Challenge pour les sociétés anonymes (II).

Par Nadine Regnier Rouet, Avocat

1135 lectures 1re Parution: 2.75  /5

Explorer : # parité hommes-femmes # conseil d'administration # société cotée # nullité des nominations

La Loi n° 2011 - 103 du 27 janvier 2011 « relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle » (ci-après « la Loi ») concerne en France plus de cent mille sociétés anonymes mais aussi les commandites par actions (voir « Challenge pour les sociétés anonymes ! (I) » sur ce site).

A partir de quelle date ?

-

Réponse en quatre volets :

-  Pour toutes les sociétés visées : application immédiate ; application en 2017 ;

-  Pour les seules sociétés cotées : application en 2014 d’un palier intermédiaire ; application spécifique lors de la plus prochaine assemblée générale ordinaire ayant à nommer un administrateur.

Application immédiate : toutes sociétés

L’article 1er de la Loi modifie l’article L225-17 du code de commerce pour y ajouter une règle juridique nouvelle pour la composition des conseils d’administration :

« Le conseil d’administration est composé en recherchant une représentation équilibrée des femmes et des hommes. »

M. Philippe REIGNE, agrégé des facultés de droit et professeur au CNAM, faisait remarquer, lors du colloque organisé le 7 mars 2011 par l’Ecole de Formation du Barreau et l’Association pour la Promotion des Femmes Avocats sur l’analyse de la Loi, que cette règle est d’application immédiate.

Le présent de l’indicatif utilisé indique une obligation de faire qui s’impose aujourd’hui même au moment de procéder à toute nomination d’un administrateur.

Il s’agit d’une obligation de moyen : la société anonyme doit démontrer que ses diligences ont porté sur la recherche d’un candidat propre à lui permettre de justifier qu’elle a souscrit au principe légal de « recherche d’une répartition équilibrée des femmes et des hommes ».

Application à compter de 2017 : toutes sociétés

L’article 5 de la Loi vient préciser le calendrier d’entrée en application de la Loi.
Une majeure partie de la Loi s’applique, pour l’ensemble des sociétés visées par la Loi, à compter de l’exercice qui sera clôturé à compter de janvier 2017, soit dans six exercices :

-  l’article L225-18-1 qui prévoit le quota de 40 % minimum d’administrateurs du même sexe

-  l’écart maximal de deux entre le nombre des administrateurs de chaque sexe pour les Conseils d’Administration de huit membres au plus et

-  la sanction de nullité de la nomination illégitime ;

-  l’article L225-20 relatif au représentant permanent d’un administrateur personne morale ;

-  l’article L225-24 relatif aux cooptations dans les six mois en cas de non respect de la répartition équilibrée entre les sexes ;

-  l’article L225-45 relatif à la sanction de suspension des jetons de présence des administrateurs.

Application à compter de 2014, palier intermédiaire : sociétés cotées

Application lors de la plus prochaine assemblée générale ordinaire ayant à nommer un administrateur : sociétés cotées

Une série de dispositions est édictée par l’article 5 - II de la Loi et s’applique aux seules sociétés cotées :

« La proportion des administrateurs ou des membres du conseil de surveillance de chaque sexe ne peut être inférieure à 20 % à l’issue de la première assemblée générale ordinaire qui suit le 1er janvier de la troisième année suivant l’année de publication de la présente loi.
Lorsque l’un des deux sexes n’est pas représenté au sein du conseil d’administration ou de surveillance à la date de publication de la présente loi, au moins un représentant de ce sexe doit être nommé lors de la plus prochaine assemblée générale ordinaire ayant à statuer sur la nomination d’administrateurs ou de membres du conseil de surveillance.

Le représentant permanent d’une personne morale nommée administrateur ou membre du conseil de surveillance est pris en compte pour apprécier la conformité de la composition du conseil d’administration ou de surveillance au premier alinéa du présent II.

Toute nomination ou toute désignation intervenue en violation des premier et deuxième alinéas du présent II et n’ayant pas pour effet de remédier à l’irrégularité de la composition du conseil d’administration ou de surveillance est nulle. Cette nullité n’entraîne pas celle des délibérations auxquelles a pris part l’administrateur ou le membre du conseil irrégulièrement nommé. »

Par conséquent,

-  à compter de l’assemblée générale qui se tiendra courant 2014 : quota de 20% minimum d’administrateurs / représentants permanents de chaque sexe,

-  depuis le 29 janvier 2011 : obligation de nommer au moins un administrateur du sexe non représenté au Conseil d’Administration lors de la plus prochaine assemblée générale ordinaire qui sera tenue avec pour objet de nommer un administrateur.

-  depuis le 29 janvier 2011 : application de la sanction de nullité prévue par la Loi pour toute nomination qui sera faite, en violation des deux mesures ci-dessus, au sein du Conseil d’Administration ou du Conseil de Surveillance.

Conclusion en forme de prospective

Selon une idée largement répandue, la Loi laisserait un répit de 3 ou 6 ans aux sociétés pour se mettre en conformité. Erreur ! Nous venons de voir que certaines règles sont d’application immédiate.

Par exemple, les sociétés cotées à Conseil d’Administration ou Conseil de Surveillance purement masculin doivent nommer / désigner une femme au moins lors de leur « plus prochaine AGO ayant pour objet de nommer un administrateur ».

Si un mandat arrive à échéance en 2011, la société n’a donc plus le choix, sous peine de voir annuler la dernière nomination / désignation masculine. Pour elle, il est plus que temps de « chercher la femme » !

Imaginons ce qui pourra survenir au sein des Conseils d’Administration ou de Surveillance exclusivement masculins, dès 2014 (sociétés cotées) ou dès 2017 (toutes sociétés anonymes et commandites par actions) :

si aucun des mandats d’administrateur n’arrive à expiration et si aucun des administrateurs en poste n’accepte de démissionner avant la fin de son mandat afin que les sociétés obéissent à la Loi et au minimum de 20 % puis 40 % d’administratrices, ou au ratio de 2 sièges d’écart maximum entre administrateurs de chaque sexe, les « sièges éjectables » se multiplieront au sein de nombreux Conseils !

Sauf à transformer d’abord en « sièges éjectables prioritaires » les sièges de représentant permanent d’une personne morale administrateur, pourvus par désignation faite par la personne morale ! De quoi assurément plomber l’ambiance des réunions de Conseil !

Mais aussi… Pensons à l’importance de l’image projetée par la société qui sera obligée d’arbitrer sous la contrainte légale en 2014 ou 2017 ! Tant en interne parmi ses collaborateurs (et ses… collaboratrices) qu’en externe, il faudra que la société communique sur sa violation ou son respect de la Loi.

La Loi organise, en effet, la publicité, pour les seules sociétés cotées, de leur respect de la répartition équilibrée des membres du Conseil d’Administration (article L225-37) :

« Dans les sociétés dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé , le président du conseil d’administration rend compte, dans un rapport joint au rapport mentionné aux articles L. 225-100, L. 225-102, L. 225-102-1 et L. 233-26, de la composition du conseil et de l’application du principe de représentation équilibrée des femmes et des hommes en son sein… Le rapport prévu au présent article est approuvé par le conseil d’administration et est rendu public. »

La violation de la Loi sera donc visible et officielle : belle publicité pour attirer les « hauts potentiels » féminins !

Tout porte donc à conseiller aux sociétés, même non cotées, de s’attacher dès 2011 à rechercher une répartition équilibrée entre les sexes au sein du Conseil d’Administration en procédant dès 2011 à des nominations / désignations de femmes.

Enfin, Monsieur le professeur REIGNE précisait dans son intervention qu’à l’heure où nous analysons la nouvelle Loi, nous ne savons pas clairement quelle sera la nature de la « nullité », sanction retenue pour les manquements à la Loi, celle-ci étant muette sur la question.

Nullité relative ou nullité absolue ?

La nullité relative assure le respect des intérêts de la société considérée et ne peut être soulevée que par un nombre restreint de personnes : ses administrateurs, ses actionnaires. Dans les sociétés cotées, le fait de détenir une seule action permet, par exemple, à un petit porteur de lancer l’action en nullité relative… Pourra-t-on voir fleurir des contentieux sur ce thème ?

Mais le fait de retenir la nullité relative amoindrit l’impact de la Loi, notamment dans les sociétés anonymes de famille ou celles dans lesquelles la répartition du capital social ne crée pas de blocs de contrôle aux intérêts distincts et où, par conséquent, le risque de nullité sera très faible et peu dissuasif.

La nullité absolue assure le respect d’un intérêt général et peut être soulevée par toute personne intéressée, par exemple une association pour la défense des droits des femmes, un salarié, un syndicat de la société ou son Comité d’Entreprise.

Il est permis de se poser la question de la nature de la nullité édictée par la Loi et de l’existence d’une nullité absolue au vu des éléments suivants :

-  La Loi est liée par un cavalier parlementaire à l’article 1er de la Constitution qui consacre comme principe général l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives « ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».

-  La Loi vise dans ses objectifs de promouvoir l’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes.

Il appartiendra aux juges saisis de préciser la nature de la nullité encourue et, par là même, la portée réelle de la Loi…

De même, la Loi ne vise pas les SAS (sociétés par actions simplifiées) qui sont plus de 139.000 en France (chiffres 2009) et surpassent en nombre les sociétés anonymes.

Verra-t-on dans le futur la Loi s’étendre aux SAS, ce qui serait logique en droit si l’intérêt général recherché est de promouvoir l’égalité professionnelle et sociale entre les femmes et les hommes ? De quelle façon pratique atteindrait-on ce résultat au sein des SAS qui sont de fonctionnement beaucoup plus souple, avec une marge de liberté d’organisation importante ? C’est un champ d’investigation très vaste qui reste ouvert à ce jour.

Nadine Regnier Rouet
Avocat au Barreau de Paris spécialisé en droit social
site : www.n2r-avocats.com
contact chez n2r-avocats.com

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