I. Une taxe française créée en réaction aux échecs des taxations à l’IS et des négociations internationales.
Des règles traditionnelles dépassées.
Les règles contemporaines de taxation ne permettent pas à la France de taxer à l’impôt sur les sociétés (IS) les géants du numériques. Deux sources de droit se cumulent : le droit interne et les conventions fiscales bilatérales.
L’article 209.I du CGI énonce que les bénéfices passibles de l’IS sont ceux réalisés par une entreprise exploitée en France. Cela suppose une activité établie en France et générant des profit par le biais :
d’un établissement autonome et permanent, ou ;
d’un agent dépendant agissant au nom et pour le compte de l’entreprise.
Les conventions fiscales bilatérales pour leur part priment sur le droit interne en vertu de l’article 55 de la Constitution de 58. Celles-ci désignent comme lieu d’imposition effectif, c’est à dire après élimination de la double imposition, le lieu de l’établissement stable de l’entreprise [1].
Ainsi, les deux critères dégagés sont :
l’installation fixe d’affaire, celle-ci ne pouvant pas être un site Web [2] ou une activité préparatoire [3] ;
le représentant dépendant [4].
Par application de ces critères, les entreprises sont taxées dans le pays où sont situés les serveurs informatiques et le personnel dédié. Les entrepôts d’Amazon sont considérés comme une activité préparatoire et échappent également à l’imposition en France.
Concernant le représentant dépendant, une absence de pouvoir réel d’engager la société empêche une taxation en France comme ce fut le cas pour l’entreprise Google France [5].
Les perspectives de réformes internationales.
Une modification du droit interne français étant inutile, car celle-ci serait neutralisée par le jeu des conventions, une réaction internationale s’imposait. Celle-ci est venue en premier lieu de l’OCDE en 2013 par le plan BEPS permettant de créer le Multi Latéral Instrument aboutissant notamment à la création de régimes anti-abus et à la modification de certaines conventions sur la notion d’agent dépendant [6]. Un autre volet concernant la politique des piliers (I et II) est toujours en négociations. L’objectif est de créer une imposition mondiale minimum ainsi qu’une nouvelle clef de répartition du droit d’imposer entre Etats.
Du côté européen, deux propositions de directive de la commission ont vu le jour le 21 mars 2018.
Une première a pour objectif de réformer la territorialité de l’IS des Etats membres en retenant comme critère d’établissement la présence numérique significative. Le défaut évident de cette solution étant que la modification des droits internes est neutralisée par la primauté des conventions.
La seconde proposition visait la création d’une taxe sur le numérique portant sur le chiffre d’affaire des entreprises, censée échapper au champ d’application des conventions...
II. La pérennité de la Taxe française largement remise en cause.
Face à l’inertie des négociations européennes [7] et le retrait des Etats-Unis des négociations au sein de l’OCDE, la France a décidé de faire cavalier seul avec sa Taxe sur le numérique (TSN), reprenant largement la seconde proposition de directive.
Les modalités de la taxe.
Les services entrant dans le champ de la TSN sont le placement de publicités ciblant des utilisateurs, les services d’intermédiation et la vente de données personnelles [8].
Les entreprises redevables sont celles, quelque soit le lieu d’établissement, réalisant plus de 750 millions € de chiffre d’affaires à l’international et 25 millions d’euros en France, en tenant compte des entreprises liées au sens de L233-16 du Code de commerce [9].
L’assiette de la TSN est le montant hors taxe de la valeur ajoutée [10], laquelle est composée du montant des encaissements en contrepartie des services visés multiplié par la part des services effectués en France [11].
Enfin, le montant de la taxe est obtenu en appliquant à l’assiette un taux de 3% [12].
Une taxe semblant entrer dans le champ des conventions fiscales bilatérales.
Deux analyses s’opposent. Soit la taxe entre dans le champ des conventions fiscales bilatérales, soit celle-ci n’y entre pas. Si la Taxe est dans le champ des conventions, les règles sur l’établissement stable s’appliquent et viennent neutraliser les effets de la taxe par le jeu de l’élimination de la double imposition. Selon le législateur, la Taxe n’entre donc pas dans le champ des conventions. Cette analyse est confirmée par le Conseil d’Etat dans un avis du 28 février 2019.
Or cette dernière semble devoir être contredite pour plusieurs raisons. D’une part, les conventions visent toutes impositions présentes ou futures (désignées par la notion d’impôts identiques ou analogues s’ajoutant aux impôts actuels) sur le revenu total ou sur des éléments du revenu [13]. Pour interpréter ces stipulations, les conventions renvoient au sens conféré dans le droit interne des États parties [14] mais les notions de "revenu total", "d’éléments du revenu" ou "d’impôt identique ou analogue" sont inexistantes en droit français.
Il convient par conséquent de se référer à la méthode traditionnelle d’interprétation. Il s’agit de l’interprétation de bonne foi des traités internationaux dégagée par la coutume internationale et reprise par le Conseil d’État [15]. Par application de celle-ci, le sens littéral des termes est privilégié. Il faut cependant les interpréter à la lumière de l’objectif d’élimination des doubles impositions. Placer la taxe hors du champ de la convention est donc une mauvaise interprétation car le mot revenu n’a pas pour signification littérale "revenu net", sachant qu’une telle interprétation génère une double imposition (à l’IS et à la TSN).
Cette approche d’inclusion de la Taxe dans le champ des conventions fiscales est par ailleurs confirmée par la pratique et par l’Administration. En effet, le BOFiP rappelle que la convention Franco-Américaine est appliquée de manière indifférenciée aux revenus nets ou bruts, tels que les retenus à la source diverses, la CSG ou encore la CRDS [16].
Il convient de rappeler que l’article L80A, alinéa 2 du LPF permet d’opposer toute instruction ou circulaire publiée et notamment la base BOFiP concernant l’interprétation d’un texte fiscal. La notion de texte fiscal comprend aussi bien les lois que les conventions fiscales bilatérales.
Discussion en cours :
Article intéressant qui permet d’y voir plus claire sur l’efficacité réelle d’une taxe dont les promesses étaient fortes.