Crédits immobilier en CHF, vers une généralisation de leur nullité.

Par Charles Constantin-Vallet, Avocat.

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Explorer : # prêts en devises # risque de change # clauses abusives # nullité des contrats

Sans le savoir, des milliers d’emprunteurs peuvent désormais en obtenir la nullité judiciaire de leur crédit immobilier en devises étrangères et la restitution du trop versé à leur banque.

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Depuis la fin des années 90 de nombreuses banques ont décidé de proposer aux consommateurs des prêts en devises étrangères, notamment en francs suisses.

En règle générale, les banques conseillaient à leurs clients ce type de prêt en mettant en avant le supposé taux d’intérêt plus avantageux que ce qu’elles proposaient dans le cadre de leur prêt libellé en euros.

Pourtant, ces prêts en devises étrangères remboursés par des emprunteurs percevant leurs revenus ou disposant de leur patrimoine en euros exposent ces emprunteurs à un risque de change illimité. Ce risque peut se manifester soit par l’augmentation substantielle de la dette réellement remboursée en euro par l’emprunteur, soit par une augmentation des mensualités ou des deux à la fois.

Il en résulte souvent pour les emprunteurs concernés, un déséquilibre significatif de l’opération immobilière souscrite les plaçant fréquemment dans une situation économique très délicate, voire ruineuse.

Or, dans la très grande majorité des cas, les banques concernées, notamment BNP, Crédit Mutuel ou encore le Crédit Agricole ne fournissaient que très peu d’information sur ces risques financiers pourtant illimités. Parfois même, il a été jugé que la banque avait caché des informations clés aux emprunteurs [1].

Si un temps la justice a validé ce type de crédit [2], il en va désormais autrement et la très grande majorité des emprunteurs concernés devraient pouvoir obtenir la nullité des prêts en devises (I) et ce, généralement sans délai de prescription (II).

I - La nullité des prêts en devises ne comportant pas d’informations précises et chiffrées sur le risque de change.

Désormais, dès lors que la banque n’a pas fourni à l’emprunteur des informations concrètes sur le risque de change, que ce soit dans le cadre de la documentation commerciale ou de l’offre de crédit, la jurisprudence annule purement et simplement ces crédits.

Cette annulation intervient sur le fondement du droit des clauses abusives. Ainsi, à la suite d’arrêts de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) du 10 juin 2021 obtenus par des victimes pugnaces [3], il est désormais jugé par les juridictions françaises que ces prêts doivent être anéantis rétroactivement [4].

Il en va ainsi des prêts en francs suisses, fréquemment appelés Helvet Immo commercialisé par BNP PPF (Cetelem, UCB ou Invest Immo) entre 2008 et 2009 ou encore des prêts en francs suisses commercialisés par certaines caisses du Crédit Mutuel à partir des années 90.

Concrètement, les juges qui constatent l’absence d’information concrète sur le risque induit par ces prêts, vont juger abusives les clauses mettant à la charge ce risque de change à la charge de l’emprunteur et partant considérer que le contrat ne peut subsister.

La nullité du prêt entraîne alors l’obligation pour la banque de restituer toutes les sommes perçues en exécution du contrat au-delà du capital emprunté ; celle-ci est constituée notamment des frais, primes d’assurance, et bien entendu de l’augmentation du capital suivant l’évolution du taux de change.

À titre d’exemple, le Crédit Mutuel a été contraint en mars 2022 de restituer plus de 110 000 euros à un emprunteur ayant souscrit un crédit de 100 000 euros en 1999 [5]. De la même façon, des emprunteurs ont été déchargés d’une dette d’environ 150 000 euros à l’égard de BNP PPF pour un emprunt d’un montant de 130 000 euros souscrit en 2008.

Pour ce faire, les emprunteurs concernés ont été contraints de saisir la justice afin d’obtenir le bénéfice de cette jurisprudence déjà appliquée dans l’ensemble des pays membres de l’Union européenne.

Il convient de rappeler que la nullité de prêts en devise et les restitutions qu’elle entraîne s’inscrivent dans l’objectif de la directive européenne 93/13 de dissuader les professionnels de stipuler des clauses abusives en les privant de toute rémunération [6].

II - La très grande majorité des emprunteurs devraient pouvoir obtenir cette nullité sans délai de prescription.

Au-delà de la sanction sévère à l’égard des banques ayant commercialisé ce type de prêts, les conditions dans lesquelles les emprunteurs peuvent solliciter cette nullité et les restitutions qui s’imposent leur sont très favorables.

Ainsi, quelle que soit la date de souscription de l’emprunt ou sa date de remboursement, l’emprunteur doit pouvoir solliciter la nullité de l’emprunt.

Cela a notamment été le cas dans le cadre de l’affaire jugée récemment par la Cour de cassation dans laquelle le crédit in fine avait été souscrit en 1999 et remboursé intégralement en 2014 [7].

Ainsi, peu importe que l’emprunteur ait été en mesure de rembourser le crédit ou non, que celui-ci soit remboursé depuis plusieurs années, aucun délai de prescription ne saurait courir s’agissant d’une demande en reconnaissance du caractère abusif de ces clauses.

De même, les emprunteurs ayant déjà perdu une procédure contre leur banque, sans que le caractère abusif des clauses n’ait été examiné, doivent pouvoir à nouveau agir en justice. C’est également à certaines conditions le cas des emprunteurs ayant conclu une transaction avec la banque lorsqu’ils n’ont notamment pas été informés de leurs droits au titre des clauses abusives [8].

S’agissant des restitutions consécutives à l’annulation des prêts cependant, il a été jugé qu’un délai de prescription de cinq ans pouvait être appliqué suivant les dispositions de l’article 2224 du Code civil.

Toutefois, ici encore, afin d’assurer l’effectivité des mesures de protection des consommateurs contre ces clauses abusives et de dissuasion des professionnels de stipuler des clauses illicites, le point de départ de ce délai de prescription doit être repoussé à la déclaration de nullité du contrat [9].

Ainsi, concrètement, dans la très grande majorité des cas, les emprunteurs concernés par ces emprunts en francs suisses, qu’ils soient encore ou cours ou remboursés, devraient donc désormais pouvoir obtenir l’annulation de leur prêt et la restitution des sommes indûment versées.

Pour ce faire, les emprunteurs concernés peuvent naturellement prendre conseil auprès d’un avocat qui saura les accompagner pour faire valoir leurs droits.

Charles Constantin-Vallet, Avocat
Barreau de Paris
Docteur en droit - Enseignant en droit des affaires
www.ccvavocats.fr

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Notes de l'article:

[2Not. Civ. 1ère, 20 février 2019, n°17-31.067.

[4Not. Civ. 1ère, 30 mars 2022, n°19-17.996, 22 avril 2022, n°20-16.942, 12 juillet 2023, n°22-17.030.

[5Civ. 1ère, 12 juillet 2023, n°22-17.030.

[6V. par exemple CJUE, 12 janvier 2023, C-645/22.

[7Civ. 1ère,12 juillet 2023, 22-17.030.

[8Civ. 2ème, 13 avril 2023, n°21-14.540.

[9Civ. 1ère,12 juillet 2023, n°22-17.030.

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Discussions en cours :

  • par CHALMIN , Le 14 novembre 2023 à 18:27

    Un article clair, concis et accessible aux non-initiés du droit et qui leurs permet de comprendre la manipulation des banques.
    Grâce à l’action et à la persévérance de tels avocats, le droit et les intérêts des honnêtes gens peuvent être défendus avec succès.
    Espérons que cette jurisprudence impose des limites aux banques et les incite à respecter la charte de déontologie qu’elles sont si fières de présenter !

  • par Mathis , Le 14 novembre 2023 à 22:56

    Merci également à la justice de protéger les petits consommateurs

  • par Philippe ROUSSALY , Le 15 novembre 2023 à 00:00

    Bravo pour cet article !!!
    Mon seul regret est que l’on ne puisse poursuivre au pénal que l’établissement financier et non pas les responsables de l’époque dont un actuel directeur de la BdF !!!!

  • par Frederic Perivolas , Le 16 novembre 2023 à 09:19

    Un article qui contribue à la compréhension de situations financières complexes. Comment le commun des mortels peut se sortir d’un piège avec l’accompagnement d’un bon avocat !

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