissance complète des lieux du sinistre et la mise en œuvre simultanée d’actions de sauvetage », « cause indirecte mais certaine du décès des 7 victimes » [5]. A l’inverse, « l’interruption prématurée de la surveillance médicale » ne constitue pas une faute détachable du service [6].
Ces cas particulièrement graves à part, l’écrasante majorité des contentieux relatifs à la responsabilité des pompiers concernent, à ce jour, leur seule responsabilité disciplinaire. Mais encore faut-il qu’il s’agisse bel et bien d’une sanction disciplinaire.
A contrario, ne constitue pas une sanction disciplinaire la suspension pour non-respect de l’obligation vaccinale fondée sur une obligation fixée par le législateur [7].
Autre cas de suspension ne relevant pas de la sanction disciplinaire : la mesure conservatoire prise dans l’intérêt du service dans l’attente d’une sanction disciplinaire, laquelle ne peut excéder quatre mois (en cas de renouvellement, il s’agit cependant d’une sanction disciplinaire [8]). A ainsi été suspendu un pompier volontaire qui, « dans un geste de "colère", a dégradé le rétroviseur du véhicule » d’un autre pompier « par deux coups de pied », ces gestes révélant « une absence de maîtrise de soi » incompatible avec la fonction [9].
Revenons alors sur les droits des pompiers avant la sanction, lors de la phase informelle et facultative de l’enquête administrative (§I), avant de réaliser un panorama de l’actualité jurisprudentielle récente en matière de sanctions disciplinaires (§2).
I. Les droits des pompiers avant le contentieux : la phase informelle de l’enquête administrative.
Lorsque des accusations et allégations impliquant un sapeur-pompier sont portées à la connaissance d’un département, ce dernier est en mesure de diligenter une enquête administrative pour vérifier si des fautes ont réellement été commises. Peu importe que le sapeur-pompier soit professionnel ou volontaire [10] : l’enquête administrative obéit aux mêmes règles, pour l’essentiel, que pour tout agent public. Facultative [11] et peu formalisée, il n’existe aucune obligation de confrontation entre les agents concernés et les témoins [12], l’agent ne peut pas exiger d’assister aux auditions des autres agents [13], ni même qu’un débat contradictoire soit organisé [14].
L’enquête doit cependant être impartiale [15]. Il en résulte logiquement que l’enquête ne doit pas être confiée à une personne ayant une « animosité personnelle » contre l’agent visé [16]. Relevons, enfin, que seul le rapport de synthèse est communicable au titre de l’accès aux documents administratif, ce qui exclut les témoignages ou les procès-verbaux d’audition [17].
A l’issue de l’enquête administrative, la présidente du conseil d’administration du SDIS et le préfet peuvent, conjointement, adopter une sanction disciplinaire lorsque les faits sont établis - notons que, s’il manque la signature de l’une des deux autorités, la sanction est entachée d’illégalité [18]. Le cas échéant, la décision peut alors être contestée.
II. Les droits des pompiers lors du contentieux : panorama de l’actualité jurisprudentielle.
Là encore, peu de différences entre volontaires et professionnels, si ce n’est en matière de référé : inutile, pour un volontaire, de songer à cette procédure puisque le juge des référés considère que l’urgence n’est pas caractérisée [19], et ce quand bien même la suspension aurait de graves conséquences sur sa situation financière [20].
Relevons, par ailleurs, l’adoption d’un arrêté du 15 juillet 2022 instituant, dans un chaque département, un conseil de discipline des sapeurs-pompiers volontaires. Pour le reste, en dépit de la diversité des règles régissant les deux statuts, l’étude de la jurisprudence révèle une similarité des sanctions dont le juge contrôle la proportionnalité.
Ainsi, justifient un blâme :
- Pour un professionnel : « l’exercice d’une activité opérationnelle de sapeur-pompier volontaire au sein du SDIS, fût-elle ponctuelle, alors qu’il était en arrêt de maladie et indisponible au service » [21]
- Pour un volontaire : le fait d’avoir « adressé des doléances relatives à l’organisation et à la gestion du centre d’incendie et de secours de Montrond-les-Bains directement au président du conseil d’administration du service départemental d’incendie et de secours ou à son directeur départemental, sans s’en référer à son supérieur hiérarchique » [22].
Plus grave, justifient une exclusion temporaire :
- D’une journée le fait de s’être « présenté, lors du rassemblement du 19 octobre 2017, sans être vêtu de sa tenue de service réglementaire et, de ce fait, n’avait pu partir en intervention » [23]
- De trois jours le fait, pour un capitaine stagiaire, « à la suite d’un accident de la circulation avec un véhicule de service, modifié l’horaire de survenance des faits sur le constat amiable » et, « lors de l’évocation de cette situation par sa hiérarchie », d’avoir eu un « comportement agressif » et « tenu des propos injurieux » [24]
- D’un mois le fait d’avoir, à l’égard d’une femme sapeur-pompier, « essayé de la filmer ou de la photographier avec son téléphone portable sous la cloison de sa cabine » [25] ; ou encore le fait d’avoir « pénétré dans l’enceinte du centre d’incendie et de secours de Cambo-les-Bains, accompagnée d’une personne étrangère au centre de secours » sans autorisation et d’avoir consommé de l’alcool dans l’enceinte du centre [26].
Encore plus grave, justifient refus de titularisation ou révocation d’un SPP, et résiliation ou non-renouvellement d’un SPV :
- « des faits de diffusion régulière de vidéos à caractère pornographique sur la télévision du centre d’incendie et de secours, de captation d’une vidéo intime et à caractère sexuel représentant l’une de ses collègues sans recueillir son consentement et de diffusion d’une autre vidéo à caractère sexuel représentant l’une de ses collègues sans recueillir son consentement » [27]
- Le fait d’« avoir parlé à la jeune sapeur-pompier mineure de dix-sept ans de sa forte poitrine » et « déboutonné le premier bouton du polo de tenue réglementaire de cette jeune fille en raison selon lui de la forte chaleur », mais aussi « pris une photo des fesses d’une collègue qui se penchait pour accéder à du matériel », et « proposé pendant une patrouille à une collègue féminine de s’arrêter dans un champ pour procéder à une relation sexuelle » [28]
- Le fait d’entreposer « ponctuellement ses armes de chasse dans les locaux de la caserne » ainsi que d’avoir « admis la consommation d’alcool au CIS de Risoul » [29], même si le TA de Marseille, curieusement, en avait décidé autrement en première instance
- Le fait pour un chef d’équipe de ne pas mettre un terme à « des actes de violence physique et psychologique » entre des équipiers dont il est le témoin [30]
- Le fait d’avoir « renseigné et validé des indemnités de manœuvre réalisées le dimanche et en soirée alors même que son nom ne figurait pas sur les feuilles de manœuvre et que les officiers présents auditionnés par la mission d’audit ont confirmé qu’il n’était pas présent lors desdites manœuvres » [31]
- Le fait d’avoir eu « des propos sexistes mensongers et orduriers tenus à l’égard d’une collègue » et « une absence de respect envers la hiérarchie et l’institution » [32]
- « le manque d’implication » d’un SPV alors « qu’il s’est présenté plusieurs fois au centre au cours de cette période pour faire du sport et pour récupérer des masques mis à disposition par le centre » [33].
En revanche sont disproportionnées :
- La résiliation pour avoir « donné un flacon d’échantillon de ses urines à un autre sapeur-pompier volontaire, placé sous son autorité, qui venait d’être contrôlé positif au test de dépistage de stupéfiants » dans la mesure où il n’a « pas dissimulé à l’équipe médicale du service de santé l’échange auquel il avait procédé et que le médecin ayant émis l’avis d’aptitude à l’issue de la visite médicale avait connaissance du caractère positif du premier test effectué par le caporal » [34]
- La suspension pour avoir « menacé de former un recours devant le tribunal administratif, affirmant qu’il ne reculerait devant rien pour "salir" le SDIS » [35].
Ainsi, lorsqu’un sapeur-pompier, peu importe qu’il soit volontaire ou professionnel, s’estime visé par une sanction manifestement disproportionnée, il lui est conseillé de prendre attache avec un avocat pour assurer au mieux la défense de ses intérêts.