Cet article s’inscrit dans le prolongement d’un précédent article déjà consacré à ce sujet et dans lequel était relaté une précédente condamnation de Jeff Koons pour contrefaçon [1].
Le 23 février dernier [2], la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 8 novembre 2018 [3] qui le condamnait pour avoir plagié le visuel d’une publicité réalisée pour la marque de prêt-à-porter Naf-Naf avec sa sculpture représentant une femme et un cochon, œuvre exposée par le Centre Georges Pompidou.
Pour rappel, il s’agissait dans cette affaire d’un directeur artistique, Franck Davidovici, auteur d’un visuel publicitaire imaginé pour la campagne automne-hiver 1985 de la marque française. Dans ce visuel, était mise en scène une jeune femme brune aux cheveux courts, allongée dans la neige, visiblement victime d’une avalanche et ainsi secourue par un petit cochon portant un tonneau de Saint-Bernard autour du cou, intitulé « Fait d’hiver ».
Lors d’une exposition rétrospective de l’œuvre de Jeff Koons présentée par le Centre Georges Pompidou en 2014, l’auteur de la photographie avait découvert une sculpture intitulée « Fait d’hiver » présentée comme ayant été réalisée par ce dernier en 1988 et dévoilant, selon lui, des similitudes avec son visuel publicitaire. Il avait alors assigné l’artiste pour contrefaçon en 2015.
A la demande du prêteur, l’œuvre avait été retirée de l’exposition et le Directeur de l’institution culturelle à cette époque, Alain Seban, avait déclaré dans un communiqué qu’« une large part de la création moderne et contemporaine repose sur le concept de citation, voire d’appropriation. Il est essentiel que les musées puissent continuer à rendre compte de ces démarches artistiques ». Ce à quoi l’avocat du photographe avait apporté une réponse cinglante par le biais d’une lettre ouverte lui rétorquant que « l’appropriation, au sens où vous l’entendez, n’est rien d’autre, juridiquement, qu’un acte de contrefaçon. Elle porte, en cela, atteinte aux droits fondamentaux de l’auteur de l’œuvre première, de même qu’un vol, par exemple, porte atteinte aux droits fondamentaux du propriétaire du bien volé ».
Si l’artiste américain, fervent défenseur du mouvement « appropriationniste », invoquait surtout l’exception de courte citation et sa liberté d’expression artistique, les juges n’avaient pas été sensibles à ces arguments, constatant d’une part l’absence de notoriété du photographe qui ne permet pas raisonnablement au public de distinguer l’œuvre parodiée de la parodie. Et d’autre part, estimant qu’
« en reproduisant “substantiellement” ce visuel, Jeff Koons ne peut prétendre avoir voulu susciter “un débat touchant à l’intérêt général”, ou même un débat concernant l’art, qui justifierait l’appropriation qu’il a faite d’une œuvre protégée.
Au contraire, tout laisse à croire en l’occurrence que la reprise de la photographie repose sur des considérations personnelles et propres à Jeff Koons, lui ayant permis de se servir de la composition de la photographie, qui, ainsi que le relève à juste titre le demandeur, comportait déjà un caractère surprenant et fantaisiste, et ce, en faisant l’économie d’un travail créatif, ce qui ne pouvait se faire sans l’autorisation de l’auteur de l’œuvre “première” ».
Ils avaient alors condamné le plasticien et le Centre Georges Pompidou à verser solidairement la somme de 135 000 euros à l’auteur de la photographie « Fait d’hiver » au titre des dommages et intérêts.
La Cour d’appel de Paris est allée dans le sens des premiers juges, considérant d’abord que l’exception de parodie ne pouvait être invoquée par l’artiste. Et pour cause, l’exception de parodie a pour caractéristiques essentielles, d’une part, d’évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci et, d’autre part, de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie, comme l’a énoncé la Cour de Justice de l’Union Européenne dans une décision du 3 septembre 2014 [4].
Or, en l’espèce pour la Cour
« l’appelant ne démontre pas, en l’absence de toute référence ou de tout commentaire de sa part ou de celle de son studio ou des galeries ou musées ayant exposé sa sculpture, son intention, au moment de la création de cette œuvre ou postérieurement, notamment lors des faits incriminés, d’évoquer la photographie ’Fait d’hiver’ préexistante ».
La juridiction ajoute que
« la photographie ’Fait d’hiver’, réalisée pour la campagne publicitaire automne-hiver 1985 de la société Naf-Naf, était incontestablement oubliée ou inconnue du public lors de l’exposition au Centre Pompidou à la fin de l’année 2014, de sorte que le public n’a pu, à la vue de la sculpture exposée dans le musée ou reproduite dans des ouvrages ou sur le site internet www.jeffkoons.com, se référer à la photographie diffusée près de 30 ans plus tôt pour les besoins d’une campagne publicitaire de quelques mois d’une marque de prêt à porter. M. A n’ayant produit aucun élément antérieur à la présente instance de nature à laisser penser que son œuvre se rattache sous une forme parodique à la photographie litigieuse, comme le souligne M. B, le public n’a pu relever l’évocation de la photographie préexistante dans la sculpture litigieuse et percevoir la dimension parodique de celle-ci ».
Par conséquent, les trois conditions cumulatives nécessaires pour invoquer l’exception de parodie n’étaient pas remplies.
De plus, concernant la liberté artistique, la cour d’appel de Paris estime qu’en dépit des différences apportées par Jeff Koons, notamment le rajout dans la sculpture d’un collier de fleurs porté par le cochon ou encore de lunettes sur le front de la jeune femme,
« la sculpture reprend substantiellement les éléments originaux de la photographie originelle ’Fait d’hiver’, notamment sa composition, sans y faire aucune référence, alors que, comme l’a pertinemment retenu le tribunal, cette photographie n’est pas familière du public qui ne pourra donc l’identifier et appréhender la création de Ab A par référence à elle et partant, percevoir le caractère transformatif revendiqué de la démarche créatrice de l’artiste ».
Les juges font également remarquer qu’au regard de la « toute première place » occupée par Jeff Koons au sein du marché de l’art, aucune circonstance ne justifie qu’il se soit abstenu de rechercher qui était l’auteur de la photographie dont il entendait s’inspirer, afin d’obtenir son autorisation, le cas échéant, en acquérant les droits d’exploitation. L’atteinte portée à la liberté d’expression créatrice de l’artiste était donc proportionnée et nécessaire au but poursuivi, à savoir celui de protéger la photographie ’Fait d’hiver’ au titre du droit d’auteur.
Jeff Koons, la société dont il est le gérant et le Centre Georges Pompidou ont ainsi été condamnés à des peines plus lourdes en cause d’appel, devant verser solidairement 190 000 euros de dommages et intérêts au directeur artistique, contre 135 000 en première instance. La société a également été condamnée à payer 14 000 euros pour avoir reproduit la sculpture sur le site internet de l’artiste, contre 11 000 euros en 2018.
En outre, la Cour a interdit à l’artiste d’exposer la sculpture litigieuse et de la reproduire, notamment sur Internet, sous astreinte de 600 euros par jour, à compter d’un mois après la décision.
Reste à savoir si cette condamnation sera la dernière de ce feuilleton judiciaire ou si l’artiste va se pourvoir en cassation.