Conjuguer justice prud’homale et médiation professionnelle.

Par Christian Bos, Médiateur

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Explorer : # médiation # conflits du travail # conciliation # Monde de la justice

Exercer le métier de médiateur en province et simultanément avoir un mandat au juge des prudhommes, en l’occurrence en Lorraine et plus précisément à Metz, est délicat d’autant que l’environnement ne présente pas une culture de résolution amiable des différends.

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Les parties en conflits prud’homaux tendent à faire abstraction du moyen de conciliation et a fortiori de la possibilité de la médiation, laquelle est pourtant désormais suspensive des délais de prescription (article 2238 du CC).

Les dispositifs actuels offrent des moyens suffisants pour permettre des décisions assistées par un tiers sans recourir à la démarche contraignante. Mais les habitudes restent fortes à rechercher la décision imposée. L’ensemble des partenaires sociaux (même dans l’adversité) pourrait gagner à mieux s’informer pour mettre en œuvre la médiation à leur disposition.

Enfin, il peut paraitre illusoire d’imaginer faire de la médiation au sein du conseil des prud’hommes et plus précisément en bureau de conciliation. La confusion est courante. Le médiateur peut concilier. Le conciliateur peut quant à lui, utiliser des techniques de médiation mais son rôle et sa position l’empêche d’être médiateur.

Sommaire

1. Le rôle du juge aux prud’hommes

2. Le rôle d’un médiateur professionnel

3. Être juge et penser médiation

4. Conclusion

1. Le rôle du juge aux prud’hommes

Ce qui est attendu habituellement de la part d’un juge aux prud’hommes est de prendre une décision au regard des arguments présentés par les parties et leurs représentants. Pour ces derniers, le juge doit notamment garantir le contradictoire, c’est-à-dire permettre aux parties de préparer leurs arguments, même si plus que de raison, certains avocats utilisent les demandes de renvoi à des fins dilatoires, voire comme des moyens de ralentir une procédure sans que leur client y ait un intérêt quelconque.

Mais contrairement aux croyances et à ce qui est véhiculé en dehors des prétoires, la mission d’un juge ne commence ni ne s’arrête à juger, à trancher et à renvoyer les parties dos-à-dos. Il entre dans la mission d’un magistrat de chercher à concilier les parties (article 21 du CPC) c’est-à-dire à rechercher tous les moyens permettant aux protagonistes d’un conflit d’y mettre un terme avant de rendre une décision qui pourrait avoir pour effet de s’imposer à elles. Sur le même registre, il peut être utile de rappeler que des adversaires devraient comprendre la chance de mettre un terme à ce qui les oppose sans recourir au système juridico-judiciaire si de leur côté leurs avocats remplissaient leurs obligations de conseil, dans l’intérêt de chaque partie.

Depuis que le dispositif de médiation est entré dans la loi, il revient aux magistrats de rappeler aux parties qu’elles peuvent aller voir un médiateur (article 131-1 et suiv. du CPC). Il est évident que si les avocats ne font pas leur travail dans la mesure où ils préfèrent les arcanes du système judiciaire, le rappel par le juge du moyen de médiation ne peut que provoquer de l’insatisfaction de leur part.

Toutefois, les parties doivent connaître leurs droits, parce que l’on sait bien que des personnes en conflit n’imaginent guère qu’elles pourraient trouver une solution en discutant par l’entremise d’un tiers neutre, impartial et indépendant. La mission de conciliation du magistrat s’enrichit donc de cette démarche d’information sur l’existence de la médiation. Il est bien certain que dans ce cas, les magistrats auraient moins à prendre du temps et de l’énergie à informer les justiciables. Sans doute serait il important de faire prendre conscience aux avocats que cette démarche va dans le bon sens, d’autant qu’il n’est pas absolument prouvé qu’une politique de blocage leur soit profitable dans tous les sens du terme. Pour les professionnels du droit et plus particulièrement pour certains avocats ou juges, le fait d’encourager une personne à s’exprimer sur ses états émotionnels serait inconvenant et déplacé dans l’enceinte d’un tribunal. Il en serait de même si le fait de nommer une émotion était une thérapie ou comme si reconnaître une souffrance relevait d’une approche de guérison et enfin comme si chercher à comprendre une relation relevait uniquement du fonctionnement de la psychologie.

2. Le rôle d’un médiateur professionnel

Pour ne s’en tenir qu’aux affaires qui opposent les salariés à leurs employeurs, la mission d’un médiateur est celle de permettre le rapprochement des points de vue en favorisant la conclusion d’un accord qui mettra un terme aux relations d’adversité. La première organisation syndicale des médiateurs propose une définition spécifique du conflit qui permet de bien saisir l’apport d’un médiateur professionnel dans ce domaine comme dans les autres. La Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation (CPMN) met en valeur l’existence de trois invariants pour les conflits judiciarisés :

- l’élément juridique qui se caractérise par la nature de la relation contractuelle entre les parties ;
- l’élément technique, qui s’observe par la problématique qui oppose les parties sur leurs demandes matérielles et financières ;
- l’élément affectif et émotionnel, lequel est un réel moteur dans le différend. Sans ce troisième élément, point d’action en justice, à moins d’un service juridique spécialisé dans l’action judiciaire. En effet, c’est a minima le mécontentement, dans un état émotionnel, qui fournit l’énergie à s’opposer à une demande ou d’aller demander réparation devant un tribunal.

Ces trois éléments sont habituellement abordés dans l’ordre de leur présentation ci-dessus. Il y va d’une logique à laquelle l’éducation nous fait adhérer, à savoir s’il existe une forme de contrat entre les parties. Si oui, quelle est la nature du différend et quel est le préjudice ? Enfin, existe-t-il une douleur affective qu’il conviendrait de faire reconnaître, en vue d’apaiser autant que possible l’émotionnel ?

Pour le médiateur professionnel, les invariants du conflit doivent être abordés de manière inversée par rapport à l’habitude du monde juridique. Il s’agit d’un tout autre regard, d’une toute autre pratique. Le médiateur commence par aider les parties à s’apaiser de sorte qu’elles puissent trouver un langage de raison. Il leur permet de revenir sur certains manquements relationnels qui expliquent le déclenchement des hostilités au delà du problème technique. Cette première étape nécessite un contexte de confidentialité que ne saurait offrir celui de la conciliation. En effet, une personne qui est en colère, étant en conflit, a besoin de restructurer sa réflexion de sorte qu’elle puisse repositionner ses arguments. Ce travail implique un cheminement et des propos contradictoires qu’il est inutile d’exposer en public. En devenant moins engagée émotionnellement, elle reconsidère inévitablement ses demandes. Le résultat de ce travail est de permettre aux personnes de réfléchir à leur position, matérialisée par leur demande initiale, ce qui transforme leur regard sur les enjeux et les intérêts.

Cette première étape de travail sur la dimension motrice du conflit permet aux parties d’être accompagnées sur les aspects concrets de leur différent. Parfois, la seule expression claire et rendue audible de cette dimension émotionnelle aboutit à la fin du conflit. En effet, le rôle du médiateur est de favoriser les énoncés de reconnaissance, ce qui est une pratique encore peut répandue dans les relations quotidiennes, notamment au travail. Le conflit peut provoquer un nombre considérable d’éléments affectifs et souvent irrationnels qui grèvent lourdement les relations. L’accumulation de ces faits peut être la cause véritable du conflit qui est appelé à venir devant un juge, d’où l’importance du rôle du médiateur pour comprendre, expliquer, informer et tenter de tout faire pour permettre la mise en place d’une solution acceptable par les parties.

Le rôle du médiateur est d’être le promoteur de la qualité relationnelle. Il a en face de lui des personnes qui sont dans le conflit et d’autres qui exercent leurs talents dans cet environnement (avec parfois des spéculations financières pour arrière pensée). Pour beaucoup de personnes, l’idée de trouver un accord amiable est totalement inimaginable. C’est le fondement de l’inimaginable discussion que doit savoir conduire un médiateur. Spontanément, il arrive que les personnes cherchent d’abord à comprendre les raisons du conflit en tentant de s’en expliquer avec l’autre. C’est souvent peine perdue avec pour causes essentielles une volonté de prouver que l’on est le plus fort et bien entendu l’affectif. Le médiateur cherchera a accompagner le renouveau de cette réflexion qui est arrivée dans une impasse et qui s’est transformée en adversité absolue et déterminée.

Dans ce nouveau climat relationnel, les parties examinent ce qui concrètement les oppose. Elles peuvent plus sereinement réévaluer leur demande, voire les changer pour retrouver un libre accord. C’est dans cette perspective que le médiateur professionnel exerce son activité en permettant aux parties de retrouver la liberté qu’elles avaient en signant le contrat. La conclusion de la médiation consiste alors à mettre en forme l’éventuel lien juridique qui persistera entre les parties. Il peut s’agir de l’aménagement du contrat, de la reprise relationnelle ou des modalités de rupture définitive. Comme le contrat initial, la rédaction de l’avenant est sous la responsabilité des parties, lesquelles peuvent faire appel à un professionnel du droit pour qu’il lui donne les formes éventuellement imposées par la loi.

La manière dont des conseils juridiques vivent le fait que la médiation soit devenue institutionnelle, correspond à leur manière de considérer leur rôle auprès de leurs clients. Ils accompagnent l’évolution relationnelle, et considèrent les parties d’un conflit d’un regard mercantile. Les premiers encouragent la médiation, les seconds en détournent leurs clients. De même certains juges ont un comportement très conservateur, craignant de perdre un rôle social si la médiation était trop développée. En effet, ils développent le fait que les justiciables font appel à eux pour se faire imposer une décision.

Clairement, le développement de la médiation vient interroger les habitudes de la contrainte. Le système judiciaire avec ses décisions imposées, ses plaideurs, ses arbitres, trouve avec la médiation un procédé qui peut être vécu comme concurrent, voire antagoniste. C’est ainsi que l’état d’esprit d’adversité est entretenu et que la médiation, instrumentation de la libre décision, est maintenu en lisière du règlement des conflits et que le système de gestion conflictuelle est entretenu, avec les renvois, les appels et autres recours devant les tribunaux.

3. Être juge et penser médiation

Introduire dans sa pratique de juge des repères de médiation, c’est encourager les parties d’un conflit, parfois par delà les intérêts de leur conseil, à en revenir sur le terrain d’une discussion qu’elles ont abandonné.

Sylvie JACQUIN, greffier de ma section, observe que le résultat des conciliations quand je siège, passe de 10% à 40% voire 60% de résultats positifs et je ne parle pas des parties qui concilient en dehors du conseil.

Concilier ne se conclut pas forcément par la rédaction d’un P.V de conciliation. Cela peut être un abondant d’instance. Il est arrivé que des parties, après discussions, se rapprochent pour réétudier leur collaboration.

Pour illustrer la rencontre du juge et du Médiateur j’ai choisi un cas : l’employeur et le salarié d’une association très respectueuse des valeurs morales se retrouvent face à un tribunal. Leur animosité est telle que leurs avocats respectifs sont gênés et s’excusent en leurs noms. L’ambiance et les propos tenus mettent mal à l’aise l’ensemble du bureau de conciliation. Plusieurs procédures sont en cours devant d’autres juridictions notamment en correctionnelle pour violences et menaces. Dans cette situation, arbitrer sur le seul fondement juridique, une éventuelle réparation matérielle est illusoire. S’il s’agit de mettre un terme au conflit, la décision prud’homale pourrait peut être satisfaire les juristes, mais les parties continueraient à s’affronter en dehors du prétoire car la décision (même à leur avantage) ne leurs correspondrait pas.

Dans ce cas d’espèce, le juge compétent en médiation ou en technique de médiation ne peut qu’inciter les parties à recourir à la médiation, tout en sachant que ce n’est pas simple, et qu’il faudra prendre le temps pour amener les parties à un premier accord qui sera celui d’accepter d’aller en médiation.Pour obtenir l’adhésion des parties, j’emploie des arguments qui mettent en évidence les intérêts de la médiation.

L’idée principale est le choix à faire entre la décision judiciaire qui leur sera imposée et l’accord qu’elles pourraient trouver elles-mêmes si elles allaient en médiation. Dans cette affaire, les parties ont accepté et j’ai choisi un médiateur formé dont je connaissais la compétence.

Avec l’appui de mon assesseur et le soutien des conseils des parties, j’ai pu rendre ma première ordonnance de médiation qui je l’espère sera suivie de beaucoup d’autres dans l’intérêt du justiciable.

Il faut que les juges, quels que soient leurs mandats, soient en mesure d’entendre tous les propos dans le cadre d’un conflit, et de rechercher sans aucune émotion, à provoquer dans le temps, une nouvelle discussion. Pour cela il faut un savoir faire spécifique et une formation appropriée.

4. Conclusion

Pour que les différends du travail puissent être plus humainement résolus, il conviendrait d’améliorer la formation des conseillers prud’homaux en leur finançant des formations adaptées, non pas uniquement en droit, mais également en médiation. Une nouvelle organisation des séances de conciliation est à prévoir.

Par ailleurs, l’information obligatoire préalable sur la médiation est un minimum. L’idéal serait qu’une loi rende la médiation obligatoire, comme préalable à toute action judiciaire en matière civile, ce qui aurait pour effet de permettre aux parties de retrouver leur liberté de décision.

Dans les prochaines années, avec les préconisations européennes traduites par les directives encourageant les États membres à développer la médiation, les moyens de règlement des conflits vont devenir plus efficaces. C’est en tout cas dans cette optique que j’inscris ma démarche, encourageant constamment les justiciables à mettre fin, eux même, à leur conflit en s’engageant dans un processus de médiation plutôt que de se soumettre à des moyens de gestion qui spéculent sur leurs conflits.

Christian BOS
Médiateur Professionnel, Arbitre
Conventionnel et Judiciaire

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