Affaire Helvet Immo : vers une annulation des contrats.

Par Charles Constantin-Vallet, Avocat.

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Explorer : # prêts toxiques # clauses abusives # risque de change # protection des consommateurs

L’affaire Helvet Immo, du nom du prêt immobilier indexé sur le franc suisse commercialisé par BNP Paribas Personal Finance [1], a connu ces derniers mois une évolution importante dès lors que la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), par deux arrêts du 10 juin 2021 puis deux ordonnances du 24 mars 2022, a rappelé aux juges nationaux les critères qu’ils sont tenus d’appliquer pour déterminer le caractère éventuellement abusif de la clause d’indexation du prêt.

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Cette évolution poursuit son cours avec les arrêts rendus par la Cour de cassation, le 30 mars 2022, qui opèrent un revirement de jurisprudence pour se conformer aux exigences récemment rappelées de la CJUE.

Pour mémoire, entre le mois de mars 2008 et le mois de janvier 2010, BNP PPF a commercialisé par démarchage, via son réseau de distribution, un crédit en franc suisse remboursable en euro destiné au financement d’investissements locatifs.

Il exposait les emprunteurs concernés un risque financier illimité résultant de l’indexation de la dette des emprunteurs sur le cours de change EUR/CHF, qui n’a pas manqué de se réaliser.

C’est ainsi que, dès l’année 2011, de nombreux emprunteurs ont engagé diverses procédures visant notamment à faire valoir qu’ils avaient été trompés par la banque et ses mandataires dès lors que le fonctionnement de leur contrat de prêt, ses conséquences potentielles et le risque de change auquel il les expose leur avaient été cachés.

Il en est résulté un contentieux de masse occupant la quasi-totalité des juridictions nationales, à tous les niveaux de procédure.

C’est dans ce cadre qu’une procédure pénale fondée sur le délit de pratique commerciale trompeuse a abouti, après plus de quatre ans d’enquête et trois semaines de procès correctionnel, à la condamnation pénale de BNP Paribas Personal Finance par le Tribunal judiciaire de Paris le 26 février 2020 [2].

Cette condamnation n’est toutefois pas définitive puisque la banque a interjeté appel de ce jugement. L’affaire est pendante devant la Cour d’appel de Paris.

En dépit de l’appel interjeté, BNP PPF a néanmoins été contrainte d’indemniser de manière provisoire plus de 2.500 victimes pour un montant moyen d’environ 80.000 euros par emprunteurs ou co-emprunteurs, compte tenu de la gravité des fautes qui lui sont reprochées et de la situation dans laquelle elle a placé ses clients, aujourd’hui sujets à d’importantes difficultés financières [3].

En parallèle de cette procédure pénale, de nombreux emprunteurs ont également mis en cause la responsabilité civile de la banque devant les juridictions civiles. De nombreux griefs sont invoqués, parmi lesquels se trouvent le caractère abusif de la clause d’indexation, qui est la clause à l’origine de leurs importants préjudices puisqu’elle fait varier le montant de leur dette en fonction de l’évolution du cours de change EUR/CHF, ainsi que le manquement de cette dernière à ses obligations informationnelles.

Ces procédures civiles ont dans un premier temps donné lieu à des décisions défavorables aux emprunteurs, sur le fondement des clauses abusives [4].

Pour autant, plusieurs juridictions nationales ont jugé nécessaire d’interroger la CJUE quant au caractère abusif des clauses du prêt Helvet Immo.

Ces saisines de la CJUE ont d’ailleurs eu pour conséquence le prononcé, par la Cour de cassation, de sursis à statuer dans le cadre des pourvois encore en cours dans l’affaire Helvet Immo, nonobstant la jurisprudence fixée qu’elle avait établie.

La CJUE, par deux arrêts du 10 juin 2021, puis par deux ordonnances du 24 mars 2022, a répondu aux questions préjudicielles qui lui avaient été posées et, ainsi, a rappelé aux juges nationaux les critères qu’ils sont tenus d’appliquer pour déterminer si les clauses litigieuses du contrat de prêt Helvet Immo sont abusives.

C’est à l’aune de ces décisions préjudicielles de la CJUE que, le 30 mars 2022, la Première chambre civile de la Cour de cassation a rendu cinq nouveaux arrêts dans l’affaire Helvet Immo.

Ces arrêts, qui ont les honneurs d’une publication au Bulletin, opèrent un revirement de jurisprudence majeur qui sonne la victoire des victimes de ce prêt toxique et qu’il convient d’expliquer succinctement ici.

Aussi, après avoir explicité la nouvelle solution adoptée par la Cour de cassation à l’occasion de ces arrêts du 30 mars 2022 (I), il sera exposé la situation juridique nouvelle dans laquelle se trouvent les emprunteurs ayant souscrit ce crédit, qui peuvent prétendre à une annulation pure et simple de leurs contrats de prêt (II).

I - La première chambre civile de la Cour de cassation donne raison aux emprunteurs Helvet Immo contre BNP Paribas Personal Finance.

Dans le cadre des nombreuses procédures civiles engagées par les emprunteurs depuis 2011, ces derniers sollicitaient notamment l’annulation du contrat Helvet Immo sur le terrain des clauses abusives.

Dans ce cadre, la première chambre civile de la Cour de cassation avait rendu plus d’une trentaine d’arrêts, considérant d’une part que la banque avait respecté ses obligations d’information et de mise en garde [5] et d’autre part, que les clauses litigieuses du contrat n’étaient pas abusives, notamment en ce qu’elles étaient considérées comme claires et compréhensibles pour des consommateurs moyens [6].

Pour autant, par ces deux arrêts [7], par la suite entièrement confirmés par deux ordonnances du 24 mars 2022 [8], la Cour de Justice de l’Union européenne a rappelé sa jurisprudence relative aux prêts en franc suisse [9] au cas particulier du crédit Helvet Immo, tranchant très largement en faveur des emprunteurs.

C’est dans ce contexte qu’une évolution de la position de la Cour de cassation était attendue.

Prenant acte, la Cour de cassation, par une série de cinq arrêts, renverse sa jurisprudence et tranche désormais en faveur des emprunteurs [10].

Plus précisément, la Cour de cassation juge que les consommateurs peuvent agir sans être soumis à un délai de prescription pour soulever le caractère abusif des clauses de risque de change du crédit Helvet Immo.

En outre, elle juge que la banque devait informer de façon transparente les emprunteurs du risque encouru ce qu’elle a manqué de faire.

Il résulte de ces arrêts de principe un revirement de jurisprudence en faveur des consommateurs qui ouvrent désormais pour les consommateurs concernés la possibilité de faire valoir leurs droits.

II - L’ensemble des emprunteurs Helvet Immo devraient pouvoir solliciter l’annulation de leur prêt.

Forts des décisions rendues par la Cour de justice de l’Union européenne et par la Cour de cassation, les consommateurs victimes du prêt Helvet Immo, et plus largement les consommateurs victimes de prêts toxiques en devises semblent aujourd’hui fondés à solliciter devant les juridictions civiles la réparation de leurs préjudices, souvent très importants.

Ainsi, il est jugé désormais que l’action des consommateurs tendant à faire constater le caractère abusif d’une clause contractuelle ne saurait être encadrée par un quelconque délai de prescription.

Surtout, suivant ces dernières jurisprudences, les consommateurs devraient pouvoir solliciter l’annulation pure et simple de leur prêt leur permettant notamment d’échapper au risque de change induit par la clause abusive [11].

Ainsi, l’ensemble des consommateurs apparaissent aujourd’hui fondés, à tout le moins en invoquant le droit des clauses abusives, à solliciter la réparation intégrale de leur préjudice. Pour ce faire, il leur appartient de saisir la juridiction civile d’une demande d’annulation de leur contrat.

Cela leur permettrait de n’avoir à rembourser que le montant initialement emprunté en euros. Au regard des échéances déjà payées par les emprunteurs depuis la conclusion de leur crédit, la somme prêtée en euros a été pour beaucoup d’entre eux déjà remboursée. L’annulation du prêt leur permettrait alors de sortir, dès à présent, des liens du prêt.

Charles Constantin-Vallet, Avocat,
Barreau de Paris
Docteur en droit - Enseignant en droit des affaires
www.ccvavocats.fr

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Notes de l'article:

[1Anciennement Cetelem - filiale à 100% de BNP Paribas.

[3CA Paris, 25 septembre 2020, n°20/06355 et 20/07033, CA Paris, 20 janvier 2022, n°21/05392 et autres.

[4Civ. 1ère, 20 février 2019, n°17-31.067 et n°17-31.065, publiés.

[5Civ. 1ère, 3 mai 2018, n°17-13.593, Bull. Civ. I, n°80.

[6Civ. 1ère, 20 février 2019, n°17-31.067 et n°17-31.065, publiés.

[7Aff. C-609/19 et aff. jointes C-776-19/ à C-782/19.

[8C-288/20 et C-82/20.

[9Not. CJUE, 30 avril 2014, C-26/13 ; CJUE, 20 septembre 2017, C-186/16 ; CJUE, 20 septembre 2018, C-51/17.

[10Civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-17.996, n°19-12.947, n°19-18.997, n°19-18.998, n°19-20.717.

[11Par exemple : CJUE, 5 juin 2019, C-38/17, n°42 et 43 ; CJUE, 14 mars 2019, C-118/17, n°51 et 65.

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Discussions en cours :

  • Information à diffuser largement dans la presse quotidienne régionale !

    • par Chon , Le 9 avril 2022 à 19:14

      Bonjour
      Évidemment nous avons été jugés,et mal jugés.
      Nous avons quelque part contribué à l’évolution de cette jurisprudence et selon vous,la voie pour une réparation reste très aléatoire.
      Y a t’il une possibilité pour que les personnes dans mon cas se rassemblent autour d’un avocat pour voir ce qu’il est possible d’entreprendre
      Merci de votre retour
      Cordialement

  • Dernière réponse : 7 avril 2022 à 16:06
    par Chon François Xavier , Le 31 mars 2022 à 15:46

    Quid des consommateurs qui ont déjà été jugé au civil et dont le pourvoi en cassation a été rejeté ??

    • par teisseire , Le 31 mars 2022 à 17:01

      en effet , quelles sont les options ou les chances pour ces emprunteurs, qui ont par ailleurs souvent dépensé des fortunes en frais de justice et avocats pour aboutir à une conclusion défavorable, sur les mêmes bases que les dossiers en cours de jugement aujourd’hui ?

    • par Charles Constantin-Vallet , Le 1er avril 2022 à 10:30

      Ceux-ci ne pourront pas directement bénéficier de cette évolution de la jurisprudence française. Toutefois, selon leur situation, il n’est pas impossible que ces emprunteurs puissent solliciter une indemnisation directement auprès de l’Etat dont la Justice n’a pas correctement appliqué le droit de l’Union européenne.

    • par Chon , Le 7 avril 2022 à 11:07

      Quel est le mode opératoire qui permettra l’indemnisation par l’état pour ce manquement de la justice ?

    • par Me Constantin-Vallet , Le 7 avril 2022 à 11:58

      Bonjour, sous resserve que les voies de recours aient été épuisées, le justiciable peut saisir le Tribunal judiciaire compétent pour cette demande. La représentation étant obligatoire, l’emprunteur devra mandater l’avocat de son choix pour cette procédure.

    • par Me Constantin-Vallet , Le 7 avril 2022 à 16:06

      Pour les emprunteurs ayant pour l’instant perdu en Justice, une analyse au cas par cas de leur situation judiciaire doit être réalisée par un avocat pour voir ce qu’il est possible de mettre en oeuvre pour qu’ils puissent éventuellement obtenir gain de cause. Toutefois, les possibilités en la matière demeurent limitées.
      C’est précisément pour éviter ce genre de situation qu’un certains nombre d’emprunteurs se sont réunis au sein du Collectif Helvet Immo afin de coordonner leur défense et aboutir aux résultats des 26 février 2020 (pénal), 10 juin 2021 (CJUE) ou encore 30 mars 2022 (Cour de cassation).

  • par René SUSS , Le 1er avril 2022 à 07:20

    Ces dernières décisions apportent enfin un regain d’optimisme aux victimes de ces pratiques. 10 ans de procédures - à ce jour - et des victoires qui s’enchainent désormais depuis février 2020 devrait faire aboutir ce dossier.
    Grand bravo à l’ensemble des défenseurs des consommateurs.

  • par houvenaghel , Le 2 avril 2022 à 12:40

    Merci de votre persévérance !! Il en faut pour se battre contre toutes les brigades d’avocats de la BNP !!

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