Affaire Megacom / Infos France : sur le respect du contradictoire, le secret des affaires et les saisies-contrefaçons déguisées.

Par Antoine Cheron, Avocat.

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Explorer : # saisie-contrefaçon # contradictoire # secret des affaires # contournement de la loi

Les titulaires de droits d’auteur ou industriel ont à leur disposition plusieurs voies de droit pour protéger et défendre leurs droits privatifs, notamment en cas de contrefaçon. Parmi ces différentes voies il y a la saisie-contrefaçon, la plus efficace d’entre elles puisqu’elle permet avant tout de mettre fin à la violation des droits d’autrui.
Ordonnance de référé
Tribunal de commerce de Pontoise du 5 Décembre 2013 MEGACOM c/ SAS INFOS FRANCE

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C’est une procédure provisoire qui permet surtout de collecter des preuves de contrefaçon au moyen de saisie descriptive ou de saisie réelle en vue d’une action en justice ultérieure. Il s’agit d’une procédure intéressante dans la mesure où elle peut être mise en œuvre par simple requête auprès du président du TGI et donc sans débat contradictoire.

D’ailleurs, la proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon actuellement en discussion au Sénat entend améliorer son efficacité en procédant à une harmonisation pour l’ensemble des droits de propriété intellectuelle (article 4 de la proposition de loi).

Il reste que la saisie-contrefaçon est une procédure contraignante pour celui qui la subie, analogue à « une perquisition ». C’est pour cette raison que les articles L.332-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle prévoient de cantonner ses effets. Ainsi, s’agissant par exemple de la saisie-contrefaçon en matière de logiciels et de bases de données, l’article L.332-4 du CPI dispose qu’à défaut d’assignation ou citation dans un délai réglementaire (20 ou 31 jours selon l’article R.332-4) la saisie contrefaçon est nulle.

Une affaire récemment jugée par le Tribunal de commerce de Pontoise opposant deux sociétés concurrentes sur le marché de la distribution de terminaux montre clairement que malgré l’efficacité et les avantages de la saisie-contrefaçon, certains plaideurs font le choix délibéré d’emprunter des voies parallèles, qui s’apparente à un contournement de la loi, pour rechercher des preuves de contrefaçon chez le concurrent (TC pontoise Ordonnance du 5 décembre 2013 MEGACOM c/ SAS INFOS FRANCE).

Dans cette espèce, il est manifeste que la société INFOS France qui avait obtenu la mise en œuvre des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile relatif aux mesures d’instruction in futurum (ou à futur), entendait contourner les aspects contraignants de la saisie-contrefaçon, et notamment l’obligation d’agir au fond dans le délai réglementaire, tout en profitant des avantages de cette procédure.

Néanmoins, la défenderesse, la société MEGACOM, était parvenue à démontrer devant le Tribunal de commerce dans le cadre d’une assignation en rétractation d’ordonnances, qu’en l’espèce, la société INFOS France avait eu recours à une saisie-contrefaçon déguisée sous le couvert d’une requête en mesure d’instruction in futurum.

Pour dévoiler la véritable intention de la société INFOS France, qui n’était nullement de faire sanctionner lors d’un éventuel procès une quelconque ou hypothétique atteinte à ses droits par MEGACOM, mais tout simplement de rechercher des informations commerciales et confidentielles sur son concurrent, la société MEGACOM a procédé en trois points.

Elle a d’une part établi qu’en toute hypothèse les conditions de mise en œuvre de l’article 145 du CPC n’étaient pas réunies en l’espèce et que d’autre part il s’agissait en l’occurrence d’une saisie-contrefaçon déguisée de la part de la société INFOS France, qui n’a jamais envisagé de porter sa prétention devant les juridictions du fond.

1. Conditions du référé probatoire non remplies en l’espèce

L’expression référé probatoire est utilisée pour désigner les mesures d’instruction au titre de l’article 145 du CPC bien qu’en réalité ce texte donne le choix au demandeur entre la requête et le référé. Il est de principe que la demande de mesures d’instruction in futurum soit faite pas la voie du référé, en conformité avec les principes directeurs du Code de procédure civile qui accorde une place privilégiée au contradictoire.

Par conséquent il semble logique que le premier examen auquel doit se livrer le juge devant qui est portée la demande de mesures d’instruction in futurum soit celui de la nécessité ou non d’une dérogation au principe du contradictoire. Il devra ensuite vérifier l’existence d’un motif légitime et d’un lien entre la mesure préventive sollicitée et le litige futur.

Avant de voir si les ordonnances et requêtes préventives probatoires étaient justifiées en l’espèce, il convient de rappeler préalablement les termes de l’article 145 du CPC : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Sous l’apparence d’un choix laissé au plaideur entre la voie de la requête et celle du référé, la jurisprudence considère que la voie normale est celle du référé : « il résulte des dispositions de l’article 145 du nouveau Code de procédure civile que les mesures prévues par cet article ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement » (Civ. 2, 30 janv. 2003, n° 01-01.128).

De fait on ne sera pas étonné par la décision du Tribunal de commerce de Pontoise qui a prononcé par ordonnance de référé, la rétractation de deux précédentes ordonnances obtenues sur requêtes préventives probatoires à l’initiative de la société INFOS France.

Dans le cas d’espèce, l’ordonnance de référé du TC, suivant en cela l’argumentation développée par la société MEGACOM, rappelle que le juge ne pouvait raisonnablement autoriser une mesure d’instruction préventive et non contradictoire, sur la base de faits dépourvus de sérieux tel qu’un devis émanant de la société défenderesse.

Dans le cadre d’un éventuel litige intéressant deux sociétés en concurrence directe, il est demandé au juge saisi d’une requête au titre de l’article 145 du CPC de vérifier s’il est régulièrement saisi. L’examen de cette régularité passe par la vérification des circonstances dans lesquelles les mesures d’instruction préventives sont demandées, à savoir si ces circonstances n’exigent pas que ces mesures soient prises non contradictoirement (Cour de cassation 2e Chambre civile - 11 février 2010 n° 09-11.342 : « les mesures d’instruction prises sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne pouvant être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu’elles ne le soient pas contradictoirement, il appartient au juge, saisi d’une demande de rétractation, de vérifier, même d’office, si la requête et l’ordonnance caractérisent de telles circonstances ».

le motif légitime

La requête initiée par la société INFOS France est également dépourvue de motif légitime, autre condition exigée par l’article 145 du CPC pour la validité du référé probatoire. L’article 145 du CPC prévoit en effet que le demandeur doit justifier du motif légitime qu’il a de souhaiter conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre l’issue d’un litige.

L’existence d’un litige ou sa supposition est le premier motif légitime. Le demandeur doit être opposé à un adversaire sur un litige dont les contours sont déjà préétablis. Il ne s’agit pas pour lui de renseigner le fondement juridique sur lequel il engagera son action mais de faire ressortir dans sa demande de mesures préventives les fondements factuels de celle-ci.

Or dans le cas d’espèce on ne voit pas bien où pourrait se situer le litige. La société INFOS France qui agit de manière unilatérale, n’apporte aucun élément factuel de nature à démontrer l’existence d’un début de différent avec MEGACOM. Bien au contraire elle a soutenu dans sa requête en référé probatoire des fondements factuels dont le caractère mensonger a été démontré par la société MEGACOM lors du référé en rétractation d’ordonnances.

C’est la démonstration que la société INFOS France, n’ayant rien de sérieux à reprocher à MEGACOM qui puisse faire le lit d’un probable litige, elle créé alors des fondements factuels inexistants, tel par exemple l’existence d’une transaction imposée par le procureur de la République à MEGACOM sur des faits de contrefaçon.

Par ailleurs, il n’y a de motif légitime à solliciter une mesure d’instruction préventive que lorsque la prétention en vue de laquelle la mesure est demandée est recevable et bien fondée. Le juge ne doit pas faire droit à une demande de mesures d’instruction préventives si d’emblée la prétention est manifestement vouée à l’échec du fait de son irrecevabilité flagrante ou lorsqu’elle est mal fondée.

En l’espèce, la société INFOS France entretient un certain floue sur la prétention qu’elle pourrait faire valoir dans une instance ultérieure. D’évidence pour le juge du Tribunal de commerce la prétention était mal fondée dans la mesure où, par crainte de trahir ses intentions et révéler ainsi qu’il s’agissait en réalité d’un saisie-contrefaçon déguisée, la société INFOS France est restée vague sur la prétention qu’elle visait dans le cadre d’un éventuel litige.

Bien mieux, le fait d’avoir inscrit dans ses deux requêtes en référé probatoire des recherches tous azimuts dans les locaux, logiciels et bases de données de MEGACOM, sans aucune orientation précise, ne fait qu’ajouter à l’incertitude de la prétention. Ces investigations abusives témoignent d’ailleurs seulement de la volonté d’intrusion de la société INFOS France dans les activités commerciales de son concurrent.

C’est d’ailleurs pour éviter que l’article 145 ne devienne un instrument de curiosités intéressées dans les affaires d’autrui que la jurisprudence a posé les critères de pertinence et de l’utilité de la mesure d’instruction préventive. L’article 145 lui-même exige un lien entre la mesure sollicitée et le litige futur. Selon le professeur Roger Perrot, ce lien doit être certain et suffisamment étroit pour en marquer la légitimité.

La pertinence et l’utilité de la mesure d’instruction préventive ne sont pas avérées en l’espèce. Etant donné le caractère vague et imprécis de la prétention de la société INFOS France il n’est pas possible de dire que les éléments de preuves conservés ou établis seront susceptibles d’avoir une influence sur la solution du litige.

De plus, les éléments de preuves collectés par INFOS France lors de la seconde ordonnance sur requête peuvent être qualifiés d’inutiles puisque la première mesure d’instruction lui avait déjà permis d’obtenir ces éléments. En toute logique, le juge aurait dû refuser de faire droit à la seconde requête.
S’agissant du lien qui doit exister entre la mesure sollicitée et le litige futur, le problème peut rapidement être résolu puisque les faits ont démontré que la société INFOS France n’avait aucune intention de saisir le juge du fond pour lui soumettre la résolution d’un litige. Ceci est vrai de la 1re requête en référé probatoire initiée en 2011 mais également de la seconde requête de 2013, laquelle est identique à celle de 2011 et ne laisse pas transparaître de prétention sérieuse pouvant laisser penser à la naissance d’un litige.

2. une saisie-contrefaçon déguisée

Le Tribunal de commerce a explicitement reconnu l’existence d’une saisie-contrefaçon déguisée de la part de la société INFOS France. Afin de tourner certaines difficultés posées par la saisie-contrefaçon prévue par les articles L332-1 et suivants du CPI, la société INFOS France a eu recours à la procédure du référé probatoire.

Deux explications peuvent être avancées pour tenter de comprendre la stratégie opérée par la société INFOS France afin d’entrer dans le secret des affaires de la société MEGAGOM. La chronologie des faits démontre en effet clairement que la société INFOS France n’était animée que par cette intention.

La saisie-contrefaçon constitue une procédure efficace pour faire obstacle à une violation de droits de propriété intellectuelle. Néanmoins elle comporte certaines exigences qui sont autant de garanties pour la personne contre laquelle elle est mise en œuvre. Notamment, le saisissant doit agir au fond dans un certain délai, sous peine de voir la procédure de saisie annulée ou de se voir opposer la main levée. Il s’agit d’une obligation assez contraignante pour le saisissant lorsque son intention d’agir ultérieurement n’est pas encore pleinement mûrie.

Dans le cas d’espèce, la société INFOS France a volontairement tourné cette obligation en utilisant la voie du référé probatoire. Dans le cadre de l’article 145 du CPC aucune obligation d’intenter une instance ultérieure ne pèse sur le demandeur. On l’a d’ailleurs vu avec le demandeur en l’espèce qui deux ans après la 1re ordonnance sur requête préventive probatoire n’a pas engagé d’action en justice.

On peut même dire que la société INFOS France avait tout avantage à recourir à la procédure de l’article 145 du CPC. Cette procédure lui a offert la possibilité d’investir le juge d’une mission exploratrice, lui permettant ainsi de recueillir un grand nombre d’informations sur son concurrent direct, et surtout de la renseigner avec précision sur la stratégie procédurale à adopter. Le succès que rencontre la procédure de l’article 145 auprès des plaideurs potentiels trouve d’ailleurs là son explication : en s’adressant au juge par cette voie, alors qu’il n’avait que des indices et intuitions, un plaideur recevra confirmation de ses craintes et la matière d’une action ultérieure.

Enfin, la société INFOS France a pu compter sur les difficultés jurisprudentielles à caractériser dans chaque cas la présence d’un motif légitime dans la mise en œuvre de l’article 145. Sans aller jusqu’à prétendre que la demanderesse avait surfé sur cette faille jurisprudentielle, on ne peut pas totalement écarter cette hypothèse dans la mesure où il s’agit d’une condition primordiale pour la mise en œuvre de la mesure d’instruction in futurum, à laquelle on réfléchit en priorité avant de s’engager dans la voie de l’article 145 du CPC.

Les conséquences de la saisie-contrefaçon déguisée

Lorsque comme en l’espèce il est apporté la preuve qu’il s’agit d’une saisie-contrefaçon déguisée, ce sont les règles des articles L.332-1 du CPI qui viennent s’appliquer. Parmi ces règles on peut relever la compétence du président du TGI pour ordonner la saisie-contrefaçon. Le Tribunal de commerce est donc incompétent en l’espèce puisque il y a lieu de requalifier la procédure engagée par INFOS France en une procédure de saisie-contrefaçon.

Après avoir obtenu l’ordonnance en rétractation, la société MEGACOM est libre d’engager une action au fond afin d’obtenir réparation de son préjudice (trouble commercial, atteinte portée à sa réputation du fait des saisies-contrefaçon déguisées, captation des secrets industriels et commerciaux, voire sur le fondement de la procédure abusive).

Antoine Cheron

ACBM Avocats

acheron chez acbm-avocats.com

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