Quand la transmission du droit passe par la pop culture !

Clarisse Andry
Rédaction du Village de la Justice

Crédit photo (logo) : Legi Team

8883 lectures 1re Parution: Modifié: 4.81  /5

Explorer : # vulgarisation juridique # pop culture # enseignement du droit # fiction et droit

Vous le saviez : le droit est partout… y compris dans vos œuvres de fiction préférées ! Et certains juristes, au sein des universités, sur des blog ou en vidéo, ont décidé de s’en emparer afin d’aborder la matière autrement.
Utiliser la pop culture [1] permet en effet d’avoir une autre approche du droit et de le mettre à la portée de tous, grâce à des références actuelles et communes. Une méthode de vulgarisation bénéfique à tous les publics, qu’ils appartiennent ou non au monde du droit.

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La pop culture, un outil efficace de vulgarisation.

Se saisir de la fiction pour étudier le droit autrement : c’est l’idée qu’a mise en œuvre l’association MédiaDroit pour ses soirées d’études « Droit et fiction ». Après Le Seigneur des Anneaux et Star Wars, les intervenants se sont attaqués aux super-héros, au mois de mai. Leurs analyses, touchant des domaines juridiques extrêmement variés, s’adressent à tous, comme l’explique Yann Basire, maître de conférences à l’Université de Haute Alsace : « Nous visons tout le monde, et le public est d’ailleurs très hétérogène : des étudiants en droit, des enseignants, des chercheurs, des professionnels du droit, et des gens d’autres disciplines. Je pense que tout le monde s’y retrouve. L’objectif est finalement de balayer un spectre extrêmement large de notions juridiques, pour petit à petit arriver sur des éléments plus particuliers. »

Avec des retours très positifs du public, les organisateurs constatent que la formule fonctionne, à tous les niveaux. « Les étudiants apprennent d’abord des choses avec un objet par lequel l’entrée est plus facile, et dans tous cas plus amusante. Ça oblige ensuite les enseignants-chercheurs à faire un vrai effort dans la méthodologie de la recherche, car on va travailler sur un objet plus flottant, plus difficile à cerner. Enfin, pour des personnes qui ne connaissent pas le droit, ça leur permet de comprendre des notions du droit et d’y venir. »

Yann Basire

Une initiative également saluée par des juristes d’autres pays … Et notamment par Nicolas Pantin, ancien juriste expatrié au Japon pour enseigner le Français : « Je pense que de telles initiatives sont essentielles à la vulgarisation du droit. D’abord, parce qu’elles permettent souvent de faire de la vulgarisation en présentiel, donc d’engager directement un échange entre le vulgarisateur et les auditeurs. Mais ensuite, et surtout, parce qu’elles sont souvent l’œuvre d’universitaires, dont la légitimité auprès des institutions n’est pas à prouver. Et si l’on veut donner plus de place et de poids à la vulgarisation du droit en France, c’est fondamental. »

Nicolas Pantin s’est lui-même lancé en créant sa chaine Youtube LexTutor. Zombies, Batman, ou Kamelott font ainsi partie de ses outils pour transmettre les concepts juridiques au grand public. Un objectif qui « exige plus que de faire de la simplification, explique-t-il. Une partie importante du processus de vulgarisation consiste à traduire ce que l’on veut communiquer dans des concepts plus simples pour les non-spécialistes, mais également dans un contexte que le public est prêt à recevoir. Les univers de la pop culture me semblent être des terrains idéaux, à la fois agréables et familiers, pour explorer les concepts que l’on souhaite transmettre ».

Nicolas Pantin

S’appuyant sur la popularisation des vidéos de vulgarisation scientifique, LexTutor a également tiré profit des avantages du site. « Youtube est un réseau social particulièrement puissant pour la vulgarisation, souligne Nicolas Pantin. L’argument économique est sans doute le plus évident : tout le monde peut créer, le coût de production d’un contenu sur la toile est sans commune mesure avec son équivalent télévisé, et le spectateur a une totale liberté de visionnage. L’apprentissage est totalement gratuit et exclusivement fondé sur la bonne volonté. Une aubaine, pour la vulgarisation. » Nicolas Pantin insiste également sur la possibilité d’échange qu’offre la plateforme : « Elle leur permet d’instaurer un dialogue quasi direct, et d’échanger envies et avis, propositions et dépositions, afin de répondre aux questions, d’enrichir le sujet, de lui donner du corps et de la réalité ». L’écoute et l’échange, autour de références communes, sont donc de bons moyens de vulgariser le droit.

Une autre manière d’étudier le droit pour les juristes.

Yannick Lécuyer

Mais utiliser ces références populaires ne sont pas utiles qu’aux profanes : elles le sont également dans l’enseignement ou l’étude du droit. C’est ainsi que Yannick Lécuyer, maître de conférences à l’Université d’Angers, propose une unité d’enseignement libre intitulée « Droit international des droits de l’homme : James Bond et les relations internationales ». « Il existe déjà quelques études très sérieuses qui ont confronté James Bond à la géopolitique, aux relations internationales et au droit international, explique l’enseignant. A ce titre, je n’étais pas spécialement original. L’audace était de proposer un cours de 16 heures intégralement consacré au sujet. » Très bien accueillie par l’université, la création de ce cours avait deux objectifs : « Je souhaitais d’une part compléter le cours de relations internationales dispensé en première année de licence, que j’estime toujours trop court. D’autre part, le support, les unités d’enseignement libres, permettaient d’ouvrir à un autre public et d’élargir l’audience à des étudiants dans une perspective de construction personnelle plus que diplomante. » Là encore, la solution 007 rencontre du succès : « Le retour de la part des étudiants est très positif, surtout de la part des juristes et des politistes qui disposent déjà des outils conceptuels pour entrer plus facilement dans la lecture géopolitique juridique des films de James Bond. L’amphithéâtre ne désemplit pas d’une année sur l’autre. »

Valère Ndior

Une technique qu’utilise également Valère Ndior, maître de conférences à l’Université Toulouse 1 Capitole, « de temps en temps ! Rien de plus efficace qu’un exemple tiré d’une œuvre de fiction pour redynamiser un amphi qui s’endort ou pour illustrer un développement technique en séance de travaux dirigé. A condition de le faire avec parcimonie et rigueur, et de ne pas « spoiler » son auditoire - il pourrait devenir hostile ! Ce type d’illustrations permet généralement aux étudiants de mieux retenir certains points du cours ou de saisir une section aride du programme, tout en reposant leurs neurones durant quelques minutes. En revanche, il ne faut pas que les étudiants en fassent de même dans leurs copies d’examens, cela va de soi… »

Nicolas Rousseau

Avec Nicolas Rousseau, créateur du site Les Chevaliers des Grands Arrêts, ils ont d’ailleurs eu l’idée de consacrer un blog à Harry Potter et le droit. Mais pourquoi des juristes moldus [2] décortiqueraient le droit des sorciers ? « C’est une idée qui nous est venue assez naturellement lors d’un échange passionné sur la saga, expliquent les deux auteurs. Compte tenu de la richesse des éléments développés par J.K. Rowling, il nous a semblé que le monde magique de Harry Potter était un sujet original pour une analyse juridique. » Créé en décembre 2015, ce blog est donc avant tout un défi intellectuel pour ses contributeurs : « Notre démarche n’était pas animée par un objectif pédagogique : il était surtout question de se faire plaisir et de partager les idées juridico-fictionnelles ayant germé dans les esprits des nombreux universitaires et praticiens fans du célèbre sorcier. » Et les participants n’ont pas hésité à prendre part au projet. « Plusieurs d’entre eux nous ont spontanément proposé leurs services lorsqu’ils ont eu vent du projet ! Tous étaient enthousiastes et ont envisagé des sujets originaux, et nous n’avons pas ressenti le besoin de justifier la démarche auprès d’eux. Ils ont tous compris, très rapidement, qu’il fallait rédiger un article court, souvent sur un mode humoristique, publiable en ligne. »

Un moyen de donner une autre image du droit.

En bousculant un peu les codes, les enseignements ou la manière d’étudier, ils peuvent ainsi donner une autre image du droit et de leurs métiers... consciemment ou non. « Bizarrement, l’image qu’a le grand public du droit et des juristes est en décalage avec celle que les juristes ont de leur propre communauté, constatent les créateurs de Harry Potter et le droit. Le but de cette ouverture n’est pourtant pas vraiment de faire changer cette image. Il s’agit plutôt d’un effet secondaire positif. » C’est en revanche l’objectif revendiqué des soirées « Droit et fictions », explique Yann Basire : « On a souvent cette image de l’enseignant chercheur en droit un peu poussiéreux, qui vient faire ses cours en toge, et c’est le cas de quelques uns. Alors que l’on peut parfaitement être geek et enseignant-chercheur en droit. Le juriste n’est pas nécessairement tous les vendredis soirs à l’opéra, il peut aussi aller au cinéma voir Batman et en parler ensuite avec les étudiants. »

En effet, l’image austère, voire rébarbative, que peut avoir le droit peut être « cassée » par ces approches plus modernes et plus dynamiques. « Il s’agit là des deux faces d’une même médaille, souligne Yannick Lécuyer. Donner une image plus ludique de la science juridique permet de la vulgariser au sens noble du terme. Il n’est pas question d’atténuer la qualité de l’analyse ou du propos mais plutôt de chercher un nouvel angle d’approche qui parle au plus grand nombre. A ce titre, la pop culture est un outil idéal. » Car la crainte est là : vulgariser ne doit pas déprécier le propos ou la matière juridique. « Je ne crois pas qu’il faille rendre le droit ’fun’, confirme Nicolas Pantin. Si la forme peut être amusante et référencée afin d’être comprise par tous, je crois également qu’il faut prendre le risque de déplaire à certains, par la richesse du fond. Rendre le droit ’fun’, c’est prendre le risque de créer un faux droit, qui au mieux perdrait sa force réflexive - au pire deviendrait inutilisable - en laissant à côté un vrai droit, alors inaccessible et obscure histoire de spécialistes. »

Si ce type de projets plaît, ils n’emportent évidemment pas tous les suffrages. Alors que travailler sur ces références pop culture est fréquent dans les pays anglo-saxons, Yann Basire précise que « cela pose encore problème à certains centres juridiques et certains enseignants-chercheurs en droit, parce que ce ne sont pas des sujets assez sérieux ou assez raisonnables. » Une défiance française à déplorer, mais pas forcément étonnante lorsque l’on voit les difficultés à faire passer le message de la vulgarisation.
Mais ces oppositions ne font pas peur à MédiaDroit : les super-héros reviennent le 12 mai 2017, pour de nouvelles aventures juridiques !

Clarisse Andry
Rédaction du Village de la Justice

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[1Pop culture ou culture populaire : forme de culture dont la principale caractéristique est d’être produite et appréciée par le plus grand nombre, contre la culture élitiste ou avant-gardiste qui ne toucherait qu’une partie aisée et/ou instruite de la population. – Wikipédia

[2Terme utilisé dans la saga Harry Potter pour désigner les personnes sans pouvoirs magiques.

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