Dans le cadre de l’évaluation d’un patrimoine assujetti à l’ancien impôt sur la fortune, et notamment de l’immeuble constituant la résidence principale du contribuable, il était appliqué un abattement de 30 % (20% antérieurement à 2008) à sa valeur vénale réelle [1].
Cet abattement avait pour but de prendre en compte, dans la valeur de l’immeuble, le fait qu’il soit occupé par son propriétaire à titre de résidence principale.
Toutefois, seul le propriétaire direct de sa résidence principale était concerné par cet abattement ; l’interprétation réservée au texte excluant le propriétaire indirect (par l’intermédiaire d’une Société Civile notamment) de l’immeuble.
L’administration fiscale précisait expressément, aux termes de sa doctrine, que « (...) sont exclus de ce dispositif les titres de sociétés civiles de gestion ou d’investissement immobilier, alors même que l’immeuble détenu par le redevable constituerait sa résidence principale ».
Par suite, la question se posait de savoir si la différence de traitement entre :
Le propriétaire, qui appliquait un abattement de 30 % dans la valorisation de sa résidence principale, d’une part,
Et, d’autre part, l’associé de la SCI qui détient l’immeuble dans lequel il a établi sa résidence principale (dans ce cas, la valorisation de la SCI dépend forcément de la valeur de l’immeuble concerné sur laquelle l’application de l’abattement était exclue), ne portait pas atteinte au principe à valeur constitutionnelle d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.
Cette différence de traitement était d’autant plus gênante lorsque la Société civile détenait un seul bien, correspondant à la résidence principale de son associé unique. Dans une telle hypothèse, ledit associé déclarait à l’impôt sur la fortune la valeur de la société civile qui correspondait bien souvent à la seule valeur du bien immobilier.
Le Conseil Constitutionnel a été saisi le 17 octobre 2019 de la question après renvoi par la Cour de cassation qui l’avait jugée sérieuse.
Le Conseil constitutionnel décidait, en date du 17 janvier 2020, que cette non-application de l’abattement dans le cadre de la détention via une Société civile n’était pas contraire aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.
Il relève en effet qu’il existe une différence de situation. L’associé ne dispose pas des droits attachés à la qualité de propriétaire des immeubles appartenant à la Société.
C’est l’occasion pour le Conseil constitutionnel de rappeler que le législateur peut le principe d’égalité devant l’impôt ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes.
Egalement, les Sages retiennent que la valeur des parts de la Société civile ne se confond pas nécessairement avec la valeur des biens immobiliers inscrits à son actif.
Elle peut faire l’objet de règles d’évaluation spécifiques. Par exemple, l’évaluation de la valeur des parts sociales se réalise par référence à l’actif net réévalué (sous déduction du passif social) ; affecté de différentes décotes ou différents abattements spécifiques à la structure sociétaire s’appliquent (décote pour illiquidité, décote pour indivision…).
Le Conseil constitutionnel ajoute que la loi peut déroger à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, « pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différente de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».
Après analyse, la « différence de traitement » institué par le législateur aux termes de l’article 885 S du Code général des impôts est, selon le Conseil constitutionnel, justifiée par des situations différentes, et est en lien direct « avec l’objet de la loi » qui vise à tenir compte des conséquences de son occupation par son propriétaire à titre de résidence principale.
Le Conseil constitutionnel estime donc que cette disposition est conforme à la Constitution.
Quid de l’impôt sur la fortune immobilière ?
Bien que cette décision concerne l’ancien impôt sur la fortune, elle n’est toutefois pas sans intérêt pour l’avenir.
En effet, l’article 973, I. alinéa 2 du code général des impôts prévoit un abattement identique sur la résidence principale des recevables de l’Impôt sur la fortune immobilière.
Or, à la lecture de cet article, force est d’admettre que la disposition est reprise telle qu’elle existait sous l’empire de l’impôt sur la fortune :
Le nouvel article 973 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« I. –[…]
Par dérogation au deuxième alinéa de l’article 761, un abattement de 30 % est effectué sur la valeur vénale réelle de l’immeuble lorsque celui-ci est occupé à titre de résidence principale par son propriétaire. En cas d’imposition commune, un seul immeuble est susceptible de bénéficier de l’abattement précité. »
L’ancien article 885 S du code général impôts est repris ci-après :
« Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 761, un abattement de 30 % est effectué sur la valeur vénale réelle de l’immeuble lorsque celui-ci est occupé à titre de résidence principale par son propriétaire. En cas d’imposition commune, un seul immeuble est susceptible de bénéficier de l’abattement précité. »
Dans ce contexte, il est fort probable que la décision du Conseil constitutionnel soit transposable aux nouvelles dispositions applicables depuis 2018.
Discussion en cours :
C’est l’occasion pour le Conseil constitutionnel de rappeler que le législateur PEUT le principe d’égalité devant l’impôt ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes