Extrait de : Droit européen et international

Textes de loi et mise en oeuvre de la responsabilité médicale en Côte d’Ivoire.

Par Sanogo Yanourga, Docteur en droit.

4602 lectures 1re Parution: 5  /5

Explorer : # responsabilité médicale # droit médical # système de santé # textes juridiques

Seuls des textes de loi efficaces peuvent garantir le bon fonctionnement d’un système de santé. C’est uniquement sur cette base que la responsabilité de chacun pourra être établie en matière de pratique médicale.

-

En Côte d’Ivoire comme dans la plupart des pays africains, le mauvais fonctionnement du système de santé est essentiellement dû à l’absence des textes juridiques. Rares sont les pays qui possèdent un véritable Code de la santé publique qui organise le fonctionnement des hôpitaux de manière précise et pose les bases sur lesquelles doit s’appuyer la pratique médicale.

La Côte d’Ivoire dispose d’un ensemble de textes, très souvent des décrets pris pour permettre de faire fonctionner correctement les établissements sanitaires, organiser les professions médicales et l’enseignement médical. Des lois sur la protection de la santé publique (loi n°61-320 du 17 octobre 1961) et sur le régime du médicament (loi n°65-250 du 4 août 1965) ont été votées par le parlement ivoirien il y a bien longtemps et nous pouvons constater qu’il s’agissait plutôt de lois héritées de la colonisation qu’il fallait dès l’indépendance transposer dans le contexte national. Mais depuis leur mutation en lois ivoiriennes, ces textes n’ont connu aucun autre toilettage, cela fait maintenant plus de cinquante ans.

Le même problème se pose avec le Code de déontologie médicale issu d’une loi n° 62-248 du 31 juillet 1962. Cette loi reprend mot pour mot le texte français instituant un Code de déontologie médicale. Mais en cinquante ans, le code français a connu plusieurs réformes (1995, 1997, 2012) alors que le nôtre est resté tel, comme si aucun changement majeur n’était apparu dans le monde médical pendant toutes ces années. A ce sujet, nous pensons que c’est aux membres du corps médical de prendre les initiatives afin de faire évoluer la profession et non au législateur qui très souvent ne sait absolument rien du fonctionnement de la pratique médicale. Ce sont les professionnels de la santé qui pourront par le biais des différents ordres orienter, aider et permettre aux parlementaires de faire naitre des textes nécessaires et adaptés à nos États.

D’autres textes plus récents ont vu le jour, une loi de 1993 sur les substances thérapeutiques d’origine humaine, un arrêté de 1995 sur la lutte contre le sida et enfin un décret de 1998 portant réglementation de la publicité des médicaments et des établissements pharmaceutiques. Nous voyons bien qu’aucun de ces textes n’est en rapport direct avec la pratique médicale et la responsabilité des acteurs du système de santé, substance même du droit médical.

Le droit médical doit venir mettre de l’ordre dans le fonctionnement de nos institutions sanitaires. Il y va de l’intérêt des patients. Nous ne pouvons plus accepter que des femmes enceintes décèdent à l’accouchement comme c’est bien souvent le cas en Afrique, que des actes médicaux soient dispensés contrairement à la procédure ou encore que des patients ressortent beaucoup plus malades de l’hôpital (infection nosocomiale dont les textes ivoiriens par exemple ne traitent nulle part), sans que les responsabilités ne soient situées. Il est temps de mettre un coup d’arrêt à la maltraitance, aux injures et aux agressions à l’encontre des malades dans nos hôpitaux. Le corps médical est souvent mis au banc des accusés pour racket, vol de médicaments ou plus grave encore : faux diagnostic. Dans certains cas, ce sont des femmes enceintes qui meurent tout simplement parce qu’elles n’ont pas pu s’acquitter des sommes exigées par des médecins indélicats qui demandent de l’argent avant toute intervention. C’est un véritable système de corruption et d’affaires qui a pris son essor dans nos hôpitaux publics, souvent sous l’œil bienveillant des premiers responsables de ces structures Où se trouve le sens du devoir ? Que fait-on du serment d’Hippocrate ? Le travail des médecins consiste-t-il à sauver des vies ou à établir des listes de morts par jour ? Tous ces faits sont de véritables cas de violation des droits des patients par des professionnels de la santé qui n’ont assurément aucune notion du droit médical.

Les discours et les menaces des responsables politiques et administratifs n’ont aucun effet sur ces pratiques qui ont la peau dure tout simplement parce les sanctions ne sont pas appliquées. Mais comment sanctionner des actes qui ne sont pas officiellement reconnus par des textes de lois vigoureux ?

Nos textes de lois développent longuement les thèmes portant sur le fonctionnement et l’organisation des services. C’est bien, mais l’essentiel ne se situe pas à ce niveau. Il faut mettre l’accent sur le respect de la vie du patient, le respect de la vie privé du patient, le respect de sa personne et de son intimité, le respect du secret médical, le droit à l’information du patient, la qualités des soins et des actes, l’équité et la justice dans fourniture des soins, rejeter toutes les formes de discrimination, demander aux médecins de faire face à leur premier devoir, celui d’accepter de soigner les patients qui viennent à eux et enfin situer les responsabilités en cas de faute. Ce sont autant de droits, autant de sujets sur lesquels le législateur ivoirien doit se pencher sans plus attendre.

En effet, combien de fois avons-nous entendu en Afrique ou en Côte d’Ivoire qu’un problème de faute ou d’erreur médicale a été porté devant les juridictions comme c’est souvent le cas dans les pays occidentaux ?
Pratiquement jamais. Cela est à mettre sous le compte de la méconnaissance par les usagers des services hospitaliers de leurs droits. Ces erreurs et ces fautes se produisent quotidiennement parce que les professionnels de santé ne connaissent eux-mêmes les devoirs auxquels ils sont soumis. Si le médecin ou l’infirmier ne sait pas ce qu’il doit faire ou ne pas faire face à un patient, comment voulez-vous qu’il agisse de façon professionnelle ? A côté de cela, nous pensons aussi que c’est le fait de savoir qu’il a en face de lui quelqu’un qui ignore totalement ses droits qui encourage le professionnel de santé à agir avec autant de négligence. Il ne craint rien parce qu’il sait que sa responsabilité ne sera jamais remise en cause par une personne qui n’a aucune notion de ses propres droits et qui n’attend que la guérison. Et pour atteindre ce but, elle est prête à se « soumettre à tout » parce que pour elle, le médecin représente l’ultime recours, il ne faut donc pas l’indisposer. Aujourd’hui, c’est à nous de faire comprendre aux uns et aux autres que la relation patient/soignant est une relation contractuelle qui oblige toutes les parties au contrat.

Dr SANOGO YANOURGA
Docteur en droit médical.
syanourga chez yahoo.fr

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

36 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 530 membres, 28156 articles, 127 290 messages sur les forums, 2 600 annonces d'emploi et stage... et 1 500 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• 1er Guide synthétique des solutions IA pour les avocats.

• [Dossier] Le mécanisme de la concurrence saine au sein des équipes.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs