I. Action en contrefaçon et régime de droit commun.
1.1. La contrefaçon en droit d’auteur.
L’action en contrefaçon constitue l’outil juridique principal dont disposent les titulaires de droits d’auteur pour faire cesser une atteinte à leurs prérogatives exclusives.
L’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».
Autrement dit, toute utilisation non autorisée d’une œuvre protégée, qu’elle soit une reproduction, une adaptation ou une simple mise à disposition du public, peut caractériser une contrefaçon, dès lors qu’aucune exception légale (parodie, courte citation, etc.) ne s’applique. Il est aussi important de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, la contrefaçon est constituée dès lors que l’élément matériel est établi, sans qu’il soit nécessaire de démontrer une faute ou une intention de nuire (Civ. 1re, 29 mai 2001, 99-15.284). Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que la contrefaçon s’apprécie au regard des ressemblances entre les œuvres et non des différences.
1.2. L’application de la prescription quinquennale de droit commun.
Depuis la réforme de la prescription civile opérée par la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, les actions en réparation d’atteinte aux droits d’auteur relèvent du régime de droit commun de l’article 2224 du Code civil.
Celui-ci prévoit que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
Ce texte s’applique indifféremment aux droits patrimoniaux et aux atteintes au droit moral, bien que ce dernier soit par nature imprescriptible. Ce n’est pas le droit en lui-même qui s’éteint par prescription, mais bien la possibilité d’agir en justice pour le faire valoir. Ainsi, dans un arrêt du 3 juillet 2013 (Civ. 1re, n° 10-27.043), la Cour de cassation a rappelé que, si les droits des artistes-interprètes sont ouverts pendant cinquante ans, les actions en paiement des créances issues de leur violation restent soumises à la prescription quinquennale.
Cette position a été confirmée dans un arrêt du 6 avril 2022 (Civ. 1re, n° 20-19.034), dans lequel la haute juridiction énonce clairement que « l’action en réparation des atteintes portées aux droits de l’auteur se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire de ceux-ci a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
II. Le départ et le cours de la prescription.
2.1. Un point de départ unique.
La difficulté réside souvent dans la détermination du point de départ du délai de prescription, notamment lorsque la contrefaçon s’étale dans le temps.
La doctrine s’est longtemps interrogée sur la question de savoir si chaque acte de contrefaçon fait courir un nouveau délai, ou si le point de départ est unique, fixé au jour où le titulaire a eu (ou aurait dû avoir) connaissance de la première atteinte. La jurisprudence a tranché : la contrefaçon, même si elle présente les caractères d’un délit continu, ne fait pas obstacle à un point de départ unique de la prescription.
L’arrêt de la Cour de cassation du 15 novembre 2023 en pose le principe. En l’espèce, un sculpteur avait vu une reproduction de son œuvre exposée sans autorisation dans les jardins d’une société. Bien que la sculpture fût toujours visible au moment de l’introduction de l’action en 2021, la Cour de cassation a validé la décision de la cour d’appel qui avait jugé l’action prescrite, au motif que le caractère contrefaisant de cette reproduction avait été reconnu par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 décembre 2008. Le délai avait donc commencé à courir au plus tard à cette date, rendant l’action de 2021 prescrite (Cass. civ. 1re, 15 nov. 2023, n° 22-23.266).
Autrement dit, ce n’est pas la persistance de la contrefaçon dans le temps qui détermine le délai, mais bien la connaissance que le titulaire avait (ou devait avoir) de cette atteinte. Cette position contraint les auteurs à agir rapidement, sous peine de voir leur action déclarée irrecevable, même si la contrefaçon continue matériellement.
L’arrêt du 23 avril 2025 s’inscrit parfaitement dans cette jurisprudence. L’artiste demandeur, qui estimait qu’une sculpture concurrente reprenait indûment les traits de son œuvre Esprit de la pierre, n’a pas pu obtenir gain de cause, la cour considérant qu’il avait eu connaissance de cette sculpture bien avant 2022, et que son action était donc prescrite. La cour fait une interprétation in concreto et relève que « les œuvres litigieuses étaient à la disposition du public depuis leur création en 2014, soit sur les réseaux sociaux destinés à une large diffusion, soit dans le cadre d’expositions au public ». Il en résulte que l’artiste et la galerie « auraient dû connaître, en 2016 au plus tard, le caractère contrefaisant des œuvres » .
En l’absence d’acte interruptif ou de preuve d’une ignorance légitime des faits, le délai de prescription avait commencé à courir, et était échu au moment de l’assignation.
2.2. Le cours du délai de prescription.
Dans sa décision, la juridiction d’appel ne s’est pas prononcée sur le fond du litige mais a statué sur la fin de non-recevoir soulevée par les défendeurs. Elle a jugé l’action irrecevable pour cause de prescription. Cette décision, loin d’être isolée, illustre une jurisprudence désormais constante s’agissant de l’article 2224 du Code civil, qui fixe à cinq ans le délai de prescription applicable aux actions personnelles, dont celles fondées sur la contrefaçon du droit d’auteur.
Le cours même du délai de prescription peut être interrompu ou suspendu par certains actes de procédure. Ainsi, des actes tels qu’une assignation ou une saisie-contrefaçon peuvent affecter le cours de la prescription.
La saisie-contrefaçon, prévue à l’article L. 332-1 du Code de la propriété intellectuelle, est une mesure d’instruction récurrente des contentieux en contrefaçon. Elle permet au titulaire d’un droit d’auteur de collecter chez le contrefacteur présumé les éléments nécessaires pour démontrer l’atteinte à son droit.
Cette mesure a pour effet de suspendre le délai de prescription, conformément à l’article 2239 du Code civil, aux termes duquel « la prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès ». Toutefois, cette suspension n’est que temporaire. Les articles L. 332-3 et R. 332-3 du même code imposent au saisissant d’assigner le contrefacteur présumé dans un délai de vingt jours ouvrables ou de trente et un jours civils, le plus long étant retenu, à compter de la saisie. À défaut, la mesure de saisie est annulée et perd son effet suspensif.
Par ailleurs, l’assignation interrompt le délai de prescription, conformément à l’article 2241 du Code civil, qui prévoit que « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion ». L’interruption a pour effet de faire courir un nouveau délai de même durée.
Enfin, il convient de rappeler l’existence d’un délai butoir fixé par l’article 2232 du Code civil. Ce texte énonce que « le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit ». Autrement dit, le droit commun impose une limite absolue de vingt ans, au-delà de laquelle plus aucune action en justice ne peut être engagée.
La jurisprudence actuelle appelle donc les titulaires de droits d’auteur à faire preuve de réactivité et d’être très attentifs à la diffusion, à la reproduction ou à l’exploitation de leurs œuvres, et ne pas différer l’action en justice dès lors qu’une atteinte est portée à leurs droits. L’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 23 avril 2025 confirme ce principe avec rigueur : la lenteur dans la réaction de l’auteur a eu pour conséquence l’irrecevabilité de son action.