Depuis l’émergence des cryptomonnaies et de la technologie blockchain, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a dû adapter son cadre juridique pour encadrer ce secteur en constante évolution. En effet, les cryptomonnaies, bien qu’ayant une nature décentralisée, soulèvent des problématiques juridiques complexes qui nécessitent une régulation spécifique. L’AMF, en tant qu’autorité administrative indépendante, a progressivement mis en place un arsenal juridique pour répondre aux défis posés par cette innovation technologique.
1. Le cadre législatif des cryptomonnaies en France.
1.1. Les cryptomonnaies : une nature juridique ambiguë.
Les cryptomonnaies ne bénéficient pas d’un statut juridique clair en tant que monnaie légale en France. En effet, en vertu de l’article L112-1 du Code Monétaire et Financier (CMF), seules les monnaies légales, telles que l’euro, sont considérées comme ayant cours légal. Cependant, les cryptomonnaies sont souvent qualifiées d’actifs numériques au sens du règlement (UE) n° 575/2013 relatif aux exigences de fonds propres des établissements de crédit et des entreprises d’investissement.
Elles sont des biens meubles incorporels, relevant du droit privé.
Ainsi, bien qu’elles n’aient pas de statut légal de monnaie, les cryptomonnaies peuvent être considérées comme des biens dans le cadre d’opérations économiques, soumis à la fiscalité, et leur échange peut être qualifié de transaction sur biens meubles.
1.2. La loi Pacte et les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN).
L’une des premières grandes étapes de la régulation des crypto-actifs en France fut l’introduction de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Loi Pacte, qui a instauré un dispositif de régulation pour les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN).
Cette loi a modifié le Code Monétaire et Financier en y introduisant les articles L. 54-10-1 et suivants, spécifiquement dédiés aux prestataires de services sur actifs numériques.
1.2.1. Les PSAN : définitions et rôle.
Les PSAN sont définis par l’article L54-10-2 du CMF comme des personnes ou entités qui fournissent certains services relatifs aux actifs numériques, à savoir :
- L’achat ou la vente de crypto-actifs en monnaie fiduciaire ou en d’autres crypto-actifs ;
- La gestion de portefeuilles de crypto-actifs ;
- Les services de garde (custody services) des crypto-actifs ;
- Les services de négociation d’actifs numériques en plateforme ;
- Les conseils en investissements relatifs aux actifs numériques.
Les prestataires de services sur actifs numériques sont tenus de respecter les exigences de l’AMF en matière de lutte contre le blanchiment d’argent (LCB) et de financement du terrorisme (CFT), conformément à l’article L561-2 du Code Monétaire et Financier.
1.2.2. Les obligations des PSAN.
Les PSAN doivent soit s’enregistrer auprès de l’AMF, soit obtenir un agrément selon leur activité. Les PSAN enregistrés sont tenus de respecter une série d’obligations, notamment :
- Conformité LCB/CFT : mise en place de mesures spécifiques pour prévenir le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, y compris la vérification de l’identité des clients et la déclaration des transactions suspectes.
- Communication transparente : obligation de communiquer des informations claires sur leurs services, ainsi que les risques associés aux investissements en crypto-actifs.
- Protection des investisseurs : obligation d’informer et de protéger les investisseurs contre les risques d’investissement dans les crypto-actifs, notamment en matière de volatilité des prix.
2. Les Initial Coin Offerings (ICO) et le visa de l’AMF.
L’ICO (Initial Coin Offering) est un mécanisme par lequel des projets émettent des tokens ou cryptomonnaies pour lever des fonds.
Ces ICOs peuvent constituer un défi en matière de régulation en raison de leur nature décentralisée et de leur accès facilité à des investisseurs souvent peu informés.
2.1. Le visa de l’AMF : un dispositif volontaire.
Depuis la loi Pacte, les émetteurs d’ICO peuvent demander un visa auprès de l’AMF, qui examine la conformité des informations fournies aux investisseurs.
Le visa est un mécanisme volontaire : si l’émetteur obtient ce visa, il bénéficie d’une garantie de transparence auprès des investisseurs. Cela permet à l’AMF d’effectuer une analyse préalable de l’offre, en s’assurant que les documents d’information (le white paper) sont conformes aux exigences légales en matière d’information financière.
L’article L552-3 du CMF dispose que l’AMF peut délivrer un visa, mais ce visa n’offre aucune garantie sur la qualité ou la rentabilité du projet.
En ce sens, il s’agit uniquement d’une validation formelle de la transparence des informations.
2.2. La lutte contre la fraude.
L’AMF a une mission de prévention contre les risques de fraude et d’escroquerie liés aux ICO. Ces dernières peuvent parfois être utilisées pour des arnaques telles que le pump-and-dump ou la manipulation de marché.
À cet égard, l’AMF a la possibilité d’interdire certaines ICO qui ne respectent pas les normes de transparence ou qui présentent un risque manifeste pour les investisseurs.
3. La réglementation des tokens de sécurité et produits dérivés sur crypto-actifs.
Certains tokens émis par des projets blockchain peuvent être qualifiés de tokens de sécurité, c’est-à-dire qu’ils répondent aux critères définis par la Directive européenne MIFID II (Marchés d’Instruments Financiers).
Ces tokens sont considérés comme des titres financiers et doivent être régis par la même réglementation que les autres instruments financiers, comme les actions, obligations, ou dérivés financiers.
3.1. Les tokens de sécurité et MIFID II.
Les tokens de sécurité sont soumis aux règles de la Directive MIFID II, qui impose des obligations de transparence, de respect des exigences de capital et de protection des investisseurs. Concrètement, cela signifie que les émetteurs de tokens de sécurité doivent :
- Fournir des informations détaillées sur le projet et les risques associés à l’investissement.
- Se conformer aux règles relatives à la négociation sur les marchés réglementés.
- Respecter les exigences en matière de prospectus lorsque l’offre est destinée au grand public.
3.2. Les produits dérivés liés aux crypto-actifs.
Les produits dérivés sur crypto-actifs (par exemple, les contrats à terme, les options, les CFD) sont également régulés par l’AMF.
Ces instruments financiers doivent respecter la réglementation des contrats financiers prévue par le Code Monétaire et Financier et la Directive européenne MIFID II.
Les intermédiaires financiers qui proposent ces produits doivent être agréés et soumis à des exigences strictes en matière de protection des investisseurs, notamment en termes d’information sur les risques associés à l’achat de ces produits.
4. La régulation européenne : MiCA et son impact sur l’AMF.
L’AMF, tout en agissant dans le cadre de la législation nationale, est également influencée par la réglementation européenne en matière de crypto-actifs.
La proposition de règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets), adoptée par le Parlement européen en 2022, vise à harmoniser les règles européennes sur les crypto-actifs. MiCA impose des obligations strictes pour les émetteurs de crypto-actifs, les fournisseurs de services et les plateformes de trading, avec pour objectif d’assurer une régulation uniforme au sein de l’Union européenne.
MiCA, qui est entré en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2025 introduira des règles de gouvernance, des obligations d’information précontractuelle, et des exigences de licence pour les prestataires de services crypto opérant au sein de l’UE.
Parmi les principaux points abordés par MiCA, on retrouve :
- Licences obligatoires pour les fournisseurs de services de crypto-actifs (PSAN), incluant l’exchange, la garde, le conseil en investissement, etc.
- Transparence accrue concernant les informations financières et les risques associés aux actifs numériques, incluant des obligations de publication d’un prospectus dans certaines situations.
- Régulation des stablecoins : MiCA prévoit des règles strictes pour les stablecoins, afin de limiter les risques systémiques qu’ils pourraient poser sur le marché financier européen.
- Lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB/CFT) : la réglementation met l’accent sur la conformité des prestataires avec les normes européennes relatives à la LCB/CFT.
L’AMF, en tant qu’autorité nationale compétente, aura pour rôle de mettre en œuvre et de superviser cette nouvelle régulation sur le territoire français.
Les acteurs du marché des cryptomonnaies devront ainsi s’adapter aux nouvelles exigences, telles que l’obtention de licences européennes et le respect des obligations de transparence imposées par MiCA.
Cette législation devrait renforcer la sécurité et la confiance des investisseurs, tout en créant un cadre juridique plus stable pour les acteurs du secteur.