Le droit s’adapte aux évolutions techniques et les juges jouent un rôle important dans la réalisation de cette adaptation.
Vous en doutez ? En voici l’illustration par un arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 2010 (n° 08-42893).
Cette décision permet également de revenir sur deux règles de base que tout employeur ou responsable Rh doit avoir en tête lorsqu’il endosse les lourds habits du « pouvoir disciplinaire » au sein de l’entreprise.
I - Tout d’abord une définition du « pouvoir disciplinaire de l’employeur »
Il s’agit du droit reconnu à l’employeur, en vertu du lien de subordination qui le lie à son salarié dans le contrat de travail, de
(1) surveiller et contrôler le salarié sur le lieu et pendant le temps de travail et
(2) sanctionner les comportements considérés comme fautifs.
Ce droit s’exerce dans le cadre de conditions et d’une procédure légales qui garantissent au salarié la protection de ses droits fondamentaux.
L’employeur peut utiliser une échelle de sanctions, marches successives d’un escalier qui comprend, par ordre croissant de gravité de la sanction : l’avertissement, le blâme, la mise à pied disciplinaire, la rétrogradation professionnelle, la mutation, le licenciement (qui peut être pour motif personnel, pour faute grave ou pour faute lourde, par ordre croissant de gravité des faits reprochés).
II - Deux rappels de règles impératives dans l’usage du pouvoir disciplinaire
La décision de la Cour de cassation du 26 mai 2010 rappelle :
(1) Première règle : les caractéristiques de « l’avertissement », premier étage de l’échelle des sanctions en entreprise.
Il s’agit de la seule sanction que l’employeur peut prendre sans accomplir la procédure disciplinaire qui comprend :
la convocation par écrit du salarié à un entretien concernant les faits qui lui sont reprochés, au cours duquel le salarié, éventuellement assisté comme dans le cadre de la procédure de licenciement, a la possibilité de donner sa version des faits et de se défendre,
la notification écrite au salarié, par l’employeur, de la sanction prise, après un délai de réflexion.
L’employeur qui décide de notifier un avertissement au salarié n’a pas à accomplir cette procédure et se contente d’envoyer au salarié un écrit constituant l’avertissement.
L’arrêt de la Cour de cassation indique que, dans l’affaire jugée,
« Le 26 juillet 2004, l’employeur adressait divers reproches à la salariée et l’invitait de façon impérative à un changement radical, avec mise au point ultérieure au mois d’août ».
Exemple des reproches faits par l’employeur à la salariée, occupant le poste de « Responsable Caféteria » :
« J’ai l’impression d’un certain relâchement tant au niveau administratif que de gestion de votre équipe. Tous vos employés sont en sandalette de plage (chaussure fermée obligatoire, port de bijou interdit en préparation) ; vitrine réfrigérée en panne depuis plus de 8 jours... Produits à la vente non appétissants surveiller la cuisson et la préparation. Sol du local aussi sale rien n’a été fait depuis 3 semaines pour y remédier. Beaucoup trop de produits non référencés à la vente, éviter si possible toutes conserves... Malgré formation à Hermès aucun effort de compréhension et d’utilisation par vous-même il faut impérativement ranger votre bureau (archives). Je ferai à nouveau le point avec vous début et fin août car il est impératif qu’il y ait un changement radical. »
Il y a donc dans ce texte (1) une énonciation des faits reprochés et un délai laissé au salarié pour corriger son attitude à l’avenir mais (2) aucune incidence sur le contenu du contrat de travail ou sur le maintien du salarié dans l’entreprise.
(2) Deuxième règle : les faits invoqués dans l’avertissement écrit ne peuvent être invoqués seuls de nouveau à l’appui d’une autre sanction prise ultérieurement contre le salarié.
Dans l’affaire jugée le 26 mai 2010, l’employeur avait justement fait cette erreur. Il avait convoqué, dès le 27 juillet 2004, la salariée à un entretien préalable au licenciement qu’il avait prononcé le 20 septembre 2004 avec pour motif de licenciement les mêmes reproches factuels.
Bien qu’il ait qualifié les faits en « insuffisance de compétences », la Cour d’appel a opéré une requalification juridique et jugé que ce licenciement, énoncé pour non respect de consignes de travail, avait une nature disciplinaire. Il constituait donc une deuxième sanction infligée à la salariée pour les mêmes faits, puisque ces faits avaient déjà fait l’objet d’un avertissement.
III - L’incursion des « NTIC » dans la procédure disciplinaire
« NTIC » : abréviation des « nouvelles technologies de l’information et de la communication (Internet, messagerie électronique, etc.).
La Cour de cassation confirme que le courriel de reproches adressé par l’employeur à la salariée le 26 juillet 2004 avec l’instruction qu’elle devait se conformer à l’avenir aux règles de travail en vigueur constitue un avertissement. Elle approuve la qualification donnée par la Cour d’appel qui y avait vu un écrit qui « sanctionnait un comportement fautif et constituait un avertissement ».
Cette décision est une première qui appelle les employeurs et chefs de services à la plus grande prudence dorénavant. Alors que l’usage de la messagerie électronique est simple et rapide, qu’il suscite souvent la spontanéité et la réactivité, ils devront réfléchir posément avant d’envoyer des courriels de reproches à leurs collaborateurs à partir du moment où ces courriels pourront être considérés comme « avertissement » et que les mêmes faits reprochés ne pourront être utilisés ensuite pour justifier une autre sanction.
Quel est l’intérêt d’être vigilant au contenu des courriels de reproches ?
L’employeur soucieux de la préservation des intérêts financiers de son entreprise le comprendra aisément : dans l’affaire jugée le 26 mai 2010, l’employeur a été condamné pour licenciement « sans cause réelle et sérieuse » puisque le motif retenu dans sa lettre de licenciement du 20 septembre 2004 était constitué des mêmes faits qui avaient motivé l’envoi du courriel du 26 juillet 2004.
Il a ainsi dû verser à la salariée 65.000 euros de dommages intérêts et rembourser à Pôle Emploi l’équivalent de six mois des indemnités de chômage perçues par celle-ci.
Nadine REGNIER ROUET
Avocat à la Cour spécialisé en droit social
Certificat de spécialisation Droit Social du Barreau de Paris
Site : www.n2r-avocats.com