Sélection en Master : les formations de droit attendent leur régime dérogatoire.

Clarisse Andry
Rédaction du Village de la Justice

La rentrée 2017 verra l’application de la réforme mettant en place la sélection des étudiants à l’accès au master 1. Actée par la loi du 23 décembre 2016 [1], cette sélection à l’issue de la licence a pour objectif de faire du master une véritable formation sur deux ans. La loi prévoit également un droit à la poursuite des études : si un étudiant est refusé dans le master de son choix, le rectorat sera chargé de lui proposer trois autres formations, dont l’une dans l’établissement de son choix.
Deux filières vont cependant faire l’objet d’une exception : la psychologie et le droit. Et les formations juridiques sont aujourd’hui dans l’attente du décret qui organisera cette dérogation.

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Des particularités de la filière incompatibles avec la réforme.

L’organisation des formations en droit devrait donc, pour l’instant, rester inchangée. Une décision que déplore l’ARES [2], qui milite pour cette réforme du master. « Nous prônons depuis longtemps une réforme du master car le cycle, scindé en deux entre le M1 et le M2, est incohérent avec le processus LMD, explique Alexandre Arlin, président de l’association. Nous sommes satisfaits de la globalité de la réforme, mais il reste ce petit bémol pour les étudiants en droit, qui bénéficient d’un statut quo pendant une période indéterminée. »
Ce régime d’exception est pourtant « une position adoptée par la Conférence des doyens au mois de novembre, après une discussion entre l’ensemble des doyens des facultés de droit » explique Jean-Christophe Saint-Pau, doyen de la faculté de Bordeaux.

Jean-Christophe Saint-Pau

Plusieurs raisons justifient cette dérogation pour les facultés. D’abord, la construction actuelle des formations. « Les études de droit et la formation pédagogique sont actuellement conçues sur le modèle 4+1, et non sur le modèle 3+2, souligne Jean-Christophe Saint-Pau. Cela supposerait de repenser entièrement tout le cursus. Par exemple, pour la matière fondamentale qu’est le droit civil, nous ne savons pas encore proposer une formation sur le modèle 3+2. »
Et les facultés de droit tiennent aussi à ce modèle « 4+1 », comme le souligne Jean-Michel Jude, responsable d’un master 2 en droit international des affaires à l’université du Havre : « Le M1 reste encore une année très généraliste, où l’on doit enseigner les fondamentaux, et où la professionnalisation n’a encore pas lieu d’être. Pour avoir des esprits bien formés en droit, il faut au minimum quatre ans. Nous participons ensuite à la professionnalisation dans le cadre du M2, puis ce sont d’autres écoles, comme l’école d’avocat ou de la magistrature, qui se chargent de la formation professionnelle. »

Cette configuration correspond en effet à l’organisation des différents concours ou examens professionnels auxquels peuvent accéder les étudiants en droit. « La plupart des professions sont ouvertes à bac+4, comme la profession de magistrat, d’avocat, ou de nombreux concours administratifs, explique Jean-Christophe Saint-Pau. Il ne nous paraissait pas cohérent de filtrer les étudiants à bac+3, et de finalement les empêcher d’accéder à ces concours. Il faudrait donc au préalable que toutes les voies d’accès aux différentes professions judiciaires soient revues. »

Un droit à la poursuite des études difficile à adapter.

Alexandre Arlin

Le droit à la poursuite des études mis en place par la loi pose d’autres difficultés, notamment concernant la gestion des demandes, plus ou moins importantes selon la taille et la renommée des universités. Si tous les acteurs sont d’accord pour admettre qu’au niveau national, l’ensemble des formations peut absorber les effectifs étudiants, comment gérer les réaffectations tout en prenant en compte les spécificités des parcours et des mentions ?
« Selon la loi, à partir du moment où vous avez fait une sélection en troisième année, l’étudiant peut poursuivre ses études en master 2, confirme Jean-Christophe Saint-Pau. Mais nous n’avons aucune visibilité sur la façon d’orienter et sélectionner les étudiants. Lorsqu’une mention comporte plusieurs parcours, il faudrait pouvoir indiquer qu’un parcours est complet, et que les étudiants se réorientent au sein de la même mention. Je ne suis donc pas sûr que ce droit soit complètement satisfaisant, parce que les étudiants n’auront pas forcément pour le parcours qu’ils souhaitaient initialement. »

« C’est pour cette raison que nous demandons qu’il y ait une meilleure communication de la part des universités sur les formations qui sont dispensées, afin que les étudiants puissent trouver la bonne articulation entre les M1 et les M2, souligne Alexandre Arlin. Nous aimerions un peu plus d’uniformité et de lisibilité dans l’information. C’est en train de se faire, mais le droit est très en retard par rapport aux autres formations. »

Que la mission soit confiée au rectorat pose également question. « Le fait que cela passe par le recteur, et que des facultés récupèrent dans des masters où il y a encore une capacité d’accueil les moins bons étudiants, pourrait mettre en péril la valeur de certains diplômes, soutient Jean-Michel Jude. Il y aurait soit des formations à deux vitesses, soit des universités à deux vitesses, ce qui serait problématique. » D’autant plus que pour le responsable de master, ce droit est déjà une réalité, « car nous avons un grand nombre de M2. Les étudiants arrivent à trouver un M2, et s’ils n’en trouvent pas, ils peuvent s’inscrire en IEJ pour continuer à être formés et faire des stages. »

Régime « dérogatoire » ou « transitoire » ?

Jean-Michel Jude

Tout repose maintenant sur la sortie du fameux décret, actuellement en cours de rédaction. « Nous ne connaissons ni sa date de sortie, ni son contenu, à savoir si la dérogation vaut pour tout le droit ou seulement certaines mentions, s’il va falloir classer des masters qui peuvent être sélectifs et d’autres qui ne peuvent pas l’être, confirme Jean-Michel Jude. Les universités nous demandent de donner nos capacités d’accueil en M1, ce qui n’a pas lieu d’être si la sélection se fait en M2. Nous ne pouvons pas donner n’importe quel chiffre, car cela signifierait que nous les acceptons obligatoirement en M2. »
Mais la principale inquiétude repose sur sa durée d’application, car on parle aujourd’hui d’une disposition transitoire. Ce qui suppose que les formations juridiques devront prendre toutes les mesures nécessaires pour finalement s’adapter à la réforme. « Pour moi, la principale difficulté est qu’il faudrait gérer deux types de public : ceux qui seraient sélectionnés de la L3 vers le M1 et qui bénéficieraient ensuite du droit de poursuivre, et ceux qui seraient déjà en M1 et qui seraient soumis à une sélection pour le M2, affirme Jean-Christophe Saint-Pau. Et travailler avec les professions pour savoir à quel niveau ils ouvrent leur concours. »

La réforme aura obligatoirement un impact plus large, puisque la problématique de l’accès aux concours demeure. Il faudra alors modifier leurs conditions d’accès et les soumettre à l’obtention d’un master 2. Mais n’est-ce pas déjà une réalité ? Pour le CRFPA par exemple, « 87% des étudiants qui obtiennent l’examen du barreau sont titulaires d’un master 2 » souligne Alexandre Arlin. Un état de fait qui concerne également l’accès à la magistrature, admet Jean-Christophe Saint-Pau : « Le profil de l’étudiant qui réussit le concours est plutôt un étudiant détenant un master 2, le plus souvent en droit civil ou en droit pénal, qui a fait une année de préparation dans un IEJ et qui a suivi une préparation privée. Après, certains étudiants qui ont uniquement un master 1 le réussissent. »
La crainte, pour le doyen de Bordeaux, est de bousculer « un certain équilibre » : « Nous avons la spécificité d’être très ancrés dans les milieux professionnels : notaire, huissier, magistrat, avocat, juriste d’entreprise, juriste en collectivité territoriale, … Cela fonctionnait bien jusqu’à maintenant et nous avons un bon rapport avec les professions. »

Beaucoup d’interrogations restent donc en suspens, et le contexte de l’élection présidentielle cristallise ces incertitudes. Que décidera le nouveau gouvernement des suites de ce régime d’exception ?

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