En l’espèce, la Société DNXCorp, exerçant son activité exclusivement sur internet sous le nom commercial « Sexy Avenue », est titulaire de la marque semi-figurative « Sexy Avenue ». Également, propriétaire des noms de domaine « sexyavenue.com » et « sexyavenue.fr », elle exploite un site internet à ces adresses où elle propose aux internautes de consulter des contenus de charme ainsi que d’acheter différents articles ayant trait à la sexualité.
La société DNXCorp s’opposait dans cette affaire aux sociétés Sedo GmbH et Sedo.com Llc, lesquelles exploitent sur internet une plate-forme de vente aux enchères et un service dit de parking dédiés aux noms de domaine, permettant à des communicants de vendre à des entrepreneurs de l’internet les noms de domaine qu’ils ont crées et réservés.
La société DNXCorp a découvert que les sociétés Sedo vendaient aux enchères sur leur site internet les noms de domaine « sexyavenue.eu », « Sexyavenue.biz », « Sexyavenue.info », « Sexyavenue.mobi » et « sexyavenuevod.fr ». Elle a constaté également que la saisie de ces noms de domaine donnait accès à un contenu constitué de liens hypertextes publicitaires à destination de sites internet francophones.
La société DNXCorp a alors assigné en contrefaçon de sa marque les sociétés Sedo. Par un jugement en date du 12 mars 2010, le Tribunal de Grande Instance de Paris a fait droit à ses demandes. Les juges du fond ont qualifié les sociétés Sedo GmbH et Sedo.com Llc d’éditeurs. Ils ont également condamné pour contrefaçon par imitation ces sociétés au motif qu’elles exploitaient commercialement la marque « Sexy Avenue ».
Les sociétés Sedo, contestant le jugement rendu, ont interjeté appel de cette décision. Ce recours fut vain puisque la Cour d‘appel a confirmé la position des magistrats de première instance par un arrêt du 17 avril 2013. Cette décision est intéressante puisqu’elle se prononce sur deux points essentiels, alimentant régulièrement l’actualité jurisprudentielle et suscitant des difficultés pratiques : la qualité des prestataires de services en ligne (I) et la contrefaçon de marque (II).
I. Le rôle actif du site internet, enjeu de la qualification du prestataire
Dans cette affaire, la société Sedo.com, dont le siège social est situé aux États-Unis, tentait de bénéficier du statut d’hébergeur prévu par la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004 transposant la directive 2000/31/CE. Pour se prévaloir de la qualité d’hébergeur, elle soutenait que, même si son siège social est situé en dehors du territoire de l’Union Européenne, le site est destiné à des internautes français. La société Sedo pouvait donc bénéficier du statut d‘hébergeur prévu par la Directive européenne.
La Cour d’appel ne contredit pas ce point et constate que le site internet des sociétés Sedo est bien destiné aux consommateurs français, de sorte que la loi française est applicable. Elle fait donc une exacte application du critère de la destination du site internet posé par la Cour de Justice le 12 juillet 2011 dans l‘arrêt « L’oréal SA c/ eBay International AG », position reprise par la Chambre Commerciale de la Cour de cassation le 29 mars 2011 « SARL eBay Europe et a. c/ SARL Maceo ».
Toutefois, la Cour refuse d’accorder aux sociétés Sedo la qualité d’hébergeur, qualité qui leur aurait permis de bénéficier d’une responsabilité atténuée.
En effet, à la différence de l’hébergeur qui se contente d’offrir aux internautes un service de mise en ligne de contenus sans en être à l’origine de leur mise en ligne et sans exercer de contrôle sur leur diffusion, l’éditeur joue un rôle actif puisqu’il détermine lui-même les contenus qui doivent être mis à la disposition du public sur son site internet.
C’est, d’ailleurs, à travers la recherche du rôle actif ou passif du prestataire que la jurisprudence européenne et française s’est construite. La Cour de justice a précisé à plusieurs reprises (CJUE, Google, 23 mars 2010 et L’Oréal c/ eBay, 12 juillet 2012) qu’il fallait examiner si le prestataire avait eu un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées justifiant, ainsi, l’exclusion de la qualification d’hébergeur. Cette solution a été reprise par la Cour de cassation (Cass. Com, 3 mai 2012).
Il revenait donc à la Cour d’appel de déterminer si les sociétés Sedo avaient effectivement joué un rôle actif dans la mise en ligne des contenus sur son site. Malgré l’invocation par les sociétés Sedo de la qualité d’hébergeur, la Cour d’appel affirme, au regard des éléments de preuve fournis par le site internet et notamment ses conditions générales, que celui-ci jouait bien un rôle actif dans le placement et le contenu du site.
Par conséquent, les sociétés Sedo ne pouvaient qu’être qualifiées d’éditeur et non pas d’hébergeur.
La qualification du prestataire est particulièrement importante. C’est de cette qualification que va dépendre le régime de responsabilité applicable au prestataire.
Effectivement, la LCEN du 21 juin 2004 prévoit à l’article 6-I-2 un régime atténué de responsabilité des hébergeurs. Ces derniers ne peuvent pas voir leur responsabilité engagée s’il n’est pas démontré qu’ils avaient effectivement connaissance d’activités ou informations illicites stockées sur leur site ou s’il n’est pas démontré qu’à compter de la connaissance du caractère illicite de ces contenus, ils n’ont pas agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.
L’article 6-I-7 de la LCEN ajoute, quant à lui, que les hébergeurs n’ont pas d’obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent ni d’obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.
A contrario, les éditeurs sont pleinement responsables sur le fondement du droit commun pour les contenus illicites hébergés sur leur site internet.
On comprend aisément la tentation des prestataires de se prévaloir du régime de responsabilité spécifiquement prévu pour les hébergeurs lequel leur est particulièrement favorable. Toutefois, l’invocation de la qualité d’hébergeur ne suffit pas à elle seule à emporter la conviction des magistrats. Encore faut-il rapporter des éléments de preuve susceptible de démontrer que le prestataire joue effectivement le rôle d’hébergeur et non pas d’éditeur. Les magistrats ne s’y sont, d’ailleurs, pas trompé dans cet arrêt. Après avoir analysé les éléments de preuve versés aux débats, notamment les conditions générales du site, les juges du fond concluent que le prestataire a effectivement joué un rôle actif dans la mise en ligne des contenus illicites. La qualification d’éditeur apparaît donc parfaitement justifiée sur ce point.
Restait à savoir, pour les magistrats, si la vente de différents noms de domaine comportant les termes « sexyavenue » sur le site des sociétés Sedo était bien des contenus illicites, caractéristiques d’actes de contrefaçon, permettant d’engager la responsabilité des éditeurs.
II. La caractérisation de la contrefaçon
La société DNXCorp a agi en contrefaçon de ses marques envers les sociétés Sedo.com et Sedo GmbH pour avoir permis l’enregistrement de plusieurs noms de domaine « sexyavenue », et envers la société MKR Miesen pour avoir procédé à l’enregistrement de ces différents noms de domaine.
La société DNXCorp invoquait être victime d’un acte de contrefaçon par imitation de ses marques. Elle se fondait sur les dispositions des articles L.713-2 et L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle, réprimant l’utilisation d’une marque par reproduction, usage, suppression, modification ou imitation, sans autorisation de son titulaire. Ces actes sont constitutifs d’acte de contrefaçon selon l’article L.714-6 du Code de la propriété intellectuelle.
La Cour d’appel, dans cet arrêt, conclut, à l’instar des premiers magistrats, à la contrefaçon par imitation des marques « Sexy Avenue » après avoir constaté que tous les noms de domaine présentaient une similitude visuelle, auditive et conceptuelle du signe « SexyAvenue ».
En outre, la société DNXCorp invitait les juges du fond à apprécier, pour la première fois en appel, si le nom de domaine « sexyavenue.es » était susceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit du public et donc susceptible de caractériser un acte de contrefaçon.
Cette question soulevée, la Cour d’appel ne manqua pas d’y répondre en appliquant soigneusement les critères bien établis par la jurisprudence quant à l’appréciation du risque de confusion.
En effet, depuis les arrêts « Sabel c/ Puma » du 11 novembre 1997 et Canon du 29 septembre 1998, la Cour de Justice a posé les différentes étapes de l’appréciation du risque de confusion, à savoir : après avoir identifié le public pertinent, autrement dit le consommateur moyen auquel sont destinés les produits et/ou services puis comparé les produits et services ainsi que les signes entre eux, les magistrats doivent évaluer le risque de confusion par une approche globale des produits et/ou services et des signes, notamment en faisant une analyse des éléments verbal, conceptuel, et auditif. Par cinq arrêts en date du 26 novembre 2003, la Cour de cassation s’est alignée à la jurisprudence européenne.
En l’espèce, la Cour d’appel reprend ces différentes étapes et les applique. Les juges du fond constatent que le nom de domaine « sexyavenue.es » reproduit l’élément verbal dominant de la marque « SexyAvenue » auquel est adjointe l’extension technique « .es ». Cette extension, affirme la Cour, est dépourvue de distinctivité puisqu’elle ne suffit pas à elle seule à attribuer à ce nom de domaine un caractère propre permettant de le distinguer de la marque « Sexy Avenue », antérieurement protégée.
Également, elle remarque que ce signe renvoie conceptuellement à un espace dédié au charme, comme les précédents noms de domaine contrefaisant et comme le nom de domaine protégé à titre de marque par la société DNXCorp. Enfin, elle conclut que l’identité ou la similarité des produits et services concernés, alliée à la forte similitude entre la marque « SexyAvenue » et le nom de domaine « sexyavenue.es », pris dans son ensemble, est de nature à créer un risque de confusion pour le consommateur d’attention moyenne, lequel peut croire que les produits et services proposés ont une origine commune.
La décision rendue par la Cour d’appel apparaît une nouvelle fois pleinement justifiée.