La démarche est assez inédite. Quel est le but du CNB avec ces opérations "tour de France + consultation" ?
Julie Couturier : "C’est une démarche de rapprochement, de démocratie participative, qui, à mon avis, peut tout à fait se conjuguer avec notre système de démocratie représentative. Nous devons rapprocher l’institution des avocats et les avocats de l’institution. Nos confrères et consœurs ont, par définition, un lien moins naturel avec le CNB qu’avec leur Ordre, avec lequel ils ont un lien presque quotidien.
Il apparaît que ce que le Conseil national des barreaux peut faire pour eux n’est pas clairement identifié. Or nous sommes une institution représentative. Nous ne pouvons donc pas nous déconnecter de celles et ceux que nous représentons et c’est à nous d’aller à eux et d’expliquer ce que l’on fait."
Une partie de la consultation concerne d’ailleurs la relation du CNB avec les avocats ?
J.C. : "En effet. Avec la première question, qui porte sur la manière dont les confrères identifient le CNB et ses missions, nous mettons les pieds dans le plat si l’on peut dire. Les enjeux nous obligent à l’introspection.
À l’échelle de l’ancienneté des barreaux, le CNB est une institution qui est relativement jeune (30 ans) et qui a besoin de trouver sa place dans le paysage. Elle l’a trouvée sur le plan institutionnel à l’égard des pouvoirs publics, mais pas encore suffisamment auprès de celles et ceux qu’elle représente, pour qui elle n’est pas identifiée comme un interlocuteur pour certains sujets. Le CNB et la CNBF [2] sont encore souvent confondus par exemple. Il nous faut affronter le sujet de façon lucide."
Vous êtes le premier barreau hôte de cette tournée. Comment s’est passée la journée et quel regard vous portez sur l’initiative ?
Patrick Mouchet : "J’avoue que le CNB à Rouen, c’est une première ! Je suis évidemment très honoré, fier et heureux de recevoir le CNB dans notre barreau qui compte 530 avocats. Un grand barreau parmi les petits ! La journée a été très intense, avec la rencontre des chefs de cours et de juridictions et de nombreux avocats, ce qui a notamment permis de mettre en lumière des difficultés non seulement des avocats, mais aussi des personnels judiciaires en ce qui concerne leurs conditions de travail.
Je me réjouis de cette initiative de venir au contact des 40 000 avocats en province. Nous savons que des assemblées générales vont être délocalisées pour se tenir en dehors de Paris. Mais la présence aujourd’hui de la Présidente, qui incarne l’institution, est importante. Le CNB est une voix forte, qui porte auprès des gouvernants et des ministères. Il est salutaire que le Conseil vienne à la rencontre de tous les confrères et les consœurs, pour éviter un désamour ou une désaffection et pour comprendre nos préoccupations en région."
Et vous, Madame la Présidente, cette première journée ?
J. C. : "À l’instant où nous nous parlons, une journée agréable et conviviale, parce que nous sommes très gentiment reçus par le bâtonnier de Rouen, qui accueille la démarche très favorablement, de façon proactive et avec ouverture. Une journée enrichissante donc pour prendre la température du réel, non seulement des barreaux, mais aussi des juridictions, de la relation barreaux-juridictions. Cela nous permet de constater que même si nous restons optimistes, avec une Justice considérée, un peu plus qu’avant, comme un chantier prioritaire de l’État, le quotidien des juridictions n’est vraiment pas encore idéal. De quoi rester vigilants dans une période post-État généraux de la Justice.
Le fait de rencontrer nos confrères en région, c’est mesurer je dirais sensiblement, presque charnellement, la réalité de leur exercice. Le but de l’opération est aussi l’identification de ce qui est prioritaire pour nos confrères, de nous nourrir de leurs expériences, parce que je pense qu’à l’échelle de 164 barreaux, il y a des réalités différentes et autant d’initiatives différentes. Nous avons beaucoup discuté avec le bâtonnier Mouchet sur les actions qu’il mène notamment en faveur de la santé de ses confrères. Au CNB, nous pouvons fédérer ces initiatives et ces bonnes pratiques pour qu’elles soient ensuite mises à la disposition et au service du plus grand nombre."
Monsieur le Bâtonnier, y a-t-il un sujet qui vous tient particulièrement à cœur ?
P. M. : "Je dirais les conditions d’exercice du métier. Les violences faites aux avocats, les conditions de travail difficiles, le stress, la charge de travail, le burn-out sont de vrais problèmes. Ces choses qui n’existaient pas il y a quelques années dans la profession, mais dont les avocats sont aujourd’hui victimes.
Cette journée est donc aussi, pour nous, un moment dédié pour faire un aggiornamento, s’interroger sur nous-mêmes, nos points forts, nos points faibles. La place de l’individualisme, le rapport au travail qui a beaucoup changé, la réduction du temps de travail, les critères de réussite et d’épanouissement personnel, etc.
Il y a aussi d’autres sujets, avec le constat que l’ordinalité est de moins en moins attirante et que nous avons de plus en plus du mal à trouver des candidats aux conseils de l’Ordre. Il faut aussi s’intéresser à la formation initiale et au statut des élèves-avocats, pour attirer les jeunes, les faire entrer dans la profession et surtout les conserver. Entre avocats et entre bâtonniers, nous nous parlons bien sûr et faisons déjà remonter ces informations. Mais le CNB, qui fédère les 76 000 avocats, a un rôle important à jouer. Il doit être moteur et proposer des solutions aux avocats."
Un dernier mot sur la consultation elle-même ? A-t-elle vocation à permettre une réforme d’ampleur ou ciblée, à ajuster votre feuille de route ?
J. C. : "Tous les avocats ont reçu un mail avec un lien de connexion sécurisé, unique par avocat. Il y a une quinzaine de questions, à choix multiples avec la possibilité également d’une réponse libre.
Il y a des questions mission par mission du CNB et la manière dont les confrères estiment que nous les remplissons. Il y a des questions ouvertes sur les enjeux prioritaires selon les confrères, sur la façon dont ils et elles expliquent le taux d’abstention, sur la principale menace identifiée dans leur quotidien d’avocat dans les prochaines années. Et, à la fin avec un champ tout à fait libre, où les chacun peut s’exprimer sur ce qu’il souhaite.
Cela nous permettra peut-être d’ajuster notre feuille de route, même si je pense que nous ne sommes pas complètement « à côté de la plaque », du moins je l’espère ! Pourquoi pas quelques ajustements s’il s’avérait qu’un consensus puisse se dégager. Nous allons peut-être aussi voir émerger d’autres sujets, qui étaient pour nous plutôt des signaux faibles et que nous saurons évidemment examiner.
Je pense que le « désengagement » des confrères vis-à-vis des instances est multifactoriel. Je veux voir de quelle façon nous pouvons corriger cela, si nous devons modifier notre façon de communiquer, etc. Je reste très ouverte par rapport aux résultats."
Voici le calendrier de la Tournée des Barreaux 2024 :
- 5 juin 2024 : Rouen
- 7 juin 2024 : Agen
- 11-12 juin 2024 : Lyon
- 18 juin 2024 : Hauts-de-Seine
- 19 juin 2024 : Meaux
- 26 au 28 juin 2024 : Toulon, Nice, Grasse
- 4 juillet 2024 : Rennes
- 11 juillet 2024 : Poitiers
- 12 juillet 2024 : Bordeaux
- 17 au 19 juillet 2024 : Nîmes, Tarascon, Carpentras, Avignon