La Taxation du Numérique.

Par Arnaud Touati, Avocat et Sacha Gaillard, Etudiant.

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Explorer : # taxation numérique # Établissement stable numérique # Équité fiscale # gafa

« Nos règles mises en place avant l’existence d’internet ne permettent pas d’imposer les entreprises numériques, opérant en Europe », voici en substance la position du Commissaire européen aux Affaires économiques, Monsieur Pierre Moscovici.

Aujourd’hui, notre modèle de fiscalité ne permet pas de taxer les entreprises dites du « numérique ». Les technologies numériques façonnent notre quotidien, les plateformes en ligne se démultiplient, créant ainsi de nouveaux services et une plus grande palette de choix aux consommateurs. Toutefois, a fortiori, ces technologies mettent en exergue de nouveaux défis politiques et réglementaires.

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Les règles fiscales de droit positif doivent être clarifiées dans la mesure où les plateformes numériques doivent payer leurs impôts là où elles ont leurs clients ou leurs utilisateurs.

Ainsi, actuellement, l’entreprise est imposée dans l’Etat où elle dispose d’un établissement stable, c’est-à-dire l’Etat de situation de ses moyens de productions et l’Etat où il y a une création de richesse. Il est donc nécessaire de repenser cette conception matérialiste et productiviste de l’« établissement stable » pour envisager une taxation efficace des entreprises du numérique. La notion d’ « établissement stable » vise donc en réalité l’existence d’une installation d’affaires, devant être fixe et avoir une activité propre, impliquant ainsi la présence sur place de personnels de l’entreprise et un certain degré de permanence de l’installation.

L’idée est ainsi d’en finir avec la notion d’« établissement stable », pour ce type d’entreprise, afin d’instaurer le concept d’ « établissement stable numérique ». Ce concept, c’est tout le sens de la proposition de la directive relative à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS).
L’idée de cette directive n’est pas de sanctionner les entreprises liées au numérique mais plutôt de rééquilibrer la question de l’assujettissement à l’impôt, afin que les règles fiscales soient plus équitables et plus justes entre les entreprises au modèle d’affaires « traditionnel » et les entreprises du digital. Il s’agit en réalité, à travers ce texte, de refléter les réalités économiques contemporaines.

Bien que les contours de cette proposition ne soient pas encore clairement définis, notamment en raison du manque de consensus des Etats sur la question, cette directive a néanmoins le mérite de poser les conditions d’assujettissement des sociétés à ce nouvel impôt : il faudrait que le nombre minimum d’utilisateurs du service en ligne soit de 100.000 ; que l’entreprise génère un chiffre d’affaire de 7 millions d’euros ; ou que l’entreprise ait passé ait passé 3.000 contrats ou 3.000 comptes crées dans le pays.

Ces conditions, par la fixation de barèmes de performances élevés, permettent de garantir le non-assujettissement des start-ups qui sont en développement et qui tentent de trouver des financements pour leur projet. La recherche de l’équité semble donc l’objectif principal de cette directive qui devrait permettre un meilleur respect des règles de concurrence et de performance fiscale au sein de l’Union européenne.

Cependant, ce projet, mené par les instances de l’Union, va demander un laps de temps assez long pour rentrer en application, en raison notamment du fait que la révision des règles fiscales à l’échelle de l’Union européenne requiert nécessairement l’unanimité des Etats membres. Accord politique et travaux techniques de mise en application de la collecte conduisent à ce que 2020 soit un objectif raisonnable pour que l’Union européenne puisse espérer la contribution à l’impôt des entreprises du digital.

Dès lors, la Commission européenne a rejoint l’idée de trouver une solution à plus court terme, qui viserait la taxation des « géants » du numérique, basé sur le chiffre d’affaires. Pour l’heure, la Commission annonce une transposition au plus tard le 31 décembre 2019, pour une application au 1er janvier 2020.

Soucieuses du développement rapide et massif des entreprises liées au numérique, les instances de l’Union semblent s’accorder sur le fait de vouloir adopter une réforme portant sur une taxation efficace et équitable des « géants » du numérique et notamment des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon).

L’idée de l’exécutif européen serait donc de taxer à 3% les revenus générés par l’exploitation d’activités numériques.
En effet, il a été question de proposer une taxation appropriée pour l’économie numérique visant à imposer les acteurs du numérique, essentiellement les GAFA, sur le chiffre d’affaires généré dans chaque Etat membre et non sur le bénéfice. Il s’agit du système commun de taxe sur les services numériques (dite « TSN ») applicable aux produits tirés de la fourniture de certains services numériques. Cette taxe ne visera que les groupes dont le chiffre d’affaires annuel mondial dépasse 750 millions d’euros et dont les revenus générés à l’intérieur de l’Union excèdent 50 millions d’euros.

Cependant, cette taxe n’impacterait en réalité qu’entre 120 et 150 entreprises en Europe, ne rapportant qu’environ 5 milliards d’euros par an. L’efficacité économique et la performance fiscale d’une telle taxe sont donc à relativiser, surtout lorsque l’on sait que des pays comme l’Irlande ou les Pays-Bas, ayant une fiscalité attractive, restent légitimement réticents à l’idée d’une taxation des géants du numérique. Ces derniers privilégient d’ailleurs des discussions au niveau international et plus précisément au niveau de l’OCDE pour aboutir à un consensus global sur la question.

Les travaux de BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) sur ce sujet, mettent bien exergue les besoins de l’administration fiscale face au rôle croissant des technologies numériques. Le projet BEPS vise principalement à combattre les pratiques d’évasion fiscale des entreprises multinationales.
Parmi son champ d’action, BEPS a comme objectif de relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique. Cela passe évidemment par un diagnostic des difficultés posées par l’économie numérique, afin in fine d’élaborer des solutions détaillées pour les résoudre en adoptant une démarche internationale.

Plus encore, l’OCDE, par l’intermédiaire du projet BEPS, pose la notion de « présence numérique significative » dans l’économie. Néanmoins, la France, qui a pourtant récemment ratifié la convention multilatérale de l’OCDE relative à la lutte contre l’évasion fiscale, n’a cependant toujours pas émis de réserve à propos de l’article concernant la définition de l’« établissement stable » ne permettant donc pas de faire un lien avec celle de l’ « établissement stable numérique ».
L’approche de l’OCDE reste donc le principe, mais ce sont les activités réalisées via une interface numérique qui permettraient réellement l’attribution de la notion d’« établissement stable numérique ».

Le projet BEPS a eu l’occasion également de se pencher sur les questions de « statut d’établissement stable » en tentant d’empêcher les mesures visant à éviter artificiellement ce statut.

Cette volonté de taxation et d’imposition des entreprises du numérique s’avère une tâche particulièrement ardue, notamment au vu des discussions qui peinent aujourd’hui à aboutir. Ainsi, bien que la nécessité d’une taxation spécifique du numérique soit partagée par de nombreux acteurs concernés, il se peut que cette évolution réclamée ne se heurte à un immobilisme politique lié à la question de la souveraineté de l’impôt.

Arnaud Touati,
Avocat Associé HASHTAG AVOCATS

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