La transmission de son entreprise est une problématique couramment rencontrée notamment dans le cadre d’une SARL de famille.
C’est souvent avant son départ à la retraite que le gérant de ce type de sociétés s’interroge sur les conséquences que pourrait avoir son décès prématuré sur la vie de sa société mais surtout sur celle de ses héritiers.
La loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat du 21 août 2007
a profondément changé le domaine du droit des successions en matière fiscale.
Les différentes dispositions en matière fiscale mises en place par cette loi seront analysées au travers de questions simples que tout gérant de SARL peut être un jour amené à se poser.
Afin d’étayer ces analyses l’exemple d’un gérant (M. Paul) possédant, avec ses 2 fils et sa conjointe, 70% du capital d’une SARL spécialisée dans la fabrication de luminaires sera étudié. Le capital de cette société, créée par M.Paul en 1963, s’élève à 5 000 000 euros.
Les conséquences fiscales de la transmission des parts sociales à des héritiers seront expliquées au travers des incidences fiscales en matière de droits de mutation ainsi que au travers de l’impôt sur les grandes fortunes (ISF).
La transmission des parts sociales à des héritiers : conséquences fiscales
a) Les droits de mutation
1) Si M. Paul décède prématurément, qui héritera de ses parts sociales dans la SARL ?
Si le gérant n’a pas organisé sa succession, grâce notamment à un testament ou un contrat particulier, c’est la loi qui détermine les bénéficiaires de la succession. On parle alors de succession ab intestat qui définit les bénéficiaires de la succession : les héritiers. Ce processus, appelé dévolution légale de la succession, est régi par l’article 732 du Code Civil.
M. Paul n’a pas prévu de cadre spécifique d’organisation de sa succession : le nom de ses héritiers est alors déterminé par la loi.
Les prétendants à la succession sont hiérarchisés en quatre ordres. Le premier ordre est celui des « descendants » auquel appartiennent les deux fils de M. Paul. Même si le conjoint du de cujus (ainsi est nommé la personne décédée) n’appartient à aucun des quatre ordres, il possède la qualité d’héritier (si toutefois aucune instance de divorce n’est en cours ou bien si le conjoint n’est pas divorcé du de cujus).
En l’espèce, les héritiers de M. Paul sont ses 2 fils et son épouse qui sera toujours considéré comme l’héritier premier (Loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001).
2) Comment d’effectuera le partage des parts sociales ?
Le patrimoine du de cujus (considéré dans le cadre d’une dévolution légale de la succession) forme l’actif successoral. Chaque héritier est propriétaire d’une part de cet actif successoral.
Dans notre cas, Mme Paul a le choix entre hériter de toutes les parts en usufruit (les autres héritiers se partageraient alors toutes les parts en nue-propriété) ou d’un quart des parts en pleine propriété (article 757 du Code Civil). L’usufruit est le droit de jouir d’une bien dont un autre a la propriété à charge d’en assurer sa conservation (art. 578 du Code Civil). Le droit de propriété est ainsi divisé en 2 : la nue propriété entre les mains du propriétaire et l’usufruit au bénéfice de l’usufruitier. Ce principe de démembrement est régi par les articles 578 à 581 du Code Civil.
Ceci implique que dans le 1er cas, chacun des fils de M. Paul héritera de la moitié des parts en nue-propriété. Dans le 2e cas, chacun d’entre eux héritera de 3/8 des parts en pleine propriété.
3) Quelles sont les règles générales d’imposition de la transmission des parts sociales par voie successorale ?
L’actif net de la succession (biens entrant dans le patrimoine du de cujus – dettes déductibles) est réparti entre les héritiers. Leurs parts respectives sont fixées par le Code Civil, les dispositions prises par le défunt ou leur désir. Dans notre cas, les parts des héritiers sont fixées par le Code Civil avec le choix de certaines options notamment pour le conjoint survivant.
L’ « impôt successoral » est calculé sur la part nette (biens imposables – dettes déductibles) revenant à chaque héritier. Son montant est obtenu en appliquant le barème des droits de succession sur la part reçue par chacun d’entre eux, après déduction des abattements auxquels ils ont droit.
4) Existe-t-il des dispositions spécifiques pour le conjoint ? pour les enfants du de cujus ?
La loi TEPA du 21 août 2007 a mis en place un certain nombre d’allégements fiscaux en matière de droits de mutation.
Pour le conjoint survivant
La loi TEPA a totalement supprimé les droits de mutation dus par le conjoint survivant dans le cadre d’une succession ab intestat. Cette disposition est prévue par l’article 786-O bis du CGI issu de l’article 8, XI de la loi 2007-1223 du 21 août 2007.
De ce fait, le conjoint survivant, étant totalement exonéré des droits de mutation, il n’est plus solidairement responsable du paiement de ses droits avec ses cohéritiers (art 800 I-1° du CGI, article 8 XV de la loi).
Mme Paul est donc exonérée de tout droit de mutation quelque soit son choix de partage de l’actif successoral (usufruit ou pleine propriété) qu’elle effectuera au moment du décès de son mari.
Pour les descendants
Pour leur part, les descendants ne bénéficient que d’un allégement des droits de mutation dus au titre de la transmission des parts sociales par voie successorale. L’abattement s’élève à 150 000 €. (article 779 du même code modifié par l’article 8, IV-1° de la loi TEPA)
En matière de formalisme, chaque héritier doit déposer une déclaration de succession sauf si l’actif successoral est inférieur à 50 000 €. En effet, dans ce cas précis, le conjoint comme les descendants sont exonérés de droit de mutation.
5) Existe-t-il des dispositions prévoyant d’autres allégements ?
Effectivement, il existe d’autres allégements. Avant d’en préciser les applications pratiques, il est important de souligner que ces dispositions soutiennent clairement le principe de la transmission des parts sociales (et donc de la quasi-totalité de la société dans le cas de M. Paul) à des proches.
Exonération de droits de mutation sur les parts sociales
L’article 787 B du CGI prévoit que « Sont exonérées de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur, les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre vifs […] »
Le bénéfice de cet allégement implique toutefois un certain formalisme.
Ceci implique deux actes : d’une part, un engagement collectif signé par le défunt et un autre associé et ce, avant le décès, et d’autre part, un engagement de conservation des titres pris au moment du décès.
Concrètement, pour que cette disposition puisse trouver à s’appliquer, il est nécessaire qu’un engagement collectif liant le gérant et d’autres associés existe au jour du décès. Cet engagement doit concerner au moins 34% des titres dans le cadre d’une société non côtée. La durée de l’engagement est de 2 ans.
La problématique se pose essentiellement sur l’existence d’un tel engagement au jour du décès. En effet, ceci impliquerait que le gérant ait déjà organisé la transmission de sa société. Dans cette perspective, il est important d’évoquer la notion d’engagement réputé acquis.
De part la loi 2006-1771 du 30 décembre 2006 , s’appliquant depuis le 1er janvier 2007, l’engagement peut être réputé acquis sous certaines conditions.
Si le défunt et son conjoint possédaient, au jour du décès au moins 34% des titres (pour une société non côtée) et ce, depuis au moins 2 ans et que, l’un d’entre eux exerce une des fonctions de direction énumérées à l’article 885 O bis 1° du CGI depuis au moins 2 ans (valables pour les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés), l’engagement sera réputé acquis.
Même si M. Paul n’a pas signé un engagement collectif, celui-ci sera réputé acquis.
D’autre part, pour que l’article 787 B du CGI s’applique, les héritiers doivent à leur tour prendre un engagement de conservation des parts sociales pendant un délai de 6 ans. A cette obligation, s’ajoute l’obligation durant 5 ans que la direction de la société soit tenue soit par un cosignataire de l’engagement si celui-ci a été prévu, soit par un héritier en cas d’un engagement réputé acquis.
b) Transmission de parts sociales : incidences fiscales hors droits de mutation
6) Qu’en est-il de l’imposition des parts sociales transmises hors droits de mutation ?
Une fois la transmission par voie successorale effectuée, il est important d’envisager l’imposition des héritiers après le décès du gérant.
Les fils de M. Paul et sa conjointe, ayant hérité de parts sociales, seront imposés à l’impôt sur le revenu, catégorie revenus de capitaux mobiliers au titre des dividendes reçus.
Le cas de l’ISF est à étudier de manière plus précise. Le principe général de l’ISF (art. 885 U du CGI) prévoit que dés lors que le patrimoine d’un contribuable excède la limite de 760 000 €, ce dernier devient imposable au titre de l’ISF.
Du fait de la part d’héritage entrant directement dans leur patrimoine, Mme Paul et des fils peuvent devenir imposables au titre de l’ISF.
Le démembrement de propriété des titres permet d’éviter pour une partie des héritiers, cette éventuelle imposition à l’ISF.
Il a été vu que la conjoint survivant peut choisir d’hériter de la totalité des parts en usufruit ou bien ¼ des parts en pleine propriété. Il faut souligner que l’usufruit est imposé sur la valeur des titres en pleine propriété.
Aussi si Mme Paul fait le choix d’hériter de l’usufruit, elle sera imposée sur la valeur des titres en pleine propriété et ainsi ses 2 fils ne seront pas taxés au titre de l’ISF.
Le choix du conjoint relatif au partage des droits est donc un choix stratégique.
Si Mme Paul est éloignée du seuil de l’ISF, ce choix de l’usufruit serait judicieux si et seulement si l’entrée des parts héritées entrant dans son patrimoine ne lui fait pas dépasser le seuil de 760 000€. Dans cette perspective, ni Mme Paul ni ses 2 fils ne seront imposables à l’ISF.
La loi TEPA a clairement bouleversé le domaine du droit des successions en matière fiscale. Les droits de succession parfois lourds entravaient notamment à la transmission des petites et moyennes entreprises. Les gérants de ce type de société pourront grâce à cette loi avoir l’esprit plus tranquille en cas de décès.
Cependant, même si cette loi facilite et éclaircit le champ des droits de mutation, il serait opportun de conseiller une transmission organisée. En effet, notamment en matière de fiscalité, d’autres allégements sont prévus dans le cadre d’une transmission qui serait prévue. A titre d’exemple, nous pouvons citer le « pacte Dutreil » qui permet une exonération à hauteur de ¾ de leur valeur, les parts ou actions de société au titre de l’ISF.
Même si la loi TEPA apparaît comme une loi favorable, le vieil adage « mieux vaut prévenir que guérir » doit rester de mise en matière de transmission de société.
Bleuzet Sandrine
Faculté de Droit d’Orléans, Master II Droit des sociétés et Fiscalité