Sur le plateau de l’émission Un soir à la Tour Eiffel sur France 2, le mercredi 8 octobre 2014, l’humoriste Nicolas Bedos a présenté son nouveau livre, Les serments déchirés, exposant la relation amoureuse qu’il aurait vécue pendant dix-sept mois avec Valérie Trierweiler, tandis qu’elle était encore la compagne du Président de la République. Revenant en fin d’émission, il a avoué qu’il ne s’agissait que d’un mensonge destiné à dénoncer la « peopolisation de la politique que certains nous imposent ».
Ce canular fait se soulever de nombreuses questions quant à la liberté d’expression. La première est celle du poids de la liberté d’expression face à au droit au respect de la vie privée, énoncé par l’article 9 du Code civil. Le droit de chacun au respect de sa vie privée cède face à la participation de l’information en cause à un débat d’intérêt public et au droit à l’information du public. L’atteinte au droit au respect de la vie privée ne sera pas sanctionnée si l’information est en relation directe avec un évènement d’actualité et ne porte pas atteinte à la dignité de la personne.
En l’espèce cependant, il n’était pas question d’information et de débat d’intérêt public, mais d’humour. Le droit au respect de la vie privée peut-il céder le temps d’un canular, la vérité étant rétablie par la suite ? C’est ce que semble affirmer la direction de la chaîne France 2, qui a réagit le jeudi 9 octobre, suite à l’émission, en indiquant au magazine Télé Loisirs : « France 2 assume bien sûr le canular de Nicolas Bedos dans son émission de divertissement hier soir. Précisément parce que c’est Bedos, humoriste, et que si on lui donne la parole, c’est alors pour respecter sa liberté de ton et de sujet. A condition de prévenir ensuite les téléspectateurs du canular, ce qui fut fait. Sur le fond, Nicolas Bedos dénonce le déballage de la vie privée et l’emballement médiatique qui en résulte, notamment sur les réseaux sociaux. »
Pourtant, France Télévisions s’est dotée d’une « Charte des Antennes » rappelant notamment le droit de chacun au respect de sa vie privée, dont la vie sentimentale, et le principe selon lequel les informations cessent de relever de la vie privée lorsqu’elles sont pertinentes par rapport au débat d’intérêt public, ainsi que le principe de l’honnêteté de l’information, « l’honnêteté [étant] l’exigence fondamentale de la télévision publique en matière d’information », qui requiert une information « exacte, conforme à la réalité (…) qui implique la vérification et le sérieux des sources d’informations ; (…) qui refuse le recours à des procédés susceptibles de nuire à la bonne compréhension du téléspectateur ou de l’induire en erreur ».
Ainsi, comme le rappelle cette charte, le droit au respect de la vie privée ne peut être remis en cause que face à un intérêt supérieur qui est le droit à l’information du public. Or le canular de Nicolas Bedos n’avait pas cet objectif, mais seulement un rôle de critique et de dénonciation de la « peopolisation de la politique ». L’atteinte au droit au respect de la vie privée ne semble donc pas justifiée par ce qui est plutôt une instrumentalisation de l’information.
De plus, ce canular pourrait être constitutif d’une diffamation. Celle-ci est punie par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, qui dispose que « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés ».
Ce canular pose enfin la question de l’existence d’un droit à l’humour, qui n’est pas consacré en tant que tel, mais qui participe de la liberté d’expression. Il s’agit alors de décider si l’humour justifie de tout dire, et permet de repousser les limites de la liberté d’expression et de ses abus, sous prétexte de faire rire.
Cette question avait été récemment posée par l’affaire Dieudonné, celui-ci ayant plaidé un droit à l’humour et à la liberté d’expression pour défendre les propos tenus lors d’un spectacle au Zénith de Paris en 2008. Toutefois, l’humoriste ne peut se prévaloir d’une liberté d’expression absolue, et sa responsabilité doit être engagée s’il a abusé de sa liberté d’expression.
Finalement, le canular de Nicolas Bedos rappelle que la liberté d’expression, qu’il s’agisse d’un journaliste ou d’un humoriste, n’est pas absolue, et doit faire face aux droits et libertés individuels.
Il faut désormais attendre le verdict du CSA qui, face à la polémique déclenchée par ce canular et les réactions engrangées, s’est saisi de l’affaire le jeudi 9 octobre 2014, annonçant qu’une décision serait prise très prochainement.
Discussions en cours :
Mon Cher Confrère,
Je n’ai pas vu cette émission mais les faits que vous relatez ne me choquent pas.
Pourquoi ne pourrait-on rire de propos et écrits mis sur la place publique qui, eux, sont pour le moins choquants.
Je suis sidérée que tant de concitoyens achètent un tel livre et je trouve que Mme T ne fait pas honneur aux femmes en agissant de la sorte. Elle a certes, été traitée de façon ignoble mais elle aurait plus gagné à rester digne.
L’humour de Bedos permet de réfléchir sur notre société et c’est très bien ainsi.
VBD
Monsieur,
Je trouve que cet article aborde la question de la liberté d’expression d’une manière dangereusement inversée.
Au lieu de partir de l’à priori selon lequel on a le droit de s’exprimer et ensuite d’analyser les cas particuliers permettant de restreindre ce droit vous tenez le cheminement inverse.
Ainsi par exemple vous dites que "le droit à la vie privée cède face à la participation de l’information en cause à un débat d’intérêt public [...]". Certes, cela n’est pas faux. Mais le droit à la vie privée n’est pas la toute première règle. La première c’est la liberté d’expression. Laquelle est restreinte par le droit à la vie privé, laquelle restriction ne s’applique pas si l’information participe à un intérêt public.
Tout cela peut sembler une question de forme mais en ces temps où les moralisateurs de tout poils ne cessent de vouloir censurer la liberté d’expression il me semble extrêmement dangereux
de raisonner comme s’il fallait démontrer qu’on est dans un des cas où l’on a le droit de s’exprimer.
NON ! Par défaut la liberté d’expression est garantie.
Et par exception on doit vérifier que l’on n’est pas dans un des cas particuliers où la liberté d’expression est soumise à des restrictions.
C’est une approche fort différente et surtout un état d’esprit fort différent.
Et ce n’est pas un détail...