Extrait de : Droit des affaires et des sociétés

L’expertise de minorité en droit marocain.

Par Abdelali Belhaj.

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Explorer : # expertise de minorité # protection des actionnaires # gestion des sociétés # procédure judiciaire

L’expertise de gestion en droit marocain des sociétés est connue sous l’appellation d"expertise de minorité". Comme son nom l’indique, elle est sollicité par une minorité d’actionnaires afin de passer au crible des opérations de gestion bien précises pouvant être aux antipodes de l’intérêt social.

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Cette mesure est prévue par les dispositions du 1er alinéa de l’article 175 de la loi 17-95 relative aux sociétés anonymes du 30 août 1996.

L’expertise de minorité constitue une mesure de protection, correspondant à un besoin d’information et de contrôle de certaines opérations de gestion accomplies par les dirigeants sociaux, et ce, dans un souci de protéger l’intérêt social.

Par cette double fonction, elle permet, d’une part, d’assurer l’information des actionnaires, elle présente, d’autre part, un intérêt préventif lorsque les actionnaires parviennent à réagir suffisamment tôt pour empêcher que les fautes qui viennent de leur être révélées par le rapport de l’expert ne compromettent irrémédiablement l’avenir de la société.

L’étude de cette mesure nous conduira à passer en revue les conditions de recevabilité de la demande d’expertise (I) ainsi que les questions procédurales ayant trait à la désignation de l’expert et au déroulement de l’expertise (II).

I-Les conditions de recevabilité de la demande d’expertise.

Vu que l’expertise entraîne une perturbation de la vie sociale dans la mesure où elle se traduit par l’arrivée d’un expert indépendant chargé de recueillir des informations que les dirigeants auraient dû fournir aux actionnaires, la loi en a conditionné aussi bien la demande (§ 1) que la procédure (§ 2) par des conditions strictes.

1) Les conditions de la demande d’expertise.

La demande d’expertise est réservée à des personnes désignées par la loi (A) et ne peut porter que sur des opérations déterminées (B).

A- Les requérants.

Le premier alinéa de l’article 157 de la loi 17-95 précité indique qu’« un ou plusieurs actionnaires représentant au moins le dixième du capital social peuvent demander (…) ». Seuls ont donc qualité d’agir les actionnaires détenteurs d’une participation minimale au capital social. Il s’agit de permettre à une minorité d’actionnaires d’obtenir des informations sur la gestion qui ne sont pas les informations normales que doit fournir une société.

L’exigence de la détention par un ou plusieurs actionnaires du pourcentage de 10 % est une condition impérative et la demande qui n’y satisfait pas doit être repoussée. Cependant, la question qui se pose à ce niveau est celle de savoir s’il est exigé des demandeurs de conserver la détention de ce pourcentage jusqu’au terme de la procédure ?

Si, à notre connaissance, la jurisprudence marocaine n’a jamais traité de cette question, la Cour d’appel de Versailles a répondu très nettement que « s’il est exact que l’action est réservée à un ou plusieurs actionnaires détenant au moins 10 % du capital social, il faut et il suffit que cette condition soit remplie au moment de la demande en justice ».

Les magistrats versaillais justifient la solution en observant « qu’outre la lettre même du texte, la nature de cette action qui correspond à l’exercice d’un droit à la protection et à l’information (...) dépassant l’intérêt particulier de celui qui agit (…) ».

Une telle analyse semble s’appliquer aussi bien lorsque l’associé vient de perdre le pourcentage minimum de 10 % du capital, que lorsqu’il vient de perdre sa qualité même d’associé, au moins pour des raisons qui ne lui sont pas imputables (dilution de sa participation puis vente forcée)…

Plus délicate est la question de savoir si la procédure doit suivre son cours lorsque la demande vise une société contrôlée et que ce lien de contrôle a disparu en cours de procédure.

On peut craindre en effet que la perte du lien de contrôle, et la sortie du groupe, ne soient dictées que par le souci d’échapper à l’expertise. Aussi, pour éviter ces manœuvres et obtenir des informations sur des opérations suspectes d’ores et déjà accomplies, est-il envisageable de faire application de la jurisprudence suivant laquelle la procédure doit suivre son cours dès l’instant où la condition de recevabilité est établie au jour du déclenchement du processus. Cependant, il faut souligner qu’une telle solution peut conduire l’expert à enquêter au sein d’une société devenue extérieure au groupe, ce qui est très contestable.

Des questions de même nature peuvent également être soulevées et qui portent essentiellement sur trois situations différentes : le cas des actions non intégralement libérées, celui des actions grevées d’usufruit et enfin le cas des actions indivises.
Concernant la première situation, la jurisprudence semble ne pas faire de la libération intégrale des parts ou actions une condition de recevabilité de la demande d’expertise au motif qu’aucune disposition légale ne subordonne l’exercice de l’action à une telle condition.

La deuxième situation est davantage compliquée puisqu’il s’agit de savoir qui, du nu-propriétaire ou de l’usufruitier, se voit reconnaître cette dernière qualité. La question est peu discutée du côté du nu-propriétaire car la quasi-unanimité de la doctrine, ainsi que la Haute juridiction française, lui reconnaissent le statut d’actionnaires . Beaucoup plus discutée est en revanche la situation de l’usufruitier. Un très important courant doctrinal dénie la qualité d’associé à l’usufruitier, au motif principal qu’il n’aurait pas réalisé d’apport.

La troisième situation soulève le doute quant à la possibilité, pour l’actionnaire détenteur de parts ou actions indivises, d’exercer individuellement l’action en désignation de l’expert de gestion. La jurisprudence semble trancher cette question en recourant au principe d’indivisibilité des titres à l’égard de la société. Les copropriétaires d’actions se voient donc empêchés d’exercer séparément leurs droits sociaux.

B- Les opérations susceptibles d’expertise.

La demande d’expertise ne peut porter que sur des opérations de gestion (1) ayant un caractère suspect quant à leur conformité à l’intérêt social(2).

1)-Les opérations de gestion.

Afin de définir l’acte de gestion, la jurisprudence adopte un critère organique. Ainsi, est un acte de gestion, l’acte décidé par les organes de gestion. En conséquence, toutes les décisions émanant d’autres organes, en particulier celles des assemblées d’associés, ne correspondent pas à des opérations de gestion. C’est ainsi qu’échappent aux investigations de l’expert la cession d’actions, la décision d’arrêté des comptes ou l’approbation des comptes sociaux par l’assemblée.

Le critère distinctif apparaît donc simple. Il n’est toutefois pas à l’abri de critiques puisqu’il aboutit à ce que les opérations les plus graves, celles touchant au pacte social et relevant de la compétence exclusive de l’assemblée extraordinaire, ne puissent faire l’objet d’une expertise.

Cependant les décisions prises en assemblée doivent faire l’objet d’une délibération à laquelle tout associé a le droit de participer, ce qui n’est pas le cas pour les décisions des organes de gestion, lesquels sont entourées d’une certaine opacité.

Toutefois, la qualification d’acte de gestion reste discutable au sujet de certains actes qui nécessitent une délibération de l’assemblée des actionnaires. La question s’est posée en pratique à propos des conventions réglementées.

Or, selon la jurisprudence, même approuvés par la collectivité des associés, ces actes n’en restent pas moins des actes de gestion qui sont « décidés » par les dirigeants et non par l’assemblée elle-même qui ne fait qu’en apprécier les conséquences.

Faut-il signaler enfin que l’expertise de gestion n’est pas une technique de contestation en bloc de la gestion d’une société et il est impossible d’obtenir un examen de l’ensemble de la situation de la société dans le but de détecter d’éventuelles fautes.

La jurisprudence exige, en effet, que la demande d’investigation porte sur une ou plusieurs opérations précises, ce qui oblige le demandeur à faire état de griefs particuliers. Cette restriction du champ d’investigation n’empêche aucunement de viser une pluralité d’opérations de gestion, dès lors que celles-ci sont nettement identifiées et ne portent pas sur l’ensemble de la gestion.

2)-L’intérêt social : critère de mesure des opérations suspectes.

La demande d’expertise de gestion sera bien fondée si l’opération est suspecte, autrement dit, s’il existe un risque d’atteinte à l’intérêt social. Cependant, l’appréciation de cette condition est extrêmement délicate et si le juge chargé de désigner l’expert doit certainement vérifier le bien-fondé de la demande, il ne doit pas se substituer à l’expert et contrôler le bien-fondé de l’opération litigieuse elle-même.

Une distinction entre le contrôle de l’opportunité de l’expertise et l’appréciation de l’opération de gestion s’impose donc. Ainsi que le précise la Cour de cassation, il n’est pas nécessaire de rapporter la preuve que les organes sociaux aient méconnu l’intérêt de la société et détourné leurs pouvoirs de sa finalité puisque la mesure d’information et de contrôle tend justement à l’établissement de cette preuve.

Il appartient cependant aux juges du fond d’apprécier le caractère « sérieux » de la demande. Or, le sérieux de la demande est avéré si l’opération critiquée est susceptible de nuire à l’intérêt social. Il ne faut donc pas prouver une atteinte établie mais une simple éventualité d’atteinte à l’intérêt social. Ainsi, justifient la désignation d’un expert, des présomptions sérieuses d’irrégularités.

À l’inverse, la demande n’est pas fondée si elle repose sur des griefs généraux, peu sérieux, relevant d’une politique de harcèlement vis-à-vis des dirigeants sociaux.

2) Les conditions de la procédure.

La demande d’expertise est portée devant le président du tribunal de commerce par voie d’assignation. Celle-ci est délivrée à la société par l’intermédiaire de son représentant légal, de cette manière le dirigeant est informé. Mais, de toute façon, les représentants légaux sont convoqués à l’audience conformément aux dispositions du 2ème alinéa de l’article 157 de la loi 17-95 précité. Cette manière de saisir le tribunal s’explique sans doute par le fait que le défendeur n’est pas tant la société que les dirigeants, car ce sont eux qui sont censés avoir commis une erreur de gestion.

Par conséquent, aucun préliminaire n’est imposé à l’actionnaire demandeur en expertise qui peut s’adresser directement au juge pour voir aboutir sa demande.

Ceci n’est pas le cas dans le cas français dans la mesure où l’article L 225-231 du code de commerce français instaure une étape préliminaire au cours de laquelle les actionnaires, ou une association d’actionnaires, doivent poser par écrit des questions au président du conseil d’administration ou au directoire sur l’opération (ou les opérations) critiquée. Cet article impose donc la recherche d’un dialogue au sein de la société avant d’initier la phase judiciaire.

II-La désignation de l’expert et le déroulement de l’expertise.

La désignation de l’expert de gestion est soumise à une procédure déterminée essentiellement par les dispositions de l’article 157 de la loi 17-95 (§ 1), et ce, contrairement au déroulement de l’expertise qui est passée sous silence par cette même loi (§ 2).

1). La procédure de nomination de l’expert.

La demande d’expertise est portée devant le président du tribunal de commerce (A) qui dispose d’un large pouvoir d’appréciation en la matière (B).

A- La compétence du président du tribunal de commerce.

Aux termes du 1er alinéa de l’article 157 de la loi 17-95 précité « Un ou plusieurs actionnaires représentant au moins le dixième du capital social peuvent demander au président du tribunal, statuant en référé, la désignation d’un ou plusieurs experts (…) ». La demande doit donc être présentée « en référé », ce qui suppose, par voie de conséquence, que les conditions d’un véritable référé soient réunies et, en principe, l’urgence. Les dispositions de l’article 149 du code de procédure civile sont donc applicables dans ce cadre.

Quant à la compétence territoriale du tribunal, elle déterminée par référence au lieu du siège social conformément aux dispositions de l’article 11 de la loi 53-95 instituant les juridictions commerciales.

Le demandeur n’est pas à l’abri d’une condamnation au cas où sa demande serait abusive, d’abord sur la base des dispositions de l’article 5 du code de procédure civile qui dispose « Tout plaideur est tenu d’exercer ses droits selon les règles de la bonne foi », et d’une manière expresse par les dispositions du 3ème alinéa de l’article 157 de la loi 17-95 précité qui dispose « (...) Les honoraires ne seront payés qu’en fin de mission soit par la société, soit par les actionnaires demandeurs s’il se révèle que la demande d’expertise avait un caractère abusif et était faite dans le but de nuire à la société ».

Encore faut-il qu’un tel caractère soit établi par application de la théorie de l’abus de droit. Ainsi, peut constituer une « légèreté blâmable » le fait de mettre en œuvre l’expertise de gestion alors que la demande procède de simples allégations dépourvues de fondement. De telles actions abusives et préjudiciables à la société peuvent justifier la condamnation du demandeur au versement de dommages et intérêts.

B- Le pouvoir d’appréciation du Président du tribunal.

Le Président du tribunal demeure totalement libre d’accueillir ou de rejeter la demande. Il lui appartient de s’assurer du bien-fondé de la demande. La formule utilisée par le législateur dans le 2ème alinéa de l’article 157 de la loi prévoyant que « S’il est fait droit à la demande, l’ordonnance de référé détermine l’étendue de la mission et les pouvoirs de l’expert, les représentants légaux de la société dûment appelés à l’audience », laisse entendre que le juge a le pouvoir de filtrer les demandes manifestement infondées.

En outre, la liberté du juge s’exprime aussi quant au choix de l’expert. Ce peut être une personne inscrite sur la liste des experts judiciaires ou la liste des commissaires aux comptes, voire toute autre personne reconnue pour ses compétences.

Toutefois, il paraît impossible de désigner en qualité d’expert de gestion le commissaire aux comptes en fonction dans la société concernée. En effet, l’obligation de non-immixtion dans la gestion imposée par l’article 166 de la loi 17-95 précitée paraît incompatible avec l’expertise de gestion qui conduit nécessairement à porter des appréciations d’opportunité sur un ou plusieurs actes de gestion.

Enfin, à peine d’irrecevabilité de la demande, celle-ci doit préciser l’étendue de la mission et les pouvoirs de l’expert . Mais le juge n’est évidemment pas lié par la proposition du demandeur et il peut préciser, restreindre ou compléter la mission de l’expert et les pouvoirs qui lui sont accordés pour la réalisation de celle-ci. En effet, d’après la lettre du 2ème alinéa de l’article 157 de la loi 17-95 précité « l’ordonnance de référé détermine l’étendue de la mission et les pouvoirs de l’expert ». Le pouvoir d’appréciation du président du tribunal dans ce cadre est donc très étendu. Il n’est, cependant, pas sans limite.

2) L’objet et le déroulement de l’expertise.

Si c’est l’ordonnance de référé qui détermine le contenu de la mission de l’expert (A), rien n’est, cependant, prévu quant aux étapes qui doivent être observées par l’expert en exécution de sa mission (B).

A- Le contenu de la mission de l’expert.

Il échet tout d’abord de rappeler que la mission de l’expert doit porter sur ou plusieurs opérations de gestion déterminées selon les termes même de l’article 157 de la loi 17-95 relative aux sociétés anonymes. Pas plus que la demande d’expertise ne peut viser l’ensemble de la gestion, la mission de l’expert ne saurait être générale, sauf à remettre en cause le pouvoir de décision dans les sociétés fondé sur la loi de la majorité.
Le président du tribunal de commerce doit donc délimiter strictement la mission de l’expert aux seules opérations contestées par le demandeur.
Doté d’un large pouvoir d’investigation qui lui permet d’apprécier aussi bien la régularité que l’opportunité des opérations, les auteurs n’ont pas manqué de souligner la contradiction fondamentale qui entoure la mission de l’expert.

Il peut en effet s’avérer extrêmement difficile d’apprécier l’opportunité d’une ou plusieurs opérations isolées alors que la gestion est un ensemble d’actes étroitement liés les uns aux autres, participant d’une politique générale de l’entreprise.

Or, plusieurs auteurs font observer que le législateur, comme la jurisprudence, ne sont peut-être pas hostiles à une conception extensive de la mission de l’expert. En effet, l’emploi d’une expression peu juridique, celle d’« opération de gestion », par préférence à celle d’« acte de gestion », marque peut-être la faveur pour un examen d’une série d’actes dans leur ensemble et leur succession et non pas simplement dans leur individualité hors de leur contexte .

La mission de l’expert est nécessairement provisoire, et l’ordonnance de nomination doit fixer un délai d’accomplissement. Ce caractère temporaire s’explique fort bien.

D’une part, l’expert de gestion, à la différence du commissaire aux comptes, n’est pas un organe social, permanent et obligatoire dans les sociétés par actions. D’autre part, son intervention n’est admissible que dans un contexte de crise afin de sanctionner une insuffisance d’information des demandeurs et en particulier des associés sur des questions précises. Une fois l’information rapportée, la mission prend fin.
Enfin, faut-il comprendre par la stipulation du 2ème alinéa de l’article 157 de la loi 17-95 selon laquelle « l’ordonnance de référé détermine l’étendue de la mission » de l’expert, que ce dernier n’est donc pas détenteur de pouvoirs indéfinis ou illimités, par crainte de troubles causés à la société, mais au contraire de pouvoirs délimités par l’ordonnance de nomination.

Naturellement, ceux-ci s’entendent de prérogatives directement en rapport avec la nature de la mission de l’expert, c’est-à-dire liées à la recherche et à la collecte d’informations.
À cet égard, l’effectivité du contrôle suppose que l’expert soit doté d’un droit d’information mais également investi d’un pouvoir d’investigation qui lui permette de vérifier les documents juridiques et comptables qui ne lui ont pas été transmis spontanément, ou même d’enquêter auprès des tiers fournisseurs ou clients dans la mesure où ils sont parties à l’acte litigieux.

Par ailleurs, conformément à l’idée d’une délimitation des pouvoirs de l’expert, celui-ci ne peut étendre de son propre chef ses attributions au gré des besoins de l’enquête. Une telle extension ne peut provenir que d’une décision du juge ayant nommé l’expert et fixé ses pouvoirs initiaux. Par conséquent, aussi longtemps que le travail de l’expert n’est pas terminé et le rapport rédigé, le président de la juridiction saisie dispose du pouvoir de contrôler et de moduler l’exercice des pouvoirs de l’expert.

B-Le déroulement de l’expertise.
Nous préciserons successivement les différentes étapes du déroulement de l’expertise (1) ainsi que l’issue de ladite expertise (2).

1) Les étapes du déroulement de l’expertise.

L’article 157 de la loi 17-95 relative aux sociétés anonymes n’a rien prévu concernant le déroulement de l’expertise de minorité. En l’absence de règle spécifique, il reste possible et utile de se référer au droit commun de l’expertise judiciaire.
Ainsi l’expert doit prêter serment et peut se faire assister par d’autres experts dans une spécialité distincte de la sienne conformément aux dispositions des articles 59 et suivants du code de la procédure civile.
Ce rapport est adressé au demandeur, au conseil d’administration, ou au directoire, et au conseil de surveillance ainsi qu’aux commissaires aux comptes selon la lettre du dernier alinéa de l’article 157 de la loi 17-95 précité.
Le juge fixe la rémunération des experts à titre provisionnel qui ne seront payés qu’en fin de la mission par la société ou par le demandeur notamment pour le dissuader de faire une demande inconsidérée conformément aux dispositions du 3ème alinéa du même article.

Une difficulté concerne par ailleurs le principe du contradictoire. En principe il doit être respecté puisqu’il s’impose à toute expertise judiciaire. Les parties doivent donc être appelées à participer à toute mesure d’expertise.

L’article 63 du code de procédure civile stipule dans ce sens : « L’expert doit, sous peine de nullité, convoquer les parties et leurs mandataires pour assister à l’expertise. Les parties peuvent faire appel à toute personne dont la présence est jugée utile. L’expert ne peut procéder à sa mission qu’en présence des parties au litige et de leurs conseils ou qu’après s’être assuré qu’ils étaient dûment convoqués sauf si le tribunal en décide autrement lorsqu’il a constaté qu’il y a urgence. L’expert consigne dans un procès-verbal joint au rapport, les dires et observations des parties ; elles le signent avec lui en mentionnant obligatoirement celle qui refuse de signer. L’expert procède à sa mission sous le contrôle du juge qui peut, s’il l’estime utile, assister aux opérations ».

Cette solution a soulevé un débat, car les missions des deux experts sont très différentes. L’expert de gestion peut, contrairement aux dispositions du 3ème alinéa de l’article 59 du code de procédure civile, se prononcer sur une question de droit et son avis n’est pas donné dans le cadre d’un litige, il est souvent demandé pour savoir si une action doit être engagée.

L’enjeu du débat est la communication de documents confidentiels à toutes les parties en cause. Ainsi un concurrent qui est minoritaire dans une société pourrait grâce à l’expertise de gestion prendre connaissance d’information confidentielle. C’est pourquoi il a été proposé une application atténuée du principe du contradictoire.

La Cour de cassation française s’est prononcée en faveur du principe du contradictoire tout en lui reconnaissant une limite : l’expert peut procéder seul à certaines constatations sur des documents fournis par la société sans les communiquer aux parties car, de toute façon, il émettra un rapport comportant tous les éléments utiles à l’information sur l’opération de gestion visée.

Selon certains commentateurs, la solution éloigne nettement l’expertise de gestion de l’expertise judiciaire. Pour d’autres auteurs la Cour n’a pas rejeté la référence au droit commun mais s’est réservé la possibilité de prendre en compte les particularités de l’expertise de gestion.

À vrai dire, la solution s’explique par la spécificité du droit des sociétés et pourrait être étendue à l’expertise judiciaire de droit commun ordonnée en matière de société.

2) L’issue de l’expertise.

Les opérations d’expertise prennent fin par l’établissement d’un rapport écrit. Celui-ci est rédigé par l’expert et comporte une partie informative qui est suivie généralement d’un avis sur l’opportunité des actes en cause.

Cependant, le rapport d’expertise n’a d’autre finalité que d’informer. Il ne saurait à lui seul provoquer la nullité de l’acte critiqué ou mettre en jeu la responsabilité des dirigeants. La sanction concrète de la mauvaise gestion des dirigeants suppose donc le déclenchement de nouvelles actions en justice prolongeant l’expertise de gestion. Toutefois, même en présence d’un rapport accablant pour les dirigeants, les destinataires de celui-ci restent tout à fait libres de lui donner ou non une suite.

Le dernier alinéa de l’article 157 de la loi 17-95 relative aux sociétés anonymes indique que le rapport d’expertise est adressé au demandeur, au conseil d’administration, ou au directoire, et au conseil de surveillance ainsi qu’aux commissaires aux comptes.
L’information écrite est donc largement diffusée, bien au-delà de la seule personne ou institution auteur de la demande. Ce même alinéa prévoit en outre que le rapport d’expertise « doit être obligatoirement mis à la disposition des actionnaires en vue de la prochaine assemblée générale, en annexe au rapport du ou des commissaires aux comptes ».

La collectivité des actionnaires est donc elle aussi destinataire du rapport d’expertise. Mais elle est une sorte de destinataire de second rang dans la mesure où l’information ne lui est pas immédiatement transmise et ne le sera que lors de la réunion de la prochaine assemblée générale.

De plus, rien n’est précisé sur le rôle de l’assemblée. Certes, on peut penser que le rapport, annexé à celui des commissaires aux comptes, doit également être lu à l’assemblée, le cas échéant par l’expert lui-même, et que les actionnaires sont amenés à en discuter le contenu, ne serait-ce que pour envisager les suites à donner, et notamment la question de la destitution des dirigeants en application de la théorie des incidents de séance. L’assemblée peut donc certainement invoquer les fautes de gestion rapportées pour décider la révocation des dirigeants, et cela quand bien même cette question n’aurait pas été inscrite à l’ordre du jour.

Abdelali BELHAJ

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