N’en déplaise à certains, les lois de bioéthique ne s’intéressent pas seulement aux sujets médiatiques qui déchainent foules et passions. Il existe des thématiques, plus confidentielles mais toutes aussi essentielles.
Pour preuve, intéressons-nous aux dispositions législatives entourant l’utilisation des éléments et produits du corps humain à la suite d’un changement de finalité.
Comme nous le soulignions dans un article consacré à la notion de changement de finalité (1), le principe légal de l’utilisation ultérieure d’éléments ou de produits du corps humain à d’autres fins ne pose pas de difficultés majeures. Il n’en est pas de même en ce qui concerne certaines mesures d’applications, mais c’est là un autre débat.
Le principe posé par l’article L. 1211-2 du CSP est limpide : « L’utilisation d’éléments et de produits du corps humain à une fin médicale ou scientifique autre que celle pour laquelle ils ont été prélevés ou collecté est possible, sauf opposition exprimée par la personne sur laquelle a été opéré ce prélèvement ou cette collecte, dûment informée au préalable de cette autre fin. »
Mais qu’en est-il lorsque ces éléments et produits issus du corps humain sont détournés de leur finalité initiale pour être utilisés ultérieurement à des fins de contrôle ?
Afin d’apporter une réponse satisfaisante à cette interrogation, il convient d’explorer différentes voies : Quelles utilisations recouvrent la finalité de contrôle ? S’agit-il d’une « sous-finalité » médicale, voire scientifique, ou bien d’une finalité oubliée par les principes généraux applicables au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain ?
1. La notion de « contrôle »
Un certain nombre d’opérateurs du secteur de la santé et plus particulièrement ceux œuvrant dans le domaine du diagnostic ont la nécessité, voire l’obligation de réaliser d’importants contrôles sur les produits qu’ils souhaitent commercialiser ou déjà présents sur le marché.
Ces obligations de contrôle visent ainsi à garantir la sécurité des utilisateurs et la fiabilité des résultats obtenus lors de l’utilisation des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (DMDIV), notamment, par les laboratoires d’analyse de biologie médicale.
L’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (Afssaps) réalise également un certain nombre de contrôles(2) destinés à garantir la conformité à la réglementation des dispositifs médicaux utilisés. Outre le programme de contrôle de qualité des analyses de biologie médicale(3), l’Afssaps réalise des contrôles de lots ponctuels notamment pour ceux qui analysent des paramètres sensibles.
L’ensemble des ces contrôles, réalisés à tous les stades de la vie des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, tendent à assurer la fiabilité et le perfectionnement des analyses de biologie médicale et ce, dans l’intérêt général de la santé publique.
2. Utilisation d’éléments du corps humains à des fins de contrôle.
Différents protocoles peuvent être utilisés afin de contrôler le bon fonctionnement d’un dispositif médical de diagnostic in vitro. Bien entendu, la technique la plus simple, et semble-t-il la plus efficace, consiste à utiliser un échantillon contenant le paramètre recherché. A titre d’illustration, si l’on souhaite s’assurer qu’un automate destiné à détecter la présence de l’hépatite B fonctionne, il convient de prendre une série d’échantillons « qualifiés » (identifié comme contenant le virus en question) et de tester ces échantillons avec l’appareil ou le réactif objet du contrôle.
Si l’automate contrôlé ne détecte pas la présence du virus, nous pourrons en déduire qu’il ne fait pas preuve d’une grande fiabilité.
L’exemple choisi est volontairement simple mais reflète, selon nous, assez bien la réalité des fabricants de dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, des organismes notifiés et de l’Afssaps, confrontés quotidiennement à la nécessité de réaliser des contrôles.
Le législateur, lors de l’adoption de la loi de bioéthique(4) a parfaitement entendu le besoin exprimé par ces industriels et autorités de contrôle en reconnaissant la possibilité d’utiliser des produits et éléments du corps humain aux fins de réaliser ces opérations de contrôle.
Ainsi, si nous nous intéressons aux seuls produits sanguins, l’article L. 1221-8 du CSP reconnaît qu’ils peuvent être utilisés pour effectuer les contrôles de qualité des analyses de biologie médicale ainsi que pour la réalisation et le contrôle des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, ou pour effectuer sur les produits préparés à partir du sang ou de ses composants les expertises et les contrôles techniques réalisés par l’Afssaps.
Cette reconnaissance opérée, se pose la question de la provenance des échantillons nécessaires à la réalisation de ces contrôles. Question d’autant plus cruciale que l’on peut imaginer l’importance de la quantité des échantillons requis pour réaliser l’ensemble des contrôles imposés par les diverses obligations réglementaires.
3. L’origine des éléments et produits du corps humain utilisés à des fins de contrôle.
Les échantillons paraissant les plus adaptés à la réalisation de ces contrôles sont ceux, prélevés initialement à des fin de diagnostics et voués à être détruits à l’issue des délais légaux de conservation.
Ces échantillons ont l’avantage d’être « qualifiés » c’est-à-dire d’avoir répondu positivement ou négativement à des analyses de biologies médicales.
Les opérations de contrôles sont ainsi réalisées avec des éléments et des produits du corps humain utilisés à une fin autre que celle pour laquelle ils ont été prélevés ou collectés. Il s’agit du passage d’une finalité de diagnostic à une finalité de contrôle.
N’est-ce pas un bel exemple de valorisation des déchets ?!
Or, l’article qui définit le principe de changement de finalité(5) ne reconnaît que deux finalités : médicale ou scientifique.
Dans le même sens, l’article fondateur posant le principe général de l’utilisation de produits et d’éléments du corps humain(6) semble limiter leur utilisation à des fins médicales, scientifiques et dans le cadre de procédures judiciaires.
A chacune de ces finalités correspond un régime d’autorisation d’activité, un régime d’autorisation d’importation et d’exportation spécifique.
En effet, schématiquement, toute activité réalisée dans une finalité médicale (thérapeutique) relève de la compétence de l’Afssaps, tandis que toute activité scientifique (recherche) est de la compétence du Ministre de la Recherche.
Compte tenu de ces développements, dans quelle finalité faut-il classifier les activités afférentes aux produits et éléments du corps humain poursuivant une finalité de contrôle ?
Deux solutions peuvent être envisagées : un classement en « force » dans l’une des finalités reconnue par le code de la santé publique et l’application du régime juridique qui en découle ou une nouvelle voie qui respecterait les droits fondamentaux des donneurs tout en permettant aux acteurs des DMDIV de remplir les obligations en terme de contrôle.
Il s’agit effectivement de concilier deux impératifs : respecter le droit des donneurs (ou des personnes à l’origine des déchets de diagnostic) et garantir la sécurité des analyses de biologies médicales et donc la santé publique, par la réalisation de contrôles tout au long du processus de fabrication et d’utilisation de DMDIV.
Le régime juridique qui découle de ces impératifs ne doit pas imposer des contraintes légales et réglementaires telles qu’il deviendrait irréaliste voire impossible, pour les industriels et les autorités de contrôle de réaliser aisément ces opérations.
Nos législateurs semblent avoir fait preuve d’originalité en proposant la reconnaissance d’une finalité de contrôle sans pour autant lui octroyer de régime juridique spécifique.
4. L’apparition discrète de la finalité de contrôle
La reconnaissance de l’utilisation de produits et d’éléments du corps humain à des fins de contrôle n’était pas inscrite dans le projet initial de loi de bioéthique mais a été introduite par l’intermédiaire d’amendements et plus particulièrement au cours de la deuxième lecture du texte.
Ainsi, lors des débats devant l’Assemblée Nationale, le projet d’article L. 1221-8 du CSP a été complété par l’amendement n° 243 présenté par Mr Pierre-Louis Fagniez, rapporteur, et qui a introduit un dernier alinéa, rédigé en ces termes :
« Le sang et ses composants, qu’ils aient ou non été prélevés dans des établissements de transfusion sanguine, peuvent également être utilisés pour effectuer les contrôles de qualité des analyses de biologie médicale ainsi que pour la réalisation et le contrôle des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro. Les principes mentionnés aux articles L. 1221-3, L. 1221-4 et L. 1221-6 sont également applicables dans ce cas. »
Monsieur Fagniez justifie cet ajout par un souhait d’encadrer l’utilisation du sang et de ses composants dans le cadre des contrôles de qualité des analyses de biologie médicale et des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro.
La même démarche a été entreprise afin de compléter l’article L. 1241-1 du CSP consacré au prélèvement et à la collecte des tissus, cellules et produits du corps humain sur une personne vivante.
Lors des discussions parlementaires, Monsieur le député Fagniez a indiqué que cet amendement(7) « a pour objet, dans un souci d’exhaustivité et de protection des personnes, de compléter les finalités thérapeutiques ou scientifiques du prélèvement de tissus ou de cellules ou de collecte de produits du corps humain par une finalité de réalisation ou de contrôle des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro et par une finalité de contrôle de qualité des analyses de biologie médicale ».
L’objet de cet amendement est également de spécifier que ces prélèvements utilisés à des fins de contrôle doivent être réalisés dans le respect des règles d’information et de consentement des personnes sur lesquelles ils sont pratiqués (8) ».
Cet amendement a été adopté.
Au cours de la deuxième lecture devant le Sénat, le projet d’article L. 1221-8 est de nouveau amendé(9). Il est proposé d’ajouter que le sang et ses composants peuvent également être utilisés pour effectuer sur les produits préparés à partir du sang ou de ses composants les expertises et les contrôles techniques réalisés par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé en application du 1° de l’article L. 5311-2.
Il en sera de même pour l’article L. 1241-1 du CSP complété par la phrase suivante « ou dans le cadre des expertises et des contrôles techniques réalisés sur les tissus ou sur les cellules ou sur les produits du corps humain par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé en application du 1° de l’article L. 5311-2 ».(10)
Il s’agit d’un amendement en cohérence avec celui prévu à l’article 6 de la loi de bioéthique, pour les produits sanguins (article L. 1221-8 du CSP).
Ainsi, tant les débats devant l’Assemblée Nationale que devant le Sénat, ainsi que la position du Gouvernement de l’époque, confirment l’apparition d’une quatrième finalité s’ajoutant aux finalités médicales, scientifiques et judiciaires.
5. Vers une consécration de la finalité de contrôle
Nous pouvons cependant regretter que les différents amendements présentés n’aient pas complété les articles L. 1211-1 et L. 1211-2 du CSP en ajoutant cette finalité de contrôle aux principes généraux applicables au don et à l’utilisation des éléments du corps humain.
L’ajout de cette finalité de contrôle à l’article L. 1211-2 du CSP aurait d’ailleurs traduit clairement le vœu des législateurs qui souhaitaient que, « s’agissant de produits d’origine humaine qui sont dans ce cas détournés de leur finalité thérapeutique, ces contrôles doivent s’effectuer dans le respect de la volonté des personnes. »
Nous pouvons espérer que la révision prochaine de la loi de bioéthique permettra d’aller au bout de cette démarche initiée en 2004 en reconnaissant, d’une part que :
les activités afférentes aux éléments et produits du corps humain, y compris l’importation et l’exportation de ceux-ci, doivent poursuivre une fin médicale, scientifique ou de contrôle (11), ou être menées dans le cadre de procédures judiciaires (Art. L. 1211-1, al. 2 du CSP)
l’utilisation d’éléments et de produits du corps humain à une fin médicale, scientifique ou de contrôle (12) autre que celle pour laquelle ils ont été prélevés ou collectés est possible, sauf opposition exprimée par la personne sur laquelle a été opéré ce prélèvement ou cette collecte, dûment informée au préalable de cette autre fin (Art. L. 1211-2 al. 2 du CSP).
Il est par ailleurs souhaitable que cette clarification n’incite pas nos législateurs à profiter de l’occasion pour instaurer un régime juridique disproportionné encadrant les activités de préparation, de conservation et d’utilisation des produits et des éléments du corps humain à des fins de contrôle.
Notre droit positif(13) assure de façon adéquate et surtout proportionnée, la protection des personnes dont les résidus de diagnostic pourront être utilisés à des fins de contrôle dans le but garantir la sécurité des analyses de biologie médicale.
Thomas Roche, Avocat
1. « La notion de changement de finalité lors de l’utilisation des éléments du corps humain à des fins scientifiques » Thomas Roche, Alice Falcon de Longevialle, Gazette du Palais vendredi 6, samedi 7 juin 2008 p. 22
2. Art. L. 5311-2 du CSP
3. Art. L. 6213-3 du CSP
4. Loi n°2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique – JO du 7 août 2004.
5. Art. L. 1211-2 du CSP
6. Art. L. 1211-1 du CSP
7. Amendement n°247
8. Extrait des débats parlementaires : 2ème séance du mercredi 10 décembre 2003
9. Amendement n°78 proposé par le Gouvernement
10. Amendement n°80
11. Suggestion de modification législative purement subjective
12. Suggestion de modification législative purement subjective
13. Sous réserve de la modification de l’article L. 1211-1 et L. 1211-2 du CSP, comme suggéré ci-dessus