Le tableau, décrit comme « une huile sur toile ‘Visage alangui’ XIXe siècle 46x56 cm. Provenance du tableau : Héritiers de [B] [X] », est d’abord estimé à 200-300 euros. Contre toute attente, il atteint un prix marteau de 50 000 euros et est revendu deux fois en 12 jours, atteignant 130 000 euros. Estimant que cette série de transactions révélait une erreur sur les qualités essentielles de l’œuvre, la venderesse engage une action contre le commissaire-priseur, demandant l’annulation de la vente et la responsabilité contractuelle de ce dernier.
Rejetée en première instance et en appel pour défaut de précaution suffisante de sa part, notamment en raison de l’absence d’expertise préalable malgré les archives familiales, la venderesse forme un pourvoi en cassation.
L’affaire soulève deux problématiques essentielles : d’une part, la qualification du caractère excusable de l’erreur du vendeur sur les qualités essentielles de l’œuvre (I) et, d’autre part, l’étendue des obligations de diligence et d’information incombant au commissaire-priseur (II).
I. Sur le caractère excusable de l’erreur du vendeur de l’œuvre.
La question de l’erreur sur une qualité essentielle, notamment la paternité d’une œuvre d’art, revêt une importance cruciale dans le monde de l’art, en ce qu’elle constitue un vice du consentement pouvant entraîner la nullité de la vente, conformément aux articles 1130 et suivants du Code civil. Dans le cadre de cette affaire où la venderesse a contesté la validité de la vente du tableau en invoquant une erreur sur ses qualités essentielles, la Cour de cassation a été amenée à préciser les contours de la notion d’erreur excusable.
Tout d’abord, l’adjudication ayant été conclue avant le 1ᵉʳ octobre 2016, la cour n’a pas appliqué l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ayant réformé le droit des contrats. Elle s’est donc référée aux anciens articles 1109 et 1110 du Code civil. La cour rappelle que « l’erreur du vendeur sur les qualités substantielles de la chose vendue n’est une cause de nullité du contrat que dans la mesure où elle est excusable ».
Historiquement, la jurisprudence s’est montrée plutôt sévère envers les vendeurs qui invoquaient une erreur. Ainsi, dans un arrêt du 7 octobre 2003, la Cour d’appel de Paris avait jugé qu’un vendeur renonçant à faire expertiser un tableau, alors même qu’un commissaire-priseur avait attiré son attention sur l’intérêt potentiel de l’œuvre, acceptait de facto le risque de commettre une erreur inexcusable [1]. Il en ressort que lorsqu’un vendeur est averti de l’importance possible d’une œuvre, il lui incombe de diligenter des expertises complémentaires.
Cependant, l’appréciation du caractère excusable de l’erreur doit se faire par une analyse in concreto, « en fonction des circonstances de la conclusion du contrat, de l’âge, de la compétence et de la profession de la victime ».
Dans le cas présent, la Cour de cassation a relevé que la venderesse avait transmis les archives familiales à la société de ventes aux enchères, archives susceptibles d’apporter des indices sur la paternité du tableau. En conséquence, le professionnel à qui était confié l’objet aurait dû procéder aux recherches nécessaires pour éviter toute erreur. La cour considère que l’erreur est donc excusable « si le vendeur a transmis tous les éléments en sa possession au professionnel chargé de la vente en s’en remettant à son avis et que celui-ci n’a pas procédé aux recherches qui auraient permis d’éviter cette erreur ».
La cour a reproché à la juridiction d’appel d’avoir retenu l’inexcusabilité de l’erreur en se fondant uniquement sur l’absence d’expertise préalable par la venderesse, sans considérer qu’elle s’était remise à l’avis du commissaire-priseur, qui avait eu accès à des informations permettant de déterminer la paternité du tableau. La cour note ainsi que « l’arrêt d’appel retient que cette erreur est inexcusable en l’absence, par elle et de son fils, d’un examen préalable des archives familiales, alors qu’ils avaient connaissance que le peintre [X], dont le frère avait défendu le peintre [L] et son œuvre Le Radeau de la Méduse, était membre de leur famille ainsi que l’était également l’éditeur [W] [E], qui faisait partie du monde des arts au XIXe siècle ».
La décision de la Cour de cassation s’articule autour de l’appréciation in concreto et donc en l’occurrence autour de la transmission des archives familiales à la société de ventes. L’erreur du vendeur est excusable s’il a transmis au professionnel tous les éléments en sa possession et que celui-ci n’a pas procédé aux recherches nécessaires pour éclairer la vente.
Cette solution offre incontestablement une garantie aux vendeurs qui sollicitent l’avis d’un spécialiste, à condition qu’ils communiquent l’ensemble des documents disponibles relatifs à l’œuvre et conservent la preuve de cette transmission. En l’absence d’une telle démarche, une erreur pourrait être considérée comme inexcusable.
II. Sur la responsabilité contractuelle de la société du commissaire-priseur.
La responsabilité contractuelle des commissaires-priseurs, repose sur des obligations de diligence et de transparence, comme le prévoient l’article L321-17 du Code de commerce et les articles 1.2.2 et 1.5.4 de l’arrêté du 21 février 2012 portant approbation du recueil déontologique des opérateurs de vente. La Cour de cassation précise dans cet arrêt l’étendue de ces obligations et leurs conséquences juridiques en cas de manquement.
En l’espèce, la cour d’appel avait rejeté la responsabilité de la société de ventes en précisant que le commissaire-priseur n’avait jamais été explicitement interrogé par la venderesse sur le tableau concerné et que cette dernière n’avait pas demandé d’expertise malgré les éléments contenus dans les archives familiales.
Toutefois, la Cour de cassation a censuré cette analyse en mettant en avant que le commissaire-priseur est « soumis à un devoir de transparence et de diligence à l’égard du vendeur tout au long du processus de vente et il lui apporte tous les éléments d’information dont il dispose pour éclairer sa décision quant aux conditions de mise en vente de l’objet concerné ». De plus, il lui incombe d’effectuer « les recherches appropriées pour identifier le bien qui lui est confié en vue de la vente et déterminer, en l’état actuel des connaissances, la qualité de celui-ci notamment en considération de sa nature, de son origine géographique et de son époque et le cas échéant, il recourt à l’assistance d’un expert ».
En l’espèce, la société de ventes avait connaissance de l’origine familiale du tableau et des liens entre la famille de la venderesse et Géricault, des éléments qui avaient été intégré à la description publique de l’œuvre, avant la vente, par le commissaire-priseur. Ces informations auraient dû amener le commissaire-priseur à diligenter une expertise approfondie pour évaluer correctement l’authenticité du tableau et pour écarter tout doute sur l’identification de l’œuvre avant sa mise aux enchères. En ne procédant pas à ces investigations, le commissaire-priseur a manqué à son devoir de diligence, engageant ainsi sa responsabilité contractuelle et a contribué à une erreur du vendeur qui aurait pu être évitée.
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence cohérente qui tend à protéger les vendeurs et les acheteurs en exigeant des professionnels une attention minutieuse aux éléments attestant ou pas de l’authenticité d’une œuvre.
Par ailleurs, cette obligation de diligence s’étend à l’ensemble des opérations liées à l’authentification des œuvres d’art. La jurisprudence est également stricte sur ce point : un commissaire-priseur qui affirme l’authenticité d’une œuvre sans émettre de réserves engage sa responsabilité envers les victimes de l’erreur [2]. De même, le recours à un expert indépendant ne permet pas au commissaire-priseur de s’exonérer de sa responsabilité, comme l’a affirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 21 octobre 2020 [(Cass. civ. 1, 21/10/2020, n° 19-10.536.]].
Ainsi, pour éviter toute mise en cause de sa responsabilité, le commissaire-priseur doit accorder une attention particulière aux documents transmis par les vendeurs et, si nécessaire, avoir recours à des experts. En outre, il lui incombe de s’assurer du sérieux de ses affirmations concernant l’authenticité des œuvres, même lorsqu’il s’appuie sur l’avis d’un tiers. Cette exigence de rigueur vise à garantir la sécurité des transactions et à éviter que des erreurs ne viennent entacher la confiance des parties dans le processus de vente.
Par cet arrêt, la haute juridiction renforce la protection des vendeurs à l’égard des commissaires-priseurs et souligne l’importance de l’expertise et des diligences des professionnels du marché de l’art doivent accomplir, en particulier en amont des ventes aux enchères. Cette affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée. Affaire à suivre donc.