Les exigences du droit à un procès équitable de l’art. 6 CEDH appliquées à la preuve matérielle de l’infraction présumée.

Par Pierre-Olivier Koubi-Flotte, Avocat et Christine Weniger.

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Explorer : # procès équitable # preuve matérielle # droits de l'homme # répression des journalistes

La fouille d’une personne effectuée plus de vingt minutes après son arrestation rend légitime le soupçon de placement déloyal des preuves ainsi trouvées et rend inéquitable le procès pénal subséquent. (Zahidov c. Azerbaïdjan, 12/11/2015)

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Le requérant, M. Zahidov, journaliste d’opposition connu, a été arrêté en 2006 devant un café à Bakou par quatre agents en civil de la brigade des stupéfiants (NDMIA) qui l’ont menotté et conduit au siège du NDMIA. Ce n’est que lors de leur arrivée qu’a été effectuée une fouille du requérant qui révélait 9 grammes d’héroïne. Bien que le requérant conteste avoir été en possession des stupéfiants et qu’un test de drogue ait été négatif, il a été condamné à trois ans de prison. M. Zahidov a maintenu que les agents avaient placé l’héroïne sur lui et que c’était la raison pour laquelle ils n’avaient pas immédiatement effectué la fouille ; celle-ci n’ayant été effectuée que vingt minutes après son arrestation (§§ 7 - 30).

Cette affaire, intervenue dans un contexte de répression de journalistes et de défenseurs des droits de l’homme, a suscité beaucoup d’attention non seulement de la part des médias mais aussi du Conseil de l’Europe lui-même qui dans sa résolution 1614 (2008) a qualifié M. Zahidov de « prisonnier politique présumé » et a dénoncé le manque de transparence et d’équité de la procédure pénale menée à son encontre (§ 36).

La Cour rappelle tout d’abord qu’elle ne statue pas sur la recevabilité d’une preuve ou la culpabilité d’un accusé. En vertu de l’article 6, elle examinera seulement si un procès pénal dans son intégralité était équitable (§ 47). Un procès équitable implique notamment le droit pour l’accusé de se défendre (§ 48).

Le droit à un procès équitable tel que garanti par l’article 6 de la Convention s’applique également à la procédure préalable au procès même et donc à l’arrestation et à la fouille d’une personne dès lors que la non-conformité de ces actes avec les dispositions de la Convention est susceptible d’avoir des répercussions sur l’équité du procès subséquent (§ 49).

Afin de déterminer si les droits de la personne poursuivie ont été respectés, la qualité de la preuve et la possibilité de l’accusé de contester l’authenticité de la preuve dans la procédure interne sont les critères les plus révélateurs (§ 48).

En ce qui concerne le premier critère, la Cour indique que la qualité de la preuve était contestable. Le décalage de vingt minutes entre l’arrestation et la fouille ainsi que le fait que le requérant se trouvait pendant tout ce temps sous le contrôle des agents de l’Etat « peut faire légitimement penser que les preuves avaient pu être placées subrepticement » sur le requérant. D’ailleurs, l’Azerbaïdjan avait refusé d’examiner une vidéo policière de la fouille lors de la procédure interne et avait même refusé de transmettre une copie de la vidéo à la Cour de Strasbourg qui l’avait demandé expressément (§ 53).

Quant au deuxième critère pertinent pour l’appréciation de la nature équitable d’un procès, et tenant à la possibilité de contester l’authenticité d’une preuve pendant la procédure, la Cour constate que les contestations du requérant sur l’authenticité de la preuve avaient été délibérément ignorées par les juridictions azéries. Elles ont ainsi manqué à leur obligation de rechercher les raisons pour lesquelles la fouille n’avait pas été effectuée immédiatement lors de l’arrestation du requérant et à leur obligation d’examiner si la fouille avait été compatible avec les exigences procédurales dérivées de l’article 6.

Eu égard au fait que la condamnation du requérant se fondait principalement sur cette preuve matérielle contestable, la Cour conclut que son utilisation rendait la totalité du procès inéquitable. La Cour condamne ainsi à l’unanimité l’Azerbaïdjan pour violation de l’article 6 de la Convention.

Statuant au visa de l’article 6 dans son ensemble, cet arrêt est intéressant à deux égards : premièrement, il rappelle que les dispositions de l’article 6 s’appliquent à la phase préalable du procès, deuxièmement, il apprécie in concreto la qualité d’une preuve au regard des conditions dans lesquelles celle-ci a été révélée.

Maître Pierre-Olivier Koubi-Flotte - Docteur en Droit, Avocat au Barreau de Marseille - http://avocats-koubiflotte.com/
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