La survie de la théorie des comourants dans la loi du 3 décembre 2001.

Par Damien Viguier, Avocat .

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Explorer : # théorie des comourants # présomption de mort simultanée # présomption de survie réciproque # dévolution successorale

En 2001 le droit français n’en a pas fini avec la théorie des comourants, et il n’est pas sorti non plus du système des présomptions.

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Nous sommes dans la situation où deux personnes réciproquement appelées à la succession l’une de l’autre ont périt dans un même événement sans que l’on puisse savoir lequel est mort le premier.
L’ancienne théorie des comourants établissait différents cas de figures auxquels étaient attachées autant de présomptions qui établissaient un ordre chronologique dans l’ouverture des successions.

Ces dispositions ont donc laissé place à celle-ci : la succession de chacune d’elle est dévolue sans que l’autre y soit appelée  [1]. J’avais déjà vu figurer cette règle en droit musulman [2], et elle était déjà appliquée en jurisprudence lorsque le jeu des présomptions se trouvait écarté [3].
Ce qu’il y a de curieux, c’est la disposition suivante : Toutefois si l’un des codécédés laisse des descendants, ceux-ci peuvent représenter leur auteur dans la succession de l’autre lorsque la représentation est admise  [4]. Cette disposition fait par exemple référence au cas où un père, décédé en même temps que son fils, laisse un descendant de ce dernier et un second fils. Et elle répond à la question de savoir si, à la succession du père, le petit-fils viendra, par représentation, en concours avec son oncle.

Il me semble que cette question ne peut se poser qu’en supposant à la règle un certain fondement plutôt qu’un autre. Je ne pense pas qu’en 2001 l’on soit sorti du système des présomptions. L’on a fait qu’en substituer de nouvelles à d’anciennes. Seulement voilà : deux présomptions peuvent expliquer la règle : une présomption de mort simultanée et une présomption de survie.

Présomption de mort simultanée

Je ne vois pas, si l’on pense que la nouvelle règle de dévolution repose sur une présomption de mort simultanée, que la question de la représentation ait à être posée. La présomption de mort simultanée était expressément retenue devant la commission de réforme du Code civil [5] et elle l’est encore en doctrine. Si, pour conserver l’exemple que nous venons de voir, un père et son fils décèdent en même temps, il faut raisonner ainsi : concernant la succession du fils, lorsqu’elle s’ouvre le père est déjà décédé, et, réciproquement, à l’ouverture de la succession du père le fils est décédé, de telle sorte que le petit-fils pourra venir, par représentation, en concours avec son oncle sans que cela ne soulève de difficulté. Tel était l’avis de la Commission de réforme du Code civil et j’ai du mal à m’expliquer comment A. Lucas [6] ou A. Sériaux [7] peuvent commettre l’erreur d’exclure la représentation dans le cas de mort simultanée. Est-ce parce que, décédés au même instant, aucun des comourants ne pourrait être dit, à la lettre, prédécédé ? En vérité ce n’est pas dans cette hypothèse que la question se pose.

Présomption de survie réciproque

Pour que la représentation soit mise en échec, il faut, à la règle de dévolution, supposer un autre fondement, bien moins pertinent, à notre sens, que le précédent. Il s’agirait rien de moins, pour les comourants, que d’une perte de vocation successorale réciproque [8]. Ainsi, dans notre exemple, le fils perdrait toute vocation dans la succession de son père, et réciproquement son père, dans la sienne. C’est l’explication que retient M. Grimaldi pour poser, mais de manière alors cohérente, le problème de la représentation.

Pour comprendre que la question ne puisse se poser que dans cette hypothèse il faut développer clairement le cas que suppose le texte. En vérité, pour que l’on parle de perte de vocation successorale du fils, par exemple, dans la succession du père, il faut supposer que le fils a survécu à son père. Il s’agirait donc d’une présomption réciproque de survie. C’est bien ce que semble dire le législateur, avec cette formule : la succession de chacune d’elle est dévolue sans que l’autre y soit appelée. Lorsque l’on dispose que quelqu’un n’est pas appelé à une succession c’est qu’il est en vie, sinon la question ne se pose pas. Or en ce cas le petit-fils ne pourra pas représenter son père car l’on ne représente pas quelqu’un de vivant, sauf disposition spéciale (pour l’indigne et le renonçant). L’on comprend alors que le législateur, que l’on peut, au demeurant, critiquer, comme le fait S. Piedelièvre [9], ou défendre, comme le fait M. Grimaldi [10], ai cru bon d’ajouter que toutefois si l’un des codécédés laisse des descendants, ceux-ci peuvent représenter leur auteur dans la succession de l’autre lorsque la représentation est admise.

Ceux qui ont rédigé cette loi se fondaient donc sur une présomption (réciproque) de survie. Cela n’interdit d’ailleurs pas d’analyser ces dispositions aussi bien comme une présomption de mort simultanée. Quoi qu’il en soit de ce choix doctrinal l’on ne peut pas dire que l’on soit sorti du système des présomptions [11], ni que l’on en ait terminé avec la théorie des comourants.

Damien VIGUIER
Avocat - Docteur en droit
www.avocats-viguier.com

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[1C. civ., art. 725-1 al. 2, loi 3 dec. 2001.

[2Aboubaker Djaber Eldjazaïri, La voie du musulman, Aslim, 1987, p. 503 : « De l’avis des jurisconsultes, noyés et autres, tels qu’ensevelis sous les décombres et brûlés ne s’héritent pas entre eux. Chacun d’eux est hérité par ses propres héritiers ».

[3TGI Rochefort, 7 mars 1990, D. 1992, som. Comm. 225.

[4C. civ., art. 725-1 al. 3, loi 3 dec. 2001.

[5Travaux de la Commission de réforme du Code civil, années 1953-1954 et 1954-1955, séance du 21 février 1953, pp. 43-44.

[6A. Lucas, « Une théorie moribonde : la théorie des comourants », JCP N 1977.I.163, n°41 p.171.

[7A. Sériaux, Successions, PUF, n°82, p. 108.

[8Juriscl. civ., art. 725 à 729-1 fasc. 10 (2, 2003), n°87 p.17 ; S. Piedelièvre, « Réflexions sur la réforme des successions », Gaz. Pal. 5-6 avr. 2002, n°61, p. 592 ; M. Grimaldi, Successions, 6ème éd. 2001, n°78. A l’appui de cette explication on allègue Civ. 1, 7 oct. 1953, BC 1953 I n°268, mais cela nous semble résulter d’une interprétation abusive de cet arrêt.

[9Op. cit., n°61, p. 593.

[10Op. cit., loc. cit., note 23.

[11A. Lucas, op. cit., n°38, p. 171 ; 72ème Congrès des notaires de France, 1975, p. 55.

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