INTRODUCTION :
Les accords ADPIC ouvrent bien des voies de réflexion, en général assez complexes, et on le sait, il arrive qu’ils peinent à les refermer sur des solutions stables : ce processus ne peut que maturer lentement. Or c’est le cas des indications géographiques. Rappelons-en les articulations principales pour notre propos :
Art. 22 §1 : Aux fins du présent accord, on entend par indications géographiques des indications qui servent à identifier un produit comme étant originaire du territoire d’un Membre, ou d’une région ou localité de ce territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine géographique.
Art. 22 §2 : Pour ce qui est des indications géographiques, les Membres prévoiront les moyens juridiques qui permettent aux parties intéressées d’empêcher :
a) l’utilisation, dans la désignation ou la présentation d’un produit, de tout moyen qui indique ou suggère que le produit en question est originaire d’une région géographique autre que le véritable lieu d’origine d’une manière qui induit le public en erreur quant à l’origine géographique du produit ;
b) toute utilisation qui constitue un acte de concurrence déloyale au sens de l’article 10bis de la Convention de Paris (1967).
Art. 23§4 Afin de faciliter la protection des indications géographiques pour les vins, des négociations seront menées au Conseil des ADPIC concernant l’établissement d’un système multilatéral de notification et d’enregistrement des indications géographiques pour les vins susceptibles de bénéficier d’une protection dans les Membres participant au système.
Art. 24§1 : Les Membres conviennent d’engager des négociations en vue d’accroître la protection d’indications géographiques particulières au titre de l’article 23.
22§2 définit l’objectif mais si légitime soit-il dans l’esprit, le fait de « prévoir » des moyens juridiques n’engage au fond pas à grand-chose, dès lors que 23§4 renvoie à des négociations ultérieures les modes selon lesquels on pourra imposer aux Etats de prendre (et non de prévoir) des mesures contraignantes. D’autant plus que cet accord à venir s’annonce délicat.
Quel « système multilatéral » ? Voici bien le thème de l’étude. L’angle sous lequel nous l’aborderons est celui-ci : à première vue, l’article 23.4 vise à créer une simple chambre d’enregistrement d’IG déclarées au gré des Membres, auquel cas l’étudee st terminée. Mais il n’en va évidemment pas ainsi.
Que signifie : « bénéficier d’une protection dans les pays Membres participant au système » ? Cela a certainement trait à une opposabilité multilatérale, proposée pour remplir l’objectif de 22§2, qui lui, pourtant, vise explicitement l’ordre juridique interne. Voilà une première articulation, riche.
Et à quoi s’applique cette protection ? Voici une de ces magnifiques ambiguïtés, si révélatrices d’un trouble : dans la rédaction : « des indications géographiques pour les vins susceptibles de bénéficier … », sont-ce les vins qui sont « susceptibles de bénéficier d’une protection » ? ou les IG ? Comme la première interprétation n’a pas grand sens, choisissons bien sûr la seconde : l’expression « des IG susceptibles de bénéficier d’une protection multilatérale » signifie bien que d’autres IG peuvent ne pas en bénéficier. La phrase correctement ordonnée devient maintenant : « un système multilatéral de notification et d’enregistrement des indications géographiques susceptibles de bénéficier d’une protection dans les Membres participant au système, pour les vins. »
Le paquet 2005 des accords de Doha ouvrait la réflexion avec un certain enthousiasme. Le compte-rendu du paquet 2008 est plutôt tendu, plus ou moins bloqué entre interprétations assez divergentes, en tout cas loin de cet enthousiasme. La réflexion, sous l’angle de la présente étude, se centre sur deux positions.
La première est celle que l’on peut dire « directe » de 23§4, la chambre d’enregistrement, défendue notamment par Hong-Kong :
"L’inscription d’une indication au Registre sera admise à titre de preuve prima facie :
a) de la propriété de l’indication ;
b) du fait que l’indication satisfait à la définition donnée à l’article 22:1 de l’Accord sur les ADPIC en tant qu’indication géographique ; et
c) du fait que l’indication est protégée dans le pays d’origine (c’est-à-dire que l’article 24:9 de l’Accord sur les ADPIC n’est pas applicable)
devant tout juge, tribunal ou organe administratif national des Membres participants dans le cadre de toute procédure judiciaire, quasi judiciaire ou administrative se rapportant à l’indication géographique. Les faits seront réputés établis à moins que la preuve du contraire ne soit produite par l’autre partie à la procédure."
Cette présomption (« prima facie ») semble avenante en ce qu’elle accueille a priori les IG étrangères, sans ostracisme a priori, tolérance de bon goût. Mais elle ne l’est qu’en surface : comment fait-on pour apporter la preuve du contraire, en droit interne étranger (il ne s’agit pas là d’une sorte d’ICANN°) ? A quel coût ? Dans quel délai ? Comment contrôler que les Membres ont pris le dispositif ad hoc et qu’il est appliqué équitablement ?
C’est en refusant cette interprétation simpliste que l’on trouvera le fil conducteur de la réflexion, simpliste parce qu’on soutient ici elle ne produirait jamais qu’un empilement d’arbitraires unilatéraux, capharnaüm de bonnes et mauvaises IG qui ne saurait constituer un « système multilatéral », dans lequel finalement, personne ne respectera plus rien. Cette interprétation serait parfaitement contre productive.
L’autre pôle est le suivant : « Il a été dit que la question de savoir s’il convenait d’avoir un système prévoyant l’enregistrement des indications géographiques notifiées par des Membres sans que les autres Membres ne puissent au préalable manifester leur opposition ou formuler des réserves après avoir examiné ces indications géographiques au niveau interne dépendait des conséquences/effets juridiques qu’aurait l’enregistrement. »
C’est d’abord fondamentalement juste : s’il faut accorder à un droit étranger des effets contraignants dans l’ordre interne, on ne peut l’accueillir sans la moindre possibilité de discussion ! Mais en même temps insuffisant : à créer une sorte d’exequatur ad hoc, donc par un examen interne, on ne fera que déplacer le reproche d’unilatéralisme, de l’émetteur de l’IG à son récepteur. Sans compter que même si cet examen était équitable, il pourrait malgré tout être influencé par d’autres voies, comme l’a montré certain pays à propos d’exportation de roquefort ou du foie gras, de plus de façon récurrente. Il entre sans aucun doute dans le champ de l’étude de réduire la part de ces mauvaises pratiques.
On comprend ainsi que le Conseil des ADPIC a pêché par manque de confiance dans sa propre dynamique, en renâclant devant l’obstacle alors qu’il s’agissait d’en exprimer toute la puissance. C’était une erreur non pas tellement d’avoir limité l’accord aux vins mais de lancer la réflexion dans un secteur d’application sans avoir auparavant exposé les principes qui doivent guider cette opposabilité multilatérale, en général. Le besoin s’en fait maintenant sentir bien sûr mais la négociation mal centrée –elle n’a de ce fait plus rien à voir avec les vins !- s’éparpille plus chaque fois que l’on y touche, comme les gouttes de mercure.
Pour autant, on ne saurait s’en contenter et attendre. Il est légitime de chercher la logique commune au système, gageant et c’est le centre du propos, que la solution à cette question des principes résoudra de fait le problème pour tous les produits, vins ou autres, qui ne seront pas substantiellement différents « sub specie ADPICis ».
C’est pourquoi l’auteur a trouvé plus percutant, plus évocateur de cette dynamique – et pourquoi ne pas l’admettre, plus ludique - de rédiger cet article sous la forme d’un projet de traité...
PROJET DE TRAITE A TELECHARGER CI-DESSOUS EN VERSION COMPLETE.
Jean-Denis DUPUY-MANAUD
Avocat à la Cour de Toulouse
Tél : + 33 5 61 56 39 09
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