Observations sous civ. 1ère 6 mars 2007 (arbitrage & médiation).

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Explorer : # clause de conciliation # arbitrage # modes alternatifs de règlement des conflits # compétence des arbitres

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Observations sous Civ. 1ère 6 mars 2007 (N° de pourvoi 04-16204 / publié au Bulletin)

1. Le développement croissant des modes alternatifs de règlement des conflits et plus particulièrement des clauses de conciliation et de médiation entraînent un certain nombre d’interrogations quant à leur mise en œuvre pratique. L’arrêt du 14 février 2003 de la Chambre mixte de la Cour de cassation a néanmoins permis de résoudre plusieurs difficultés relatives aux conséquences processuelles de la clause de conciliation .

Pour autant, la stipulation d’une clause de conciliation et son éventuelle exécution lors de la survenance d’un conflit, doit se réaliser dans le respect des autres clauses contractuelles et plus spécifiquement avec les autres clauses relatives aux litiges. Il n’est effectivement pas rare que des parties à un contrat souhaitent insérer à la fois une clause de conciliation et d’arbitrage ; l’articulation entre ces deux clauses ne devant susciter que peu de difficultés. En effet, la clause de conciliation met en place un processus de négociation d’une solution amiable sous l’égide d’un conciliateur, tandis que la clause d’arbitrage permet aux parties d’obtenir une sentence, véritable décision juridictionnelle.

2. Lors de la survenance d’un conflit, la clause de conciliation reçoit exécution, seul l’échec ou la réussite partielle de la conciliation autorise les parties à mettre en œuvre la procédure d’arbitrage. En dépit de la relative faiblesse de la clause de conciliation tenant à son absence de garantie d’une issue amiable, elle est une stipulation contractuelle ayant force de loi entre les parties qui doit donc recevoir exécution.

Son non-respect entraîne, selon l’arrêt précité du 14 février 2003, le prononcé d’une fin de non-recevoir du fait de son caractère obligatoire et préalable à toute action en justice. La question se pose ainsi de savoir comment l’inexécution de la clause de conciliation sera traitée et sanctionnée lorsque les parties ont prévu, en cas d’échec, une clause d’arbitrage.

3. La question est effectivement importante en pratique au regard de la particularité de chacune de ces procédures. La Cour de cassation a eu à résoudre cette question dans un arrêt du 6 mars 2007.

En l’espèce, il s’agissait d’un conflit opposant deux sociétés ayant conclu un engagement d’achat et de livraison de betteraves soumis à l’accord interprofessionnel du 11 décembre 2002 applicable à la campagne 2003/2004, lequel contient une clause de conciliation et d’arbitrage. A la suite d’un différend, l’une des parties a assigné son partenaire contractuel devant le Tribunal de grande instance en restitution des pulpes de betteraves sucrières et ce, au mépris des clauses de conciliation et d’arbitrage.

Laissant de côté d’autres questions résolues par la Cour de cassation, la décision est instructive car la Cour respecte pleinement la hiérarchie instaurée entre les deux clauses, ainsi que leurs modalités d’exécution. Elle retient en effet que : « (…) que c’est donc à bon droit qu’en vertu du principe compétence - compétence, elle (la Cour d’appel) s’est déclarée incompétente, sans avoir à mettre en œuvre elle-même la procédure préalable de conciliation qui relevait de la compétence des arbitres ». La Cour de cassation rejette le pourvoi formé et confirme l’arrêt de la Cour d’appel qui avait rejeté le contredit de compétence.

Les juges rappellent ainsi aux parties leur volonté initiale, qui est de donner, dans un premier temps, une chance à la négociation d’une solution amiable à leur conflit, puis en cas d’échec de mettre en place une procédure d’arbitrage permettant de garantir une issue à leur différend. En conséquence, il appartient aux seuls arbitres, en vertu du principe compétence –compétence, de se prononcer sur le traitement de la violation de la clause de conciliation ; solution certes respectueuse de la volonté des parties et de l’objet de chacune de ces clauses, mais risquant de susciter quelques difficultés lors de la mise en place procédure arbitrale.

4. Au vu des sentences publiées, il apparaît que les arbitres respectent la volonté des parties d’avoir prévu un préliminaire obligatoire de conciliation . Les arbitres saisis en violation de la clause de conciliation doivent ainsi prononcer l’irrecevabilité de la demande d’arbitrage en raison de la suspension temporaire de l’action en justice engendrée par l’exécution de la clause de médiation ; il leur appartient effectivement selon l’article 1466 du NCPC de statuer sur le principe et l’étendue de leur pouvoir juridictionnel. En conséquence faute de disposer d’un tel pouvoir, la saisine du tribunal arbitral ne pourra se faire qu’après mise en œuvre du processus de conciliation et constat de son échec ou de sa réussite seulement partielle.

5. Toutefois, cette situation risque de renchérir considérablement le coût de la procédure arbitrale puisqu’en cas d’échec du processus de conciliation, il faudra de nouveau constituer un tribunal arbitral impliquant ainsi des frais supplémentaires.

Un auteur a cependant suggéré que la sentence d’irrecevabilité soit en réalité rendue en l’état . Le tribunal arbitral pourrait ainsi constater que sa mission est suspendue jusqu’au terme du processus de médiation, c’est-à-dire au moment où les éléments ayant donné lieu au prononcé de la fin de non-recevoir auront disparu.

Selon l’auteur, il apparaît que l’arbitre n’est pas dessaisi du fait de la contestation qu’il a tranché . Il semblerait qu’il ait rendu une sentence qui n’opère pas dessaisissement faute d’avoir réglées toutes les questions litigieuses objet du compromis ou de la clause compromissoire ; la convention d’arbitrage n’aurait donc pas été encore entièrement exécutée. La pratique arbitrale semble admettre que faute de statuer sur la prétention litigieuse, l’arbitre ne serait pas dessaisi s’il tranche par le biais d’une sentence une question relative à la procédure comme la recevabilité de la demande ; la sentence est dite incidente ou préjudicielle .

Dans cette situation, le délai d’arbitrage constituera alors une question à ne pas prendre à la légère, puisque son dépassement peut entraîner l’annulation de la sentence au regard de l’article 1484 1° du NCPC. L’arbitre et les parties devront donc veiller à formuler une demande de prorogation du délai s’il y a lieu.

6. La succession d’un certain nombre de sentences au sein d’une même instance arbitrale peut surprendre, mais la jurisprudence admet que plusieurs sentences puissent se succéder n’entraînant alors le dessaisissement du ou des arbitres que dans certaines hypothèses.

En l’occurrence, il a été admis que les arbitres ne sont pas dessaisis s’ils ont rendu une sentence avant dire droit, ou prononcer une mesure d’expertise ou régler par plusieurs sentences les différents objets du litige . Dans cette dernière hypothèse, on est en présence de sentences dites partielles, dans lesquelles l’arbitre tranche au fur et à mesure les prétentions des parties en rendant des sentences successives ; le dessaisissement de l’arbitre s’opère alors au fur et à mesure qu’il tranche les prétentions.

7. Pourtant, l’hypothèse d’une sentence rendue en l’état fait largement écho à la notion de jugement rendu en l’état , qui à l’origine avait pour effet de paralyser les effets normaux attachés en principe à toute décision de justice (autorité de la chose jugée et dessaisissement du juge). Cette situation, qualifiée de véritable « énigme », ne se justifiait pas au regard de la lettre de l’article 480 du NCPC, qui confère l’autorité de la chose jugée au jugement qui tranche le principal sans préciser les termes dans lesquels le dispositif est rédigé et peu important les réserves que le juge a pu émettre dans sa décision.

La Cour de cassation rappelle d’ailleurs de manière constante qu’une décision portant la mention « en l’état » a l’autorité de la chose jugée dès son prononcé et entraîne alors le dessaisissement du juge. La Chambre commerciale a notamment jugé dans un arrêt du 8 mars 1994 que : «  fût-il dit rendu en l’état des justifications produites, le jugement qui tranche dans son dispositif toute ou partie du principal a, dès son prononcé l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranche et dessaisit le juge de cette contestation ». La mention en l’état portée sur un jugement n’a donc plus aucun effet de paralysie quant à l’autorité de la chose jugée et sur ses conséquences induites.

8. Dès lors, il n’est pas évident qu’en dépit du particularisme de la procédure arbitrale et de sa pratique, on puisse admettre que les arbitres ne soient pas dessaisis dès le prononcé de la sentence d’irrecevabilité fût-elle dite rendue en l’état. Elle entraîne nécessairement la fin de l’instance arbitrale puisque les arbitres ne disposent pas du pouvoir trancher le litige au fond.
Une solution contraire amènerait en outre à s’interroger sur la réalité de la sanction de fin de non-recevoir, puisque dans cette hypothèse on se rapprocherait davantage d’une cause de sursis à statuer. Or, la violation de l’engagement de ne pas agir en justice ne peut être sanctionnée au moyen d’une suspension de l’instance arbitrale ; l’arrêt de la Chambre mixte et les confirmations ultérieurement intervenues attestent de la permanence du choix pour la sanction de la fin de non-recevoir.

9. L’inconstance des parties dans leur souhait quant au mode de règlement de leurs litiges risque ainsi de se traduire par une saisine directe du juge étatique. Il appartiendra alors au juge de prendre en considération les spécificités de chacune de ces clauses en permettant une conciliation harmonieuse de leurs sanctions respectives.

Cette conséquence ne vient pas jeter le discrédit sur cette pratique contractuelle, pour autant il est important lors de la négociation d’un contrat de mesurer avec conscience les avantages comme les éventuels inconvénients de cette succession de procédures.

Guillaume Huchet
Docteur en droit - Conseiller juridique

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