Consignes syndicales et pratiques anticoncurrentielles.

Par Sahand Saber, Avocat.

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Explorer : # pratiques anticoncurrentielles # droit de la concurrence # organisations professionnelles # actions collectives

Face aux règles de la concurrence, certaines entreprises ont mûri l’idée que les syndicats et les organisations qui ont pour mission de défendre leurs intérêts aideraient à contourner les règles du droit de la concurrence. La lutte contre les pratiques anticoncurrentielles suppose dès lors la prise en compte des activités que mènent les organisations professionnelles.

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Si ces organisations peuvent aider leurs adhérents dans l’exercice de leurs activités, cette aide ne doit pas exercer d’influence directe ou indirecte sur le libre jeu de la concurrence entre les acteurs de la profession.

L’application du droit de la concurrence pose ici des problèmes en matière de droit du travail, notamment lorsque ces organisations mettent en œuvre des actions collectives. La CJCE a estimé que le droit de la concurrence s’appliquait lorsque les conventions collectives ou accords collectifs « portent sur des matières qui ne relèvent pas de l’essence des négociations collectives, ou visent à affecter directement les rapports entre les employeurs et des tiers, tels que les clients, les fournisseurs, les employeurs concurrents ou les consommateurs, en portant atteinte à la concurrence ».

Dans quel cas l’Autorité de la concurrence doit-elle considérer qu’une organisation professionnelle a été partie prenante à une infraction anticoncurrentielle ? Aussi, comment distinguer le licite de l’illicite dans la mission de conseil, d’information et d’aide aux membres d’une organisation professionnelle afin de ne pas voir une recommandation constituer une infraction au droit de la concurrence ?

Le Conseil de la concurrence et, par la suite, l’Autorité de la concurrence ont eu l’occasion de sanctionner à de multiples reprises des organisations professionnelles pour avoir élaboré et diffusé des documents relatifs aux prix devant être pratiqués par l’ensemble de leurs adhérents.

La question s’est posée de savoir si la consigne donnée par un syndicat à ses membres d’engager des poursuites judiciaires pouvait constituer une pratique anticoncurrentielle, et cela au regard des conséquences que peuvent avoir ces poursuites sur les activités et la part de marché d’une société.

En son article 6, la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme indique que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ». Or la qualification d’une action en justice en pratique anticoncurrentielle pourrait remettre en cause le principe précité.

En réponse à cette interrogation, le Conseil de la concurrence confirme ce principe en déclarant que « le fait d’agir en justice est l’expression d’un droit fondamental, spécialement reconnu par l’article L. 411-11 du Code du travail aux syndicats professionnels (…) ; que dès lors, l’action en justice d’une organisation professionnelle ne peut être considérée comme constituant, en elle-même une action concertée anticoncurrentielle » (Conseil de la concurrence – décision n°94 D-18 du 8 mars 1994).

La Cour de cassation réfute à son tour l’idée que l’action en justice, fut-elle organisée et engagée par des professionnels ou des syndicats professionnels, puisse constituer une pratique anticoncurrentielle. Elle considère à cet effet que « le fait pour des professionnels ou des syndicats professionnels de s’unir pour faire respecter une législation qui leur est favorable ne saurait, en l’absence de griefs spécifiques démontrant l’existence de pratiques discriminatoire, constituer une entente ou un abus de position dominante au sens des articles 85 et 86 du Traité » (Cour de cassation, Chambre commerciale 4 janvier 1994 – n°91-16.797).

Le Conseil de la concurrence recommande aux syndicats de saisir eux-mêmes les instances juridictionnelles lorsqu’un comportement leur semble illicite et de ne pas inciter l’ensemble de leurs adhérents pour agir en ce sens (Conseil de la concurrence - décision n°05-D-43 du 20 juillet 2005).

Toutefois, l’Autorité de la concurrence précise les limites du principe de l’Article 6 de la CESDH lorsqu’il se rapporte aux droits des professionnels et des syndicats qui défendent leurs intérêts. La décision rendue le 28 novembre 2007 par l’Autorité de la concurrence (Autorité de la concurrence – décision n°07-D-41 du 28 novembre 2007 - confirmé en appel et en cassation) retient ainsi que :

« l’action disciplinaire, de même que le soutien à des saisines engagées par d’autres, n’est pas isolable du reste des incitations du syndicat et participe à l’ensemble de la pratique anticoncurrentielle. Elle apparaît comme un moyen de contrôle, de pression et de sanction à l’égard des médecins dérogeant aux consignes.

[…]

Il ressort de ce qui précède que le Syndicat national a adopté un comportement visant à réduire la concurrence entre médecins sur le marché des examens anatomo-cyto-pathologique effectués pour le compte des centres hospitaliers publics.

[…]

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier, que les consignes syndicales ont effectivement produit des effets à l’égard des médecins et des hôpitaux. »

Il en résulte que l’action disciplinaire engagée par un syndicat contre l’un de ses membres peut aussi constituer une pratique anticoncurrentielle si son objet ou son effet est de réduire la concurrence entre les acteurs d’un marché pertinent.

Sahand Saber
Avocat au Barreau de Paris
s.saber chez hiro-avocats.com
[Mail-&gt ;contact chez saber-avocat.com]

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