Le montant de la condamnation financière s’élève à 900.000 euros, ce qui peut paraître excessif à première vue. Mais après analyse, il y a lieu de constater que l’amende reste raisonnable, notamment lorsqu’on considère qu’aux termes de l’article L. 464-2 du Code de commerce le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du Chiffre d‘affaires mondial hors taxes. Or, le Chiffre d’affaires de BANG & OLUFSEN avoisine les 580 millions d’euros. La marge reste donc assez grande. Pour déterminer le montant de l’amende, l’Autorité s’est livrée à un examen de proportionnalité en tenant compte de la gravité des faits reprochés, de l‘importance du dommage causé à l’économie nationale et de la situation individuelle de la société.
Toutefois, pour parvenir au stade de la condamnation financière, l’Autorité de la concurrence avait à caractériser préalablement le comportement anti-concurrentiel de la société BANG & OLUFSEN. Car c’est effectivement sur le fondement des articles 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et L.420-1 du Code de commerce que l’Autorité se prononce. Ces deux textes prohibent les ententes entre fournisseurs et distributeurs ayant pour objet ou pour effet de restreindre le libre jeu de la concurrence.
Cette décision du 12 décembre 2012 est une reprise de la décision Pierre Fabre Dermo-Cosmétique rendue par la CJUE quelques temps auparavant (CJUE, 13 octobre 2011, C-439/09). La décision de l’Autorité révèle ainsi la parfaite harmonie qui existe entre le droit national de la concurrence et le droit communautaire. En effet, la difficile articulation entre ces deux droits, souvent déplorée, a fait place en l’occurrence à l’application du principe de collaboration qui doit régner entre le juge communautaire et les autorités et juridictions nationales. Pour prendre sa décision, l’Autorité de la concurrence a alors combiné les règles internes avec celles prévues ou dégagées par les traités et la CJUE.
Le droit communautaire tolère les réseaux de distribution sélective, lesquels constituent des accords verticaux. Considérant que le consommateur peut profiter de l’existence de ces réseaux, il n’y voit pas d’entorse au droit de la concurrence dès lors que la part de marché détenue par un fournisseur ne dépasse pas le seuil de 30 % du marché (présomption de licéité du réseau). Il s’agit donc d’une exemption à l’interdiction des ententes prévue par les textes du droit communautaire. Dans la pratique, le fournisseur du réseau de distribution sélective tentera de justifier son comportement anti-concurrentiel en invoquant le bénéfice de cette exemption.
Ainsi, dans l’affaire Pierre Fabre, la question préjudicielle qui avait été transmise à la CJUE par la Cour d’appel de Paris était la suivante : « une interdiction générale et absolue de vendre sur Internet imposée aux distributeurs agréés constitue-t-elle une restriction de la concurrence par objet, si un tel accord peut bénéficier d’une exemption par catégorie, et dans la négative, lorsque l’exemption par catégorie est inapplicable, peut-il bénéficier éventuellement d’une exemption individuelle ».
Pour y répondre, la CJUE a combiné le Règlement du 22 décembre 1999 concernant l’application de l’article 101 TFUE à des catégories d’accords verticaux et le Règlement de la Commission du 22 avril 2010 : « l’article 4 du règlement de 1999 doit être interprété en ce sens que l’exemption par catégorie prévue par l’article 2 de ce règlement ne s’applique pas à un contrat de distribution sélective comportant une clause interdisant de facto internet comme mode de commercialisation des produits contractuels ».
Elle y a par ailleurs considéré qu’une clause interdisant de facto aux distributeurs agréés, membres d’un réseau de distribution sélective, toute forme de vente par internet « réduit considérablement la possibilité d’un distributeur agréé de vendre les produits contractuels aux clients situés en dehors de son territoire contractuel ou de sa zone d’activité. Elle est donc susceptible de restreindre la concurrence dans ce secteur ».
Analyse de la décision du 12 décembre 2012
L’Autorité de la concurrence reprendra dans sa décision du 12 décembre 2012 ces mêmes arguments développés par la CJUE pour caractériser l’existence d’une entente entre BANG & OLUFSEN et ses distributeurs.
En l’espèce, la société BANG & OLUFSEN France disposait d’un réseau de 48 distributeurs agréés, géographiquement répartis dans toute la France pour commercialiser ses produits Hi-fi haut de gamme. A la suite d’une enquête diligentée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le Conseil de la concurrence a été saisi pour se prononcer sur l’interdiction faite par BANG & OLUFSEN à ses distributeurs de vendre leurs produits par Internet et cela depuis l’année 2001.
Le problème juridique auquel était confrontée l’Autorité de la concurrence était le suivant : l’interdiction faite par BANG & OLUFSEN à ses distributeurs agréés de vendre leurs produits sur Internet constituait-elle une restriction de la concurrence contraire aux dispositions de l’article 101 TFUE et L.420-1 du Code de commerce.
Pour y répondre, l’Autorité s’est d’abord interrogée sur le droit applicable, puis sur les éléments factuels en présence, pour en tirer la conclusion qu’ « une telle interdiction, conjuguée aux autres éléments relevés, confirme que la politique de Bang & Olufsen France tend à rendre matériellement impossible la vente sur internet des produits de marque Bang & Olufsen par les distributeurs agréés de cette entreprise ». Il y a donc lieu de constater que BANG & OLUFSEN a enfreint les dispositions des articles 101 TFUE et L.420-1 du Code du commerce.
L’Autorité de la concurrence a cherché à savoir dans un premier temps si le droit communautaire était en l’espèce concerné, c’est-à-dire si l’article 101 TFUE était applicable à la situation. Elle rappelle qu’en vertu du Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 101 et 102 du TFUE, les Etats membres doivent appliquer ces dispositions à toutes pratiques susceptibles d’affecter sensiblement le commerce entre Etats membres.
Par ailleurs, lorsqu’une entente à vocation à s’étendre sur une vaste majorité du territoire national, il existe une forte présomption qu’une pratique restrictive de concurrence soit susceptible de contribuer au cloisonnement des marchés et d’affecter le commerce intra-communautaire. Or en l’espèce, le contrat de distribution sélective entre BRAND & OLUFSEN et les distributeurs s’étendait à tous les distributeurs agréés sur le territoire français. Le droit de la concurrence communautaire était par conséquent applicable à la situation en cause, au même titre que le droit interne.
Ensuite, l’Autorité avait à se constituer le faisceau d’éléments nécessaires pour établir l’existence d’une entente ayant pour objet ou pour effet de restreindre le libre jeu de la concurrence. L’accent a été mis sur l’objet anti-concurrentiel de l’accord plutôt que sur son effet car en examinant l’objet et la teneur de cet accord, l’Autorité a décelé l’existence d’une restriction à la concurrence (« par objet »).
Elle a ainsi considéré que la signature d’un contrat en 1989 entre BANG & OLUFSEN et ses distributeurs prohibant la vente par correspondance (contrat jamais dénoncé) et l’existence d’une circulaire du 23 août 2000 émanant de BANG & OLUFSEN relative à la « politique d’utilisation d’internet », montrent suffisamment la volonté de BANG & OLUFSEN d’interdire la vente par Internet.
Les différentes auditions des dirigeants de BANG & OLUFSEN n’ont pas permis de convaincre l’Autorité de la concurrence sur l’absence d’une interdiction de la vente par Internet. Ainsi, les arguments traditionnellement invoqués par les fournisseurs de produits de haute technicité, selon lesquels la vente du produit exige un conseil adapté, n’ont pas été retenus en l’espèce au profit de BANG & OLUFSEN. Les dirigeants ont par ailleurs vainement fait valoir qu’aucun distributeur ne serait apte à assumer financièrement et matériellement la mise en place de la vente par Internet. De leur côté, les distributeurs, également auditionnés, ont fait valoir qu’ils n’avaient jamais eu de retour concernant « leurs demandes verbales » auprès du fournisseur pour commercialiser les produits par Internet.
Il est apparu finalement aux yeux de l’Autorité que l’interdiction de la vente par correspondance imposée par BANG & OLUFSEN avait vocation à s’étendre à Internet, ce qui a porté préjudice aux distributeurs : le canal de commercialisation par Internet aurait pu être utilisé à compter de son apparition. En imposant cette interdiction, BANG & OLUFSEN a réduit la possibilité qu’avaient les distributeurs de vendre les produits à des clients situés en dehors de leur territoire contractuel, ce qui entraînait une restriction de la concurrence dans ce secteur.
De plus, l’interdiction faite aux distributeurs de vendre par Internet avait pour conséquence de priver le consommateur, éloigné du point de vente, de profiter de prix moins élevés et réduisait par ailleurs le choix qui lui était proposé.
Ainsi, selon l’Autorité de la concurrence, « les pièces du dossier prouvent à suffisance de droit que, contrairement à ce qu’elle soutient, la Société BANG & OLUFSEN France a de facto interdit à ses distributeurs de vendre ses produits sur Internet ».