1. Les faits.
La société aquarelle.com est titulaire de marques française et communautaire Aquarelle, marque bien connue pour désigner une activité de vente de fleurs.
Une société concurrente exploitant le nom de domaine lebouquetdefleurs.com avait réservé ladite marque « Aquarelle » comme mot clé sur la plateforme Google AdWords.
En conséquence, toute requête sur la marque « Aquarelle » par les internautes dans le moteur de recherche de Google conduisait à faire apparaître en première position l’annonce du site lebouquetdefleurs.com, et ce avant même le site de la société aquarelle.com.
Estimant que la réservation de sa marque comme mot clé était constitutive de contrefaçon, la société aquarelle.com a donc assigné son concurrent exploitant le nom de domaine lebouquetdefleurs.com en contrefaçon de marques.
2. La cour d’appel.
Le tribunal judiciaire comme la Cour d’appel de Paris ont rejeté la demande de la société aquarelle.com en se fondant sur l’arrêt Google de la CJUE du 23 mars 2010 [2] selon lequel
« le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers ».
En l’espèce, dans son arrêt du 3 mars 2020 [3], la cour d’appel a estimé qu’il n’existait aucun risque de confusion entre les deux concurrents (et donc - pour reprendre les termes de la CJUE - que la publicité permettait aux internautes de savoir que l’annonce provenait d’un tiers) et ce aux motifs que :
- « Les captures d’écran effectuées sur ce site internet établissent qu’y figure, en haut de page, en lettres vertes, le logo lebouquetdefleurs.com, de nature à le distinguer du site de vente des sociétés Aquarelle »
- « L’annonce du site Aquarelle.com figure en 2ᵉ position sous l’annonce querellée, ce qui permet encore à l’internaute moyen, qui chercherait à aller sur le site internet Aquarelle.com, de réaliser que le 1ᵉʳ site lebouquetdefleurs.com n’est pas celui qu’il recherche »
- « L’apparition, dans le titre de l’annonce pour le site de l’intimée, de la mention site officiel..., suit immédiatement le signe LeBouquetdeFleurs.com et précède Fleur et Chocolat ; sous cette mention figure encore l’adresse lebouquetdefleurs.com de sorte que l’internaute moyen est ainsi informé sur la provenance du produit, et saura que cette annonce correspond au site lebouquetdefleurs.com et non au site Aquarelle ».
Parmi ces indices factuels ayant conduit la cour à écarter tout risque de confusion, le constat de l’apparition du site internet de la requérante en seconde position juste au-dessous de l’annonce litigieuse est critiquable et ne devrait pas intervenir dans l’appréciation du risque de confusion. En effet, non seulement ce classement du site internet de la requérante en deuxième position est le résultat exclusif des efforts entrepris par cette dernière pour bénéficier d’un référencement naturel efficace, mais encore, ce positionnement n’a rien de figé et est susceptible d’évoluer du jour au lendemain.
En outre, cette appréciation de la cour est d’autant plus sévère que la société aquarelle.com avait produit des courriers de clients s’étant trompé de site internet, démontrant ainsi une confusion avérée.
Pourtant, cette dernière a simplement estimé que ces éléments sont
« insuffisants à démontrer que l’usage du terme Aquarelle comme mot-clé par la société SCT est de nature à porte atteinte à la fonction d’origine de la marque ».
3. La cour de cassation.
La société aquarelle.com a donc formé un pourvoi à l’encontre de cet arrêt, la Cour de cassation a toutefois donné raison à la Cour d’appel de Paris, se fondant également sur l’arrêt Google précité de la CJUE, et ce aux motifs que :
« l’arrêt retient qu’il n’est fait aucun usage du signe Aquarelle, ni dans l’annonce elle-même, ni dans le lien, ni dans l’adresse URL et que l’annonce en cause utilise des termes courants pour décrire l’activité de livraison de fleurs commandées en ligne et affiche expressément le nom du site lebouquetdefleurs.com. Il ajoute que ces précisions permettent à l’internaute moyen d’être éclairé sur l’identité de ce site et de savoir que cette annonce correspond au site lebouquetdefleurs.com et non au site Aquarelle.
En l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui ne s’est pas bornée à relever l’absence d’usage du signe Aquarelle dans l’annonce et a procédé à la recherche prétendument omise, en faisant ressortir l’absence de tout risque de confusion du fait de l’usage du signe Aquarelle, par la société SCT, comme mot-clé dans le système de référencement AdWords, pour faire de la publicité de produits et services identiques à ceux pour lesquels les marques Aquarelle étaient enregistrées, a légalement justifié sa décision ».
Ainsi, à la lecture de cet arrêt, il semble que la Cour de cassation admette l’absence de tout risque de confusion dès lors que la marque concurrente n’est simplement pas reproduite dans le contenu du site ni dans le lien hypertexte, et ce même si les termes utilisés sont très génériques (ce qui était le cas en l’espèce), y compris en présence de courriers de réclamation de clients s’étant pourtant trompés de site internet...
En outre, selon l’article L713-2 du Code de la propriété intellectuelle, la condition de l’existence d’un risque de confusion pour caractériser la contrefaçon de marque n’est exigée qu’en présence
« 2° D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ».
En revanche, l’existence d’un tel risque de confusion n’est pas une condition de la contrefaçon en présence
« 1° D’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ».
En conséquence, en présence de l’usage d’un signe identique pour des produits identiques, comme c’était le cas en espèce, l’existence d’un risque de confusion ne devrait pas être nécessaire pour caractériser la contrefaçon, le débat pouvant le cas échéant être déplacé plutôt sur l’existence d’un usage à titre de marque...
Enfin, on regrette que la société aquarelle.com n’ait pas formé également à titre subsidiaire une action en parasitisme (cette dernière ayant seulement soulevé des actes de concurrence déloyale et parasitaire portant sur des faits distincts liés au contenu du site internet du site lebouquetdefleurs.com), ce qui lui aurait sans doute permis de faire sanctionner ce comportement sur le terrain de la responsabilité civile.
En effet, un tel usage de la marque d’un concurrent permet de bénéficier de l’attractivité attachée à cette dernière, fruit d’investissements, et de capter sans bourse délier (si ce n’est auprès de Google) une partie de la clientèle du concurrent en bénéficiant d’un positionnement privilégié, et ce avant-même le titulaire de la marque...
Discussion en cours :
Merci pour ce partage, le combat entre marques a encore et toujours de l’avenir.
Bonne continuation.